Rapport n° 431 (2009-2010) de M. Jack RALITE , fait au nom de la commission de la culture, déposé le 5 mai 2010

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N° 431

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mai 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1), sur la proposition de loi de M. Jack RALITE, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Marie-Agnès LABARRE, MM. Ivan RENAR, Jean-François VOGUET, François AUTAIN, Mmes Éliane ASSASSI, Nicole BORVO COHEN-SEAT, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Annie DAVID, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Josiane MATHON-POINAT, Isabelle PASQUET, Mireille SCHURCH, Odette TERRADE et M. Bernard VERA, visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision ,

Par M. Jack RALITE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

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Sénat :

384 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre rapporteur et l'ensemble de ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, ont déposé le 6 avril dernier une proposition de loi n° 384 (2009-2010) visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision.

Ses auteurs considèrent que la loi du 5 mars 2009 (n° 2009-258) relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, en supprimant en deux étapes la ressource publicitaire de France Télévisions, loin de renforcer le groupe audiovisuel, l'a au contraire affaibli, a considérablement réduit son indépendance, et a mis en péril sa capacité à assumer ses missions de service public.

La diminution des recettes publicitaires, visible dès 2008 du fait de la déstabilisation du groupe liée à l'annonce du président de la République, s'est bien évidemment confirmée en 2009, en dépit d'un résultat très satisfaisant de France Télévisions, grâce notamment aux reports de la publicité des écrans nocturnes du groupe vers ses programmes diurnes. Le problème est que le nouveau mode de financement choisi, afin de compenser les pertes liées à la suppression de la publicité, fondé sur deux taxes non affectées et une dotation budgétaire, est très fortement contesté depuis sa création :

- par la Commission européenne, qui a interrogé la France sur la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d'euros attribuée par l'État à France Télévisions, et qui semble également considérer que la taxe sur les opérateurs de communication électronique n'est pas conforme au droit européen ;

- et par les redevables des taxes instituées, qui ont contesté leur conventionalité auprès de l'Union européenne. Les chaînes de télévision privées ont quant à elles obtenu une baisse du taux de la taxe qui leur a été imposée avant même sa première application.

Ces menaces, qui pèsent très fortement sur le financement de France Télévisions, n'ont pas empêché l'État de priver France Télévisions de 35 millions d'euros en 2009, au mépris du montant de dotation voté par le Parlement, au motif que les recettes publicitaires de France Télévisions sur l'année ont été supérieures à celles anticipées. Votre rapporteur s'étonne de cette méthode, alors que les bons résultats sont notamment corrélés au bon travail effectué par le groupe tout au long de l'année, et alors que le groupe anticipait un déficit en 2009.

En deuxième lieu, la remise en cause du financement mixte de France Télévisions a un impact direct sur son indépendance . En effet, le modèle de développement de France Télévisions repose sur un double financement :

- la contribution à l'audiovisuel public, qui est une taxe affectée aux organismes de l'audiovisuel public 1 ( * ) , indexée sur l'inflation depuis la promulgation de la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443 du 30 décembre 2008), est la ressource principale de France Télévisions ;

- et le chiffre d'affaires lié aux recettes publicitaires réalisées sur l'ensemble de ses antennes.

Supprimer la publicité, c'est donc ainsi non seulement diminuer les ressources de France Télévisions, mais surtout mettre le groupe entièrement sous la coupe de l'État , qui dispose de pouvoirs considérablement renforcés en tant que financeur unique.

Votre rapporteur tient à cet égard à souligner que pas moins de trois grandes juridictions françaises se sont inquiétées en 2009 des risques pesant sur l'indépendance de France Télévisions :

