LES TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 5 mai 2010, la commission a examiné le rapport de M. Jack Ralite sur la proposition de loi n° 384 (2009-2010) visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision. Un débat s'est ensuite engagé.

M. David Assouline - Lors du débat sur le nouveau service public audiovisuel, on pouvait accuser la gauche de procès d'intention. Aujourd'hui les faits sont là et il nous faut bien trouver un consensus. M. Jean-François Copé lui-même y réfléchit. Il avait à l'origine prévu deux étapes, la suppression totale n'intervenant qu'en 2011. S'il y a étapes, il y a revoyure : nous y sommes. Nous affirmions qu'il ne fallait pas compter sur les taxes de compensation : la taxe télécom est attaquée par l'Europe, l'État devra peut-être rembourser ce qui a déjà été perçu - encore un trou à prévoir dans le budget de l'État... Quant à la taxe sur la publicité, son produit est plus faible qu'attendu en raison des pressions des chaînes privées pour en réduire le taux. Heureusement encore que nous avons fait preuve de courage pour la redevance !

Comment, dans une conjoncture budgétaire si déficitaire, si dramatique, renoncer à la manne publicitaire ? Comment renoncer à une ressource qui donne l'indépendance financière, donc politique ? La proposition de loi de M. Jack Ralite vient à point nommé et je mets en garde nos collègues UMP : s'ils la rejettent parce qu'elle vient de la gauche, ils devront bientôt faire volte-face car elle viendra de M. Jean-François Copé. J'ai, dans une question d'actualité, demandé à M. Frédéric Mitterrand de renoncer à la privatisation de la régie publicitaire. La réponse a été : non ! Mais quelque temps plus tard, il a donné un avis contraire. Or si les recettes publicitaires sont supprimées, il n'y a plus besoin de régie. Si le ministre renonce à privatiser la régie, c'est qu'il pense que la publicité sera en partie maintenue...

La proposition de loi dresse un bilan, un an après la réforme, sans en remettre en cause d'autres aspects, le média global par exemple. Je vous mets en garde. Si c'est l'État qui décide année après année des ressources allouées à l'audiovisuel public, lorsque les caisses seront vides, certains auront la tentation de réduire le périmètre, de vendre des chaînes, d'en rabattre sur le service public. Celui-ci sera menacé. Je soutiens la proposition de notre collègue !

M. Jean-Pierre Leleux - Je suis réservé à l'idée de revenir sur le processus retenu par la loi. Certes, il existe des éléments nouveaux, nous traversons une phase de crise même si France Télévisions s'en sort bien pour les recettes publicitaires.

Je suis étonné de cette proposition, émanant de ceux qui estiment que le service public de la télévision doit être protégé contre l'invasion de la publicité. La suppression totale de la publicité distingue les chaînes publiques des services commerciaux. L'indépendance à l'égard du pouvoir politique, fort bien : mais les pressions commerciales ne sont pas meilleures ! Il faut peut-être rouvrir le débat sur le financement afin d'assurer liberté culturelle et indépendance financière en évitant le poids trop grand d'un partenaire. Mais les instances européennes ne se sont pas encore prononcées : alors attendons. Nous sommes certes en manque de financements : explorons des pistes telles que la redevance ou le financement éclaté, mais je ne suis pas très enclin à abandonner la suppression totale de la publicité. Même le parrainage m'inquiète !

