EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner en première lecture, après engagement de la procédure accélérée, le projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), adopté par l'Assemblée nationale le 23 février 2010.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a entièrement réécrit l'article 65 de la Constitution, qui définit la composition et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature. Elle apporte trois modifications marquantes à la composition du Conseil supérieur de la magistrature :
- elle met fin à la présidence du CSM par le Président de la République. La présidence sera désormais assurée par le premier président de la Cour de cassation pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège et par le procureur général près cette cour pour la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet ;
- elle met fin à la vice-présidence de droit du ministre de la justice. Celui-ci n'est plus membre du CSM, mais peut participer aux séances de ses formations, sauf en matière disciplinaire ;
- elle ouvre davantage la composition du CSM sur la société civile en ajoutant aux six membres issus de la magistrature et au conseiller d'Etat, un avocat et six personnalités qualifiées n'appartenant ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ainsi porté l'effectif de chacune des deux formations spécialisées du CSM, lorsqu'elles exercent des compétences de nomination, de douze à quinze, dont sept magistrats et huit personnalités extérieures. Le Conseil supérieur comptera donc, dans sa nouvelle composition, 22 membres 1 ( * ) .
Cependant, l'adoption d'une loi organique relative à l'article 65 de la Constitution conditionne l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions.
Aussi le Gouvernement a-t-il déposé sur le Bureau du Sénat, le 10 juin 2009, un projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution.
Ce texte a été adopté en première lecture par le Sénat le 15 octobre 2009, puis par l'Assemblée nationale le 23 février 2010. Il devrait être examiné en deuxième lecture par le Sénat à la fin du mois d'avril 2010. Il est néanmoins très difficile de prévoir la date de son adoption définitive par le Parlement.
Or, le mandat des membres du CSM arrive à expiration le 3 juin 2010. En effet, l'article 6 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature dispose que les membres du CSM sont désignés pour une durée de quatre ans non renouvelable immédiatement et la liste des membres en cours de mandat a été publiée au Journal officiel du 14 juin 2006.
En outre, la réalisation des opérations de renouvellement du Conseil supérieur s'étend généralement sur près de deux mois et demi 2 ( * ) , et requiert une préparation par les services du ministère de la justice. L'article premier du décret n° 94-199 relatif au Conseil supérieur de la magistrature précise d'ailleurs que « les élections au Conseil supérieur ont lieu quatre mois au plus et quinze jours au moins avant la date d'expiration du mandat de ses membres », la date des élections étant fixée par le garde des sceaux, ministre de la justice.
Certes, lors du renouvellement du CSM, la désignation des membres n'appartenant pas à l'ordre judiciaire peut être conduite dans des délais assez courts. La loi organique relative à l'application de l'article 65 de la Constitution doit cependant encore définir les modalités de désignation de l'avocat. L'article 3 du projet de loi organique en cours d'examen prévoit que l'avocat serait désigné par le président du Conseil national des barreaux, après avis conforme de l'assemblée générale dudit conseil.
La désignation de six personnalités qualifiées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, à raison de deux personnalités par chacune de ces autorités, peut, elle aussi, être mise en oeuvre rapidement, sous réserve toutefois d'un délai minimal permettant aux commissions des lois des deux assemblées d'émettre un avis sur les nominations envisagées 3 ( * ) .
En revanche, le renouvellement des membres issus de la magistrature s'étend sur plusieurs mois, la loi organique du 5 février 1994 prévoyant un processus d'élection complexe à mettre en oeuvre.
Les deux premiers articles de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature organisent en effet, pour les deux formations respectivement compétentes pour les magistrats du siège et pour les magistrats du parquet, la représentation des magistrats de toutes les juridictions et de toutes les fonctions, comme l'illustre le tableau suivant :
Formation compétente
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Formation compétente
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1° Un magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du siège hors hiérarchie de ladite cour ; 2° Un premier président de cour d'appel élu par l'assemblée des premiers présidents de cour d'appel ; 3° Un président de tribunal de grande instance élu par l'assemblée des présidents de tribunal de grande instance, de première instance ou de tribunal supérieur d'appel ; 4° Deux magistrats du siège et un magistrat du parquet des cours et tribunaux, élus dans les conditions fixées à l'article 4 de la loi (élection au second degré par leurs pairs). |
1° Un magistrat du parquet hors hiérarchie à la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du parquet hors hiérarchie de ladite cour ; 2° Un procureur général près une cour d'appel élu par l'assemblée des procureurs généraux près les cours d'appel ; 3° Un procureur de la République près un tribunal de grande instance élu par l'assemblée des procureurs de la République ; 4° Deux magistrats du parquet et un magistrat du siège des cours et tribunaux élus dans les conditions fixées à l'article 4 de la loi (élection au second degré par leurs pairs). |
Le renouvellement des membres du CSM suppose donc l'organisation, par les services du ministère de la justice, de :
- l'élection de deux représentants par l'assemblée des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, respectivement du siège et du parquet ;
- l'élection d'un représentant par l'assemblée des premiers présidents des cours d'appel ;
- l'élection d'un représentant par l'assemblée des procureurs généraux des cours d'appel ;
- l'élection d'un représentant par l'assemblée des présidents des tribunaux de grande instance ;
- l'élection d'un représentant par l'assemblée des procureurs de la République près un tribunal de grande instance ;
- l'élection par les autres magistrats de deux collèges (160 magistrats du siège et 80 du parquet) ;
- la réunion de ces collèges au CSM pour procéder à l'élection de six magistrats appelés à siéger au CSM.