- le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision a ainsi considéré que la suppression de la publicité sur France Télévisions qui « a pour effet de priver cette société nationale de programme d'une part significative de ses ressources, doit être regardée comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue un élément de son indépendance ». Conscient des difficultés à venir dans les rapports entre le Gouvernement et France Télévisions à l'occasion des procédures budgétaires, le Conseil constitutionnel a en outre émis une réserve d'interprétation aux termes de laquelle « dans le respect de l'indépendance de France Télévisions, il incombera à chaque loi de finances de fixer le montant de la compensation financière par l'État de la perte de recettes publicitaires de cette société afin qu'elle soit à même d'exercer les missions de service public qui lui sont confiées ». C'est bien évidemment une juste évaluation de cette compensation qui devra être établie et les parlementaires ne manqueront pas d'y veiller au cours des discussions des prochaines lois de finances. L'analyse faite dans les Cahiers du Conseil constitutionnel insistait à cet égard sur l'importance de l'article 75 de la loi, qui crée un comité de suivi, composé de quatre députés et de quatre sénateurs, chargé notamment de vérifier « l'adéquation des ressources attribuées à la société... avec celles nécessaires à la mise en oeuvre des missions de service public de cette société... Il transmet chaque année au Parlement un rapport sur ses travaux avant la discussion du projet de loi de finances initiale ». Force est de constater que le Gouvernement se refuse à mettre en place ce comité de suivi, puisqu'il n'a pas publié le décret d'application, preuve s'il en était besoin de sa difficulté à communiquer sur la réalité des comptes de France Télévisions ;

- la Cour des comptes elle-même, dans son récent rapport public sur France Télévisions 2 ( * ) , estime que la « situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est très fragile » et s'inquiète de l'incapacité de l'État et du groupe audiovisuel à présenter des éléments rassurants sur les comptes du groupe. Votre rapporteur insiste sur le fait que cette analyse est faite dans le cadre d'une suppression partielle de la publicité et que la disparition totale d'écrans publicitaires ne fera qu'accentuer les difficultés structurelles de France Télévisions ;

- le Conseil d'État a enfin enfoncé le clou dans une décision du 11 février 2010, en estimant que la suppression de la publicité pendant une part substantielle du temps d'antenne était une mesure ayant pour effet de priver France Télévisions d'une part significative de ses recettes et d'affecter la garantie de ses ressources, qui constitue un élément de son indépendance . Rappelant que l'indépendance des médias relève de la compétence du législateur (article 34 de la Constitution), il a annulé les mesures antérieures à la loi du 5 mars 2009, prévoyant la suppression de la publicité sur les chaînes du groupe France Télévisions entre 22 heures et 6 heures.

Plusieurs députés de la majorité se sont également récemment exprimés en faveur d'un maintien de la publicité en journée sur France Télévisions au vu de la situation des comptes de l'État et du groupe audiovisuel.

Coup de grâce final, contre l'avis des représentants de l'État, le propre conseil d'administration de France Télévisions a souhaité le 13 avril dernier suspendre sine die la privatisation de la régie publicitaire, en attendant l'analyse par les parlementaires de dispositions tendant au maintien de la publicité en journée, et notamment de la présente proposition de loi qui fait, à cet égard, figure de précurseur.

Cette succession d'événements paraît imposer au Parlement de se saisir de la question de la publicité sur France Télévisions et plus généralement de son financement.

La présente proposition de loi propose ainsi de maintenir la publicité en journée sur France Télévisions et d'augmenter certaines sources de financement de l'audiovisuel public.

A. LA SUPPRESSION DE LA PUBLICITÉ SUR FRANCE TÉLÉVISIONS

La publicité commerciale est apparue en France, sur l'antenne de la première chaîne de l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), le 1 er octobre 1968, au moment où la télévision fait irruption dans le quotidien des Français : en effet, alors que seuls 13 % des ménages possèdent un poste en 1960, ils sont 65,5 % à en posséder un en 1968 et 77 % en 1970.

Jusqu'alors, des publicités sans marque ou « propagande collective d'intérêt national » permettaient aux pouvoirs publics, aux groupements de producteurs nationaux ou coopératives de diffuser des messages de promotion, dans le cadre des « publicités compensées ».

Le débat sur la légitimité de la publicité sur les chaînes de télévision publique a démarré à cette époque et sa présence sur les écrans du service public audiovisuel n'a jamais été une évidence.

En septembre 1999, avant la présentation devant le Parlement d'une nouvelle réforme de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, des auteurs, réalisateurs, universitaires ou journalistes, réunis au sein des « États généraux de la création audiovisuelle », demandaient ainsi dans une lettre ouverte adressée au Gouvernement et aux parlementaires « la suppression totale de la publicité sur France Télévisions et donc l'abandon des recettes commerciales » ainsi que « la création, en contrepartie, d'une contribution culture et communication ».

La loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a contribué à relancer le débat sans aller jusqu'au bout de la logique. Ce projet de loi, présenté par Mme Catherine Trautmann, alors ministre de la culture et de la communication, puis par notre collègue Catherine Tasca, qui lui avait succédé au moment de son examen en deuxième lecture, a réduit de 12 à 8 minutes par heure la durée des messages publicitaires sur les chaînes publiques. Le projet de loi découlait de la « conception d'un service public dégagé des contraintes de la rentabilité commerciale ».

Le Parlement s'était contenté de diminuer le temps consacré à la publicité, parce que le débat avait achoppé sur la question de la compensation de sa suppression totale et des modalités de son financement .

Le VI de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 introduit par l'article 28 de la loi du 5 mars 2009 précitée prévoit dorénavant une suppression de la publicité en deux étapes.

La première qui devait s'ouvrir « à compter du 5 janvier 2009 » et permettre de rendre visible très rapidement le nouveau profil du service public de l'audiovisuel, s'est en fait ouverte légalement à la date de promulgation de la loi.

Le conseil d'administration de France Télévisions a cependant choisi, à la demande de l'État, de prendre la décision de supprimer la publicité dès le 5 janvier 2009, soit avant l'examen du texte par le Sénat, et a fortiori avant la promulgation de la loi. Suite à un recours de votre rapporteur, le Conseil d'État a jugé que le courrier envoyé par la Ministre demandant au président-directeur général de France Télévisions de proposer cette suppression était illégal, et a annulé sur cette base la décision du conseil d'administration.

Il reste que la publicité a été supprimée de facto entre 20 heures et 6 heures du matin le 5 janvier 2009 sur France Télévisions. Cette interdiction de diffuser des messages publicitaires :

- ne concerne que les seuls services « de télévision mentionnés au I de l'article 44 » : autrement dit, la publicité est autorisée sur les autres services de communication audiovisuelle édités par France Télévisions, notamment les services de communication audiovisuelle à la demande (télévision de rattrapage et vidéo à la demande) ainsi que sur leurs sites Internet ;

- ne s'applique qu'aux services nationaux de télévision de France Télévisions, à l'exception de ses « programmes locaux » : la publicité est donc autorisée sur l'ensemble des décrochages de France 3, régionaux et locaux ;

- ne s'applique qu'aux « messages publicitaires », le parrainage restant autorisé sur les chaînes du service public ;

- et ne s'applique qu'aux « messages publicitaires autres que ceux pour des biens ou services présentés sous leur appellation générique » : seule la publicité commerciale est donc supprimée.

Le choix d'opérer en deux temps avait pour objet de libérer le plus rapidement France Télévisions de la contrainte publicitaire sans déstabiliser le groupe outre mesure.

Deux problèmes se posaient pour une suppression totale en une fois : l'avenir de la régie d'une part, qui compte plus de 200 salariés, et le remplissage d'une grille libérée de plusieurs heures de publicité d'autre part. La commission pour la nouvelle télévision publique avait au demeurant préconisé cette suppression en deux étapes, avec l'insertion d'une clause de rendez-vous et une suppression totale au moment du passage au tout numérique (le 30 novembre 2011).

Cette deuxième étape concerne les « programmes diffusés [...] entre six heures et vingt heures » et il s'agit bien d'une extension horaire à périmètre inchangé , les mêmes programmes - avec les mêmes exceptions que celles précitées - étant concernés par la modification du régime de diffusion des messages publicitaires.

Votre rapporteur note que l'extinction du signal analogique entraînera une réduction des coûts de diffusion pour France Télévisions. Il reste que ces économies ne correspondront pas aux pertes commerciales qui résulteraient d'une suppression totale de la publicité.

Force est ainsi de constater que le débat ne porte pas aujourd'hui sur la présence ou non de la publicité sur les écrans de France Télévisions, mais bien sur la capacité de l'État à financer de manière pertinente le service public de l'audiovisuel .