Mme Catherine Morin-Desailly - Je partage en partie l'analyse de M. Jack Ralite et je le rejoins lorsqu'il s'interroge sur les ressources nécessaires aux missions de service public, sur les menaces pesant sur le développement, sur le mode de financement pertinent, bref sur l'adéquation des moyens aux missions. Mais notre collègue prescrit un remède sans disposer du diagnostic ! France Télévisions est-elle « malade » ? Je ne le crois pas. Son financement est-il fragile ? Le groupe a été à l'équilibre en 2009 et la dotation 2010 respecte le contrat d'objectifs et de moyens. Dans notre rapport, établi il y a quelques mois, M. Michel Thiollière et moi-même estimions qu'à court terme les garanties étaient suffisantes, mais qu'à moyen terme, avec l'arrivée du média global, ayant vocation à réunir tous les publics, il faudrait faire face à des coûts... qui ne faisaient l'objet d'aucune évaluation sérieuse. Nous avions donc proposé, dans un amendement qui fut voté par le Sénat, un audit annuel par le CSA sur le financement de l'audiovisuel public. La disposition a disparu en CMP et c'est regrettable ; le document aurait été précieux. La commission m'a confié une mission de contrôle, conjointement avec M. Claude Belot de la commission des finances, sur les comptes de France Télévisions et l'adéquation des moyens aux missions. C'est l'occasion d'un bilan d'étape de la réforme. Nos auditions nous occuperont jusqu'en juin - travail d'autant plus nécessaire que le comité de suivi inscrit dans la loi de 2009 n'a pas été mis en place...

Nous remettrons notre rapport fin juin et je demande à la commission d'adopter une motion de renvoi en commission, afin que nous examinions ce sujet en disposant d'éléments supplémentaires, dans une démarche rigoureuse et dans un esprit de coopération entre les groupes politiques.

M. Ivan Renar - Je soutiens la proposition de loi, qui nous extirpe de cette impasse financière et institutionnelle mortelle pour le service public de l'audiovisuel. La proposition est très réaliste : si la redevance ne finance pas en totalité le service public, alors des mesures doivent être prises... Ce serait l'honneur de notre commission de tout faire pour que ce texte vienne en discussion en séance publique. La période est compliquée, certes : c'est l'occasion de chercher un consensus ! J'ai lu les comptes rendus de la table ronde organisée à l'Assemblée nationale, j'y ai trouvé des idées intéressantes émises par le rapporteur du budget de l'audiovisuel. Discutons de la proposition de loi en séance publique !

M. Jacques Legendre, président - Nous appelons tous de nos voeux une télévision publique de qualité, libre à l'égard du pouvoir commercial et du pouvoir politique. Je regrette depuis toujours la dictature de l'audimat, cette recherche d'un public le plus large qui pousse à la médiocrité. Je ne pensais pas qu'un gouvernement puisse revenir sur cet état de fait, aussi ai-je été agréablement surpris par l'annonce faite par l'exécutif - et je l'ai soutenu sans états d'âme.

Concernant le financement, nous n'avons pas la même position que nos collègues députés : nous avons souhaité, bien que sachant la mesure impopulaire, augmenter la redevance. En CMP, nous avons obtenu satisfaction. Et je précise que ce n'est pas le président du groupe UMP de l'Assemblée nationale qui dicte leurs choix aux sénateurs UMP.

A l'Assemblée, certains, y compris dans la majorité, souhaitent revenir sur le système retenu. Dans une tribune publiée dans Le Monde, cosignée par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Michel Thiollière, j'ai demandé que l'on arrête le « zapping » dans le feuilleton France Télévisions ! Nous n'éludons pas les problèmes. Nous ne voulons pas évacuer le débat, d'autant moins que nous avions souhaité une clause de revoyure. La CMP y avait été favorable. Notre commission avait donc chargé Mme Catherine Morin-Desailly d'une mission menée en commun avec la commission des finances pour disposer de ses pouvoirs d'investigation sur pièce et sur place. Attendons ses résultats. La demande de renvoyer le débat à plus tard est légitime, je la soutiens. Nous voulons regarder la situation en face, mais lorsque nous disposerons de la totalité des informations. Je vous propose donc de présenter en séance publique, conformément à l'article 44.5 du Règlement, une motion de renvoi en commission, à l'issue de la discussion générale.