Selon les indications du ministère de la justice, le renouvellement normal des membres du CSM aurait ainsi supposé l'organisation de ces opérations entre le 3 février et le 19 mai 2010.
Compte tenu de l'état d'avancement des travaux parlementaires concernant la loi organique relative à l'article 65 de la Constitution, qui devra être soumise au Conseil constitutionnel avant sa promulgation, il n'apparaît pas matériellement possible d'envisager le renouvellement des membres du CSM à l'échéance de leur mandat, dans la nouvelle composition donnée au Conseil supérieur par la révision du 23 juillet 2008 .
Aussi l'article unique du présent projet de loi organique proroge-t-il le mandat des membres actuels du CSM, afin de permettre que leur renouvellement n'intervienne qu'après l'adoption de la loi organique qui met en oeuvre les nouvelles dispositions constitutionnelles.
D'ailleurs, lors de l'examen en première lecture du projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution, votre rapporteur soulignait que « la désignation du Conseil supérieur de la magistrature selon les nouvelles dispositions constitutionnelles dépend de l'adoption définitive de la présente loi organique, qui devra ensuite être soumise au Conseil constitutionnel. Si cette adoption définitive n'intervient pas avant février 2010, le mandat des membres composant actuellement le Conseil supérieur devra être prorogé. »
Il apparaît donc souhaitable de proroger le mandat des membres du CSM désignés en 2006. L'article unique du projet de loi organique organise cette prorogation jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois suivant la promulgation de la loi organique relative à l'application de l'article 65 de la Constitution.
Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'une telle prorogation doit être limitée et revêtir un caractère exceptionnel et transitoire. 4 ( * )
Ces conditions sont remplies en l'espèce, puisque le projet de loi organique prévoit que la prorogation du mandat des membres du CSM ne pourrait s'étendre au-delà du 31 janvier 2011. Le mandat des membres du Conseil supérieur serait donc au maximum prolongé de huit mois.
L'option ainsi retenue paraît la plus indiquée pour assurer l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution dans les meilleures conditions.
En effet, il semble plus conforme à l'intérêt général de proroger le mandat en cours que de procéder, en l'espace de quelques mois, à deux désignations successives des membres du CSM, l'une correspondant à la composition de cet organe avant la révision de 2008, l'autre visant à lui donner sa nouvelle composition.
Comme le souligne l'étude d'impact jointe au projet de loi organique déposé à l'Assemblée nationale, deux renouvellements successifs du Conseil supérieur en quelques mois empêcheraient le CSM d'exercer ses missions avec la continuité requise. Il en résulterait en particulier des difficultés de suivi des procédures disciplinaires, qui s'étendent sur de longs mois.
Ainsi, en 2009, le délai moyen entre la saisine du conseil de discipline des magistrats du siège et la décision disciplinaire était de 17 mois. Au cours de la même année, les deux avis rendus en matière de discipline des magistrats du parquet ont été respectivement émis 11 mois et 41 mois après la saisine du CSM 5 ( * ) . Par conséquent, deux renouvellements du CSM à quelques mois d'intervalle conduiraient à des changements de rapporteur qui retarderaient le traitement des affaires.
Dès lors, la désignation de nouveaux membres pour un mandat très court ne serait pas de nature à asseoir l'autorité du CSM, ni dans ses fonctions disciplinaires, ni en matière de nomination.
Par ailleurs, le délai de six mois après la promulgation de la loi relative à l'application de l'article 65 de la Constitution est destiné à assurer la bonne organisation des élections des membres du CSM issus de la magistrature et à permettre, au préalable, la modification du décret d'application de la loi organique relative au Conseil supérieur (décret n° 94-199 du 9 mars 1999).
En outre, la date butoir de la prorogation envisagée par le présent projet de loi organique, fixée au 31 janvier 2011, assure en toute hypothèse que les membres du CSM seront renouvelés à une date qui leur permettra d'examiner le mouvement de magistrats le plus important de l'année, qui correspond aux projets de nomination diffusés en février 6 ( * ) .
Aussi la commission des lois approuve-t-elle la prorogation du mandat des membres du CSM. Elle souligne néanmoins qu'il est souhaitable d'achever rapidement l'examen du projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution, afin de permettre l'entrée en vigueur d'un volet essentiel de la révision du 23 juillet 2008.
La commission des lois a adopté le projet de loi organique sans modification.
* 1 Voir le tableau détaillant la composition des formations spécialisées du CSM en annexe au présent rapport. Votre rapporteur a analysé de façon détaillée l'évolution de la composition du CSM dans son rapport concernant la première lecture du projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution. Voir le rapport n° 635 (2008-2009), fait au nom de la commission des lois par votre rapporteur.
* 2 En 2006, ces opérations ont commencé le 22 mars et se sont terminées le 5 mai.
* 3 Aux termes de l'article 65 de la Constitution :
« Dans le cas de la nomination par le président de chaque assemblée de deux personnalités qualifiées appelées à siéger au CSM est soumise à la procédure prévue par le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, seule la commission compétente de l'assemblée intéressée se prononce. Pour les nominations relevant du Président de la République, l'avis des commissions compétentes des deux assemblées est requis. »
* 4 Décision n° 2009-586 DC du 30 juillet 2009 relative à la loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental.
* 5 Dans le second cas, ce délai s'explique par l'existence d'une procédure pénale parallèle.
* 6 Les décrets de nomination relatifs à ce mouvement sont pris entre juin et juillet, afin de permettre l'installation des magistrats intéressés en septembre.