B. LES MODALITÉS DE FINANCEMENT DE FRANCE TÉLÉVISIONS

L'une des conditions sine qua non du succès de la réforme de l'audiovisuel public résidait dans son financement.

Si l'un des objectifs principaux de la suppression de la publicité était en effet de libérer le groupe France Télévisions des contraintes et aléas de la recette publicitaire, il devait prendre en compte la nécessité de dégager de nouvelles ressources, sûres, prévisibles et dynamiques, à structure et services constants.

Afin de ne pas soumettre le groupe à de nouveaux risques et à des problèmes d'anticipation et de visibilité, le choix a été fait dans la loi n° 2008-1425 de finances pour 2009 (du 27 décembre 2008) de soutenir France Télévisions via un financement budgétaire, avec un engagement pluriannuel conforme au contrat d'objectifs et de moyens. Ainsi 450 millions d'euros affectés à France Télévisions ont-ils été budgétés pour 2009 dans la mission « Médias » de la loi de finances et 2,039 millions d'euros au titre du programme 841 « France Télévisions » de la mission « Avances à l'audiovisuel public » , grâce notamment à une indexation de la contribution à l'audiovisuel public sur l'inflation (loi de finances rectificative pour 2008 n° 2008-1443 du 30 décembre 2008).

Notons toutefois que l'État, constatant que France Télévisions avait réalisé des recettes publicitaires supérieures à celles prévues initialement (404,9 millions d'euros au lieu de 260 millions d'euros), a diminué en exécution 2009 la dotation votée par le Parlement à hauteur de 35 millions d'euros.

La programmation pluriannuelle prévoyait en outre une augmentation de ces crédits de 1,75 % par an, entraînant une hausse de 7,9 millions d'euros en 2010, puis 8,1 millions d'euros en 2011, des crédits du programme 313 « Contribution au financement de l'audiovisuel public » de la mission « Médias ».

La loi de finances pour 2010 (n° 2009-1673 du 30 décembre 2009) a effectivement confirmé l'engagement pris envers France Télévisions en prévoyant les dotations suivantes :

- 2,092 milliards d'euros au titre du programme 841 « France Télévisions » de la mission « Avances à l'audiovisuel public », ce qui correspond à une hausse de 2,6 % des crédits. Votre rapporteur tient à cet égard à souligner que cette hausse a été rendue possible par l'augmentation de la contribution à l'audiovisuel public de 3 euros en 2010 (121 euros en métropole et 78 euros dans les départements d'outre-mer), que le Sénat a largement contribué à faire adopter ;

- et 457,8 millions d'euros au titre du programme 313 « Contribution au financement de l'audiovisuel » de la mission « Médias », ce qui correspond à une hausse de 1,75 % des crédits.

La dotation publique globale de France Télévisions pour l'année 2010 s'élève donc à 2,55 milliards d'euros, soit une progression de 2,4 % par rapport à 2009.

Ces ressources devraient être mobilisées pour financer les priorités stratégiques énoncées par le contrat d'objectifs et de moyens 2007-2010 et par l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens signé entre l'État et France Télévisions.

Bien que cet engagement financier paraisse pour l'instant démontrer la volonté de l'État d'assurer le financement de France Télévisions, un doute plane cependant sur sa capacité à maintenir son effort .

En effet, le nouveau mode de financement choisi afin de compenser les pertes liées à la suppression de la publicité, fondé sur deux taxes non affectées et une dotation budgétaire, est très fortement contesté depuis sa création.

S'agissant de la dotation budgétaire , la Commission européenne a interrogé la France sur la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d'euros attribuée par l'État à France Télévisions. L'interrogation pèse sur la nature d'aide d'État de la dotation, qui doit réellement correspondre au financement de missions spécifiques de service public. Si, compte tenu des coûts de service public de France Télévisions, la Commission a approuvé le versement d'une subvention de 450 millions d'euros pour 2009, elle a ouvert une procédure formelle d'examen sur plusieurs aspects du financement notifié pour les années suivantes .