M. Jack Ralite, rapporteur - Je me réjouis du soutien des groupes CRC-SPG et socialiste et je constate que nos collègues de la majorité se posent au moins des questions... Hélas, comme on l'a vu sur la taxe Google, ou à l'instant lors de l'audition de Mme Claudie Haigneré, vous vous posez de bonnes questions, envisagez de bonnes mesures, mais au dernier moment, lorsqu'il faut voter, le souffle vous manque. Six mois d'auditions seront sans doute fort intéressantes, mais pour ma part je connais tout de l'histoire de l'audiovisuel public et je sais le trou noir qui va s'ouvrir en 2011 : il faut agir ou nous courons au précipice.

J'ai suivi l'histoire de la télévision depuis la Libération ! Et je me souviens d'un rapport d'information réalisé en 2000 par M. Claude Belot, dans lequel il estimait : « Tout se passe comme si nous franchissions une nouvelle étape de l'évolution de l'audiovisuel », comme si nous assistions « au basculement définitif du centre de gravité du public vers le privé ». « L'audiovisuel public est en train de changer de statut, de référence obligée il devient offre de complément, au risque de saper sa légitimité et son financement ». C'était un diagnostic très fin.

Nous sommes en danger ! Et pour filer la métaphore reprise au vol par nos collègues, je leur répondrai que lorsque je me rends chez le médecin, il me dit parfois que des analyses sont nécessaires, mais il n'attend pas pour me prescrire un premier remède ! De 3 %, la taxe a été rabaissée à 1,5 % puis 0,5 % : vous attendez pour mieux connaître, mais les télévisions privées n'ont pas attendu pour mieux faire ! Elles ont bien su pleurer ! Pourtant le président de la SACD, qui n'est suspect de sympathies ni pour l'ultra-gauche, ni pour la petite gauche ou la gauche douce, a souligné, lors de la table ronde de l'Assemblée nationale, que, dans l'affaire, TF1 a notamment gagné une deuxième coupure publicitaire, le passage de l'heure glissante à l'heure d'horloge, une durée de neuf minutes par heure contre sept auparavant, ainsi que la possibilité de racheter deux chaînes de la TNT à des prix défiant toute concurrence... Le groupe Bouygues a des petits bobos, pendant que d'autres sont vraiment malades et chancellent.

Le média global coûte. Et l'on ne saurait trop serrer les cordons de la bourse, car la création exige certaines latitudes. Le service public est en danger. La nouvelle liberté, inventée conjointement par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, a été utilisée avec intelligence par le président du groupe public faute de réponse des ministres. Vous voulez continuer d'étudier, nous voulons commencer à agir. Lors des auditions auxquelles j'ai assisté, j'ai senti se perpétuer la tradition gaullienne, l'attachement à un grand groupe public. Mais il est en péril ! Et c'est le privé, petit à petit, qui parvient à se faire aider par le public. Ne perdons pas nos atouts culturels.

M. David Assouline - Rappel au Règlement ! Comment voter un renvoi en commission alors que la commission n'a pas terminé ses travaux ? Ce n'est pas conforme à notre règlement.

M. Jacques Legendre, président - Il s'agit d'adopter la motion qui sera présentée en séance publique.

M. David Assouline - Je demande une vérification du Règlement, car on nous a, dans le passé, opposé l'argument que j'ai dit pour nous refuser une motion.

M. Jacques Legendre, président - La commission des lois procède ainsi, je lui fais confiance. Mais soyons plus précis : nous voterons d'abord sur le fait que la commission n'élabore pas de texte, puis sur la proposition de motion. Cela ne me paraît pas scandaleux d'attendre le mois de juillet. Je suis farouchement hostile à la dictature de l'audimat.

M. Ivan Renar - Nous sommes pour l'adoption de la proposition de loi et la pharmacopée recommandée par M. Jack Ralite.

Contre l'avis de son rapporteur, la commission décide de ne pas établir de texte et propose d'adopter une motion de renvoi.

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