La Commission s'interroge également sur l'éventuelle affectation des taxes sur la publicité des chaînes privées et sur le chiffre d'affaires des opérateurs de télécommunications introduites par la réforme (articles 32 et 33 de la loi du 5 mars 2009 précitée insérant des articles 302 bis KG et 302 bis KH dans le code général des impôts), qui serait illégale au regard de la nature des taxes et de la finalité de la dotation budgétaire.

Enfin, la Commission européenne a ouvert le 28 janvier dernier une procédure d'infraction contre la France au sujet de la « taxe télécoms » concernant les opérateurs de télécommunications, estimant qu'une telle taxe constituerait en réalité une « charge administrative » incompatible avec le droit européen.

L'ensemble des modalités de compensation de la suppression de la publicité sur France Télévisions est ainsi contesté.

Enfin, rien n'est encore prévu pour compenser la suppression totale de la publicité après 2012 . La « clause de revoyure » insérée dans la loi du 5 mars 2009 précitée sous la forme de demandes de rapports au Gouvernement, à la fois sur l'impact de la réforme sur France Télévisions et sur le dynamisme des taxes, pourrait permettre de régler cette question à la fin de l'année 2011. Il reste que la visibilité du Parlement est extrêmement faible sur cette question et que l'absence de mise en place du comité de suivi prévu à l'article 75 de la loi du 5 mars 2009 d'une part , et du groupe de travail sur la contribution à l'audiovisuel public qui constituait un engagement du Gouvernement d'autre part, renforce l'impression que la problématique du financement de France Télévisions n'est pas abordée sereinement par le Gouvernement . Force est en outre de constater que la seule indexation de la contribution à l'audiovisuel public ne suffira pas à répondre aux besoins de financement.

Cela est d'autant plus problématique que la télévision connaît de profondes mutations. Du développement de ses missions d'information, de divertissement et de diffusion de la culture, d'investissement dans la production et la création et de l'adaptation aux évolutions technologiques (telles la télévision de rattrapage ou la vidéo à la demande) dépend la sauvegarde de la télévision publique française qui, face à la concurrence accrue des chaînes privées, doit pouvoir relever les défis de la télévision de demain.

Dans un secteur concurrentiel dominé par des groupes puissants, la télévision publique doit pouvoir offrir au citoyen qui s'acquitte de la contribution à l'audiovisuel public un niveau de prestations techniques et d'offres de programmes équivalent, voire supérieur, à celui offert par les télévisions privées lui permettant de s'acquitter de ses missions de diversité et de pluralisme.

La modernisation du secteur public de la télévision suppose ainsi que France Télévisions dispose des moyens à la hauteur de ces objectifs. Les investissements importants que représentent ces défis exigent pour le moins une visibilité financière dont le groupe France Télévisions ne bénéficie aucunement aujourd'hui.

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi propose principalement des solutions tendant à assurer le financement pérenne de France Télévisions. L'article 1 er vise ainsi à maintenir la publicité en journée de France Télévisions, l'article 5 à élargir l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public aux résidences secondaires et l'article 6 à augmenter le taux de la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes de télévision de 3 à 5 %.

C. UN DIAGNOSTIC INSUFFISAMMENT ÉTAYÉ

Pour l'ensemble des raisons précédemment évoquées, votre rapporteur a souhaité que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication adopte la proposition de loi.

Toutefois, la commission a considéré que les symptômes des maux de France Télévisions n'étaient pas suffisamment établis pour qu'un diagnostic pertinent soit défini.

Un consensus s'est dégagé pour poser les questions suivantes :

- le groupe France Télévisions a-t-il les ressources nécessaires à l'exercice de ses missions de service public ;

- quelles menaces pèsent sur son développement à court et moyen terme ;

- et le mode de financement de France Télévisions est-il satisfaisant ?

Chacun s'accorde en fait pour dire que le Parlement doit disposer des éléments lui permettant de déterminer si les ressources de France Télévisions sont en adéquation avec ses missions.

C'est pour répondre à cette question que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a confié, au mois de janvier 2010, à Mme Catherine Morin-Desailly une mission de contrôle, menée conjointement avec la commission des finances, sur les comptes de France Télévisions et sur l'adéquation de ses moyens à ses missions .

Afin que le débat soit mieux éclairé, cette dernière a souhaité que l'on attende les conclusions de ce contrôle, qui devraient être présentées à la fin du mois de juin, avant de se pencher sur le fond de la question posée par la proposition de loi.

Mme Catherine Morin-Desailly a indiqué, à cet égard, que près d'une trentaine auditions ont déjà été menées et qu'un questionnaire de plus d'une centaine de questions a été envoyé à France Télévisions et aux autorités de tutelle afin d'établir un diagnostic qui soit le plus précis possible.

La commission a approuvé cette proposition et décidé de déposer en séance publique une motion de renvoi de la proposition de loi en commission conformément à l'article 44 alinéa 5 du Règlement du Sénat.

LES TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 5 mai 2010, la commission a examiné le rapport de M. Jack Ralite sur la proposition de loi n° 384 (2009-2010) visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision. Un débat s'est ensuite engagé.

M. David Assouline - Lors du débat sur le nouveau service public audiovisuel, on pouvait accuser la gauche de procès d'intention. Aujourd'hui les faits sont là et il nous faut bien trouver un consensus. M. Jean-François Copé lui-même y réfléchit. Il avait à l'origine prévu deux étapes, la suppression totale n'intervenant qu'en 2011. S'il y a étapes, il y a revoyure : nous y sommes. Nous affirmions qu'il ne fallait pas compter sur les taxes de compensation : la taxe télécom est attaquée par l'Europe, l'État devra peut-être rembourser ce qui a déjà été perçu - encore un trou à prévoir dans le budget de l'État... Quant à la taxe sur la publicité, son produit est plus faible qu'attendu en raison des pressions des chaînes privées pour en réduire le taux. Heureusement encore que nous avons fait preuve de courage pour la redevance !

Comment, dans une conjoncture budgétaire si déficitaire, si dramatique, renoncer à la manne publicitaire ? Comment renoncer à une ressource qui donne l'indépendance financière, donc politique ? La proposition de loi de M. Jack Ralite vient à point nommé et je mets en garde nos collègues UMP : s'ils la rejettent parce qu'elle vient de la gauche, ils devront bientôt faire volte-face car elle viendra de M. Jean-François Copé. J'ai, dans une question d'actualité, demandé à M. Frédéric Mitterrand de renoncer à la privatisation de la régie publicitaire. La réponse a été : non ! Mais quelque temps plus tard, il a donné un avis contraire. Or si les recettes publicitaires sont supprimées, il n'y a plus besoin de régie. Si le ministre renonce à privatiser la régie, c'est qu'il pense que la publicité sera en partie maintenue...

La proposition de loi dresse un bilan, un an après la réforme, sans en remettre en cause d'autres aspects, le média global par exemple. Je vous mets en garde. Si c'est l'État qui décide année après année des ressources allouées à l'audiovisuel public, lorsque les caisses seront vides, certains auront la tentation de réduire le périmètre, de vendre des chaînes, d'en rabattre sur le service public. Celui-ci sera menacé. Je soutiens la proposition de notre collègue !

M. Jean-Pierre Leleux - Je suis réservé à l'idée de revenir sur le processus retenu par la loi. Certes, il existe des éléments nouveaux, nous traversons une phase de crise même si France Télévisions s'en sort bien pour les recettes publicitaires.

Je suis étonné de cette proposition, émanant de ceux qui estiment que le service public de la télévision doit être protégé contre l'invasion de la publicité. La suppression totale de la publicité distingue les chaînes publiques des services commerciaux. L'indépendance à l'égard du pouvoir politique, fort bien : mais les pressions commerciales ne sont pas meilleures ! Il faut peut-être rouvrir le débat sur le financement afin d'assurer liberté culturelle et indépendance financière en évitant le poids trop grand d'un partenaire. Mais les instances européennes ne se sont pas encore prononcées : alors attendons. Nous sommes certes en manque de financements : explorons des pistes telles que la redevance ou le financement éclaté, mais je ne suis pas très enclin à abandonner la suppression totale de la publicité. Même le parrainage m'inquiète !

Mme Catherine Morin-Desailly - Je partage en partie l'analyse de M. Jack Ralite et je le rejoins lorsqu'il s'interroge sur les ressources nécessaires aux missions de service public, sur les menaces pesant sur le développement, sur le mode de financement pertinent, bref sur l'adéquation des moyens aux missions. Mais notre collègue prescrit un remède sans disposer du diagnostic ! France Télévisions est-elle « malade » ? Je ne le crois pas. Son financement est-il fragile ? Le groupe a été à l'équilibre en 2009 et la dotation 2010 respecte le contrat d'objectifs et de moyens. Dans notre rapport, établi il y a quelques mois, M. Michel Thiollière et moi-même estimions qu'à court terme les garanties étaient suffisantes, mais qu'à moyen terme, avec l'arrivée du média global, ayant vocation à réunir tous les publics, il faudrait faire face à des coûts... qui ne faisaient l'objet d'aucune évaluation sérieuse. Nous avions donc proposé, dans un amendement qui fut voté par le Sénat, un audit annuel par le CSA sur le financement de l'audiovisuel public. La disposition a disparu en CMP et c'est regrettable ; le document aurait été précieux. La commission m'a confié une mission de contrôle, conjointement avec M. Claude Belot de la commission des finances, sur les comptes de France Télévisions et l'adéquation des moyens aux missions. C'est l'occasion d'un bilan d'étape de la réforme. Nos auditions nous occuperont jusqu'en juin - travail d'autant plus nécessaire que le comité de suivi inscrit dans la loi de 2009 n'a pas été mis en place...

Nous remettrons notre rapport fin juin et je demande à la commission d'adopter une motion de renvoi en commission, afin que nous examinions ce sujet en disposant d'éléments supplémentaires, dans une démarche rigoureuse et dans un esprit de coopération entre les groupes politiques.

M. Ivan Renar - Je soutiens la proposition de loi, qui nous extirpe de cette impasse financière et institutionnelle mortelle pour le service public de l'audiovisuel. La proposition est très réaliste : si la redevance ne finance pas en totalité le service public, alors des mesures doivent être prises... Ce serait l'honneur de notre commission de tout faire pour que ce texte vienne en discussion en séance publique. La période est compliquée, certes : c'est l'occasion de chercher un consensus ! J'ai lu les comptes rendus de la table ronde organisée à l'Assemblée nationale, j'y ai trouvé des idées intéressantes émises par le rapporteur du budget de l'audiovisuel. Discutons de la proposition de loi en séance publique !

M. Jacques Legendre, président - Nous appelons tous de nos voeux une télévision publique de qualité, libre à l'égard du pouvoir commercial et du pouvoir politique. Je regrette depuis toujours la dictature de l'audimat, cette recherche d'un public le plus large qui pousse à la médiocrité. Je ne pensais pas qu'un gouvernement puisse revenir sur cet état de fait, aussi ai-je été agréablement surpris par l'annonce faite par l'exécutif - et je l'ai soutenu sans états d'âme.

Concernant le financement, nous n'avons pas la même position que nos collègues députés : nous avons souhaité, bien que sachant la mesure impopulaire, augmenter la redevance. En CMP, nous avons obtenu satisfaction. Et je précise que ce n'est pas le président du groupe UMP de l'Assemblée nationale qui dicte leurs choix aux sénateurs UMP.

A l'Assemblée, certains, y compris dans la majorité, souhaitent revenir sur le système retenu. Dans une tribune publiée dans Le Monde, cosignée par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Michel Thiollière, j'ai demandé que l'on arrête le « zapping » dans le feuilleton France Télévisions ! Nous n'éludons pas les problèmes. Nous ne voulons pas évacuer le débat, d'autant moins que nous avions souhaité une clause de revoyure. La CMP y avait été favorable. Notre commission avait donc chargé Mme Catherine Morin-Desailly d'une mission menée en commun avec la commission des finances pour disposer de ses pouvoirs d'investigation sur pièce et sur place. Attendons ses résultats. La demande de renvoyer le débat à plus tard est légitime, je la soutiens. Nous voulons regarder la situation en face, mais lorsque nous disposerons de la totalité des informations. Je vous propose donc de présenter en séance publique, conformément à l'article 44.5 du Règlement, une motion de renvoi en commission, à l'issue de la discussion générale.

M. Jack Ralite, rapporteur - Je me réjouis du soutien des groupes CRC-SPG et socialiste et je constate que nos collègues de la majorité se posent au moins des questions... Hélas, comme on l'a vu sur la taxe Google, ou à l'instant lors de l'audition de Mme Claudie Haigneré, vous vous posez de bonnes questions, envisagez de bonnes mesures, mais au dernier moment, lorsqu'il faut voter, le souffle vous manque. Six mois d'auditions seront sans doute fort intéressantes, mais pour ma part je connais tout de l'histoire de l'audiovisuel public et je sais le trou noir qui va s'ouvrir en 2011 : il faut agir ou nous courons au précipice.

J'ai suivi l'histoire de la télévision depuis la Libération ! Et je me souviens d'un rapport d'information réalisé en 2000 par M. Claude Belot, dans lequel il estimait : « Tout se passe comme si nous franchissions une nouvelle étape de l'évolution de l'audiovisuel », comme si nous assistions « au basculement définitif du centre de gravité du public vers le privé ». « L'audiovisuel public est en train de changer de statut, de référence obligée il devient offre de complément, au risque de saper sa légitimité et son financement ». C'était un diagnostic très fin.

Nous sommes en danger ! Et pour filer la métaphore reprise au vol par nos collègues, je leur répondrai que lorsque je me rends chez le médecin, il me dit parfois que des analyses sont nécessaires, mais il n'attend pas pour me prescrire un premier remède ! De 3 %, la taxe a été rabaissée à 1,5 % puis 0,5 % : vous attendez pour mieux connaître, mais les télévisions privées n'ont pas attendu pour mieux faire ! Elles ont bien su pleurer ! Pourtant le président de la SACD, qui n'est suspect de sympathies ni pour l'ultra-gauche, ni pour la petite gauche ou la gauche douce, a souligné, lors de la table ronde de l'Assemblée nationale, que, dans l'affaire, TF1 a notamment gagné une deuxième coupure publicitaire, le passage de l'heure glissante à l'heure d'horloge, une durée de neuf minutes par heure contre sept auparavant, ainsi que la possibilité de racheter deux chaînes de la TNT à des prix défiant toute concurrence... Le groupe Bouygues a des petits bobos, pendant que d'autres sont vraiment malades et chancellent.

Le média global coûte. Et l'on ne saurait trop serrer les cordons de la bourse, car la création exige certaines latitudes. Le service public est en danger. La nouvelle liberté, inventée conjointement par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, a été utilisée avec intelligence par le président du groupe public faute de réponse des ministres. Vous voulez continuer d'étudier, nous voulons commencer à agir. Lors des auditions auxquelles j'ai assisté, j'ai senti se perpétuer la tradition gaullienne, l'attachement à un grand groupe public. Mais il est en péril ! Et c'est le privé, petit à petit, qui parvient à se faire aider par le public. Ne perdons pas nos atouts culturels.

M. David Assouline - Rappel au Règlement ! Comment voter un renvoi en commission alors que la commission n'a pas terminé ses travaux ? Ce n'est pas conforme à notre règlement.

M. Jacques Legendre, président - Il s'agit d'adopter la motion qui sera présentée en séance publique.

M. David Assouline - Je demande une vérification du Règlement, car on nous a, dans le passé, opposé l'argument que j'ai dit pour nous refuser une motion.

M. Jacques Legendre, président - La commission des lois procède ainsi, je lui fais confiance. Mais soyons plus précis : nous voterons d'abord sur le fait que la commission n'élabore pas de texte, puis sur la proposition de motion. Cela ne me paraît pas scandaleux d'attendre le mois de juillet. Je suis farouchement hostile à la dictature de l'audimat.

M. Ivan Renar - Nous sommes pour l'adoption de la proposition de loi et la pharmacopée recommandée par M. Jack Ralite.

Contre l'avis de son rapporteur, la commission décide de ne pas établir de texte et propose d'adopter une motion de renvoi.

* 1 Ceux visés par les articles 44, 45 et 49 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à savoir France Télévisions, Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel et la holding « Audiovisuel extérieur de la France ».

* 2 France Télévisions et la nouvelle télévision publique, octobre 2009.

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