B. LA SÉPARATION DU PATRIMOINE PERSONNEL ET DU PATRIMOINE PROFESSIONNEL

1. La constitution et l'évolution du patrimoine affecté

Selon les informations transmises par le Gouvernement à votre rapporteur, le coût de constitution du patrimoine affecté pourrait varier de 63 € pour un créateur d'entreprise (unique coût de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, le dépôt de la déclaration d'affectation étant gratuit, sans affectation d'un bien immobilier ou nécessitant l'évaluation d'un expert) à environ 850 € pour un entrepreneur en activité (affectation d'un bien immobilier et nécessitant l'évaluation d'un expert).

a) Les règles d'affectation

L'entrepreneur individuel peut affecter à son patrimoine professionnel des biens, droits et sûretés, énumération à laquelle l'Assemblée nationale a ajouté les obligations.

Par analogie avec la matière fiscale qui distingue biens professionnels par nature et biens mixtes personnels et professionnels, le projet de loi prévoit deux catégories d'éléments susceptibles d'être affectés. D'une part, les biens nécessaires doivent obligatoirement être affectés 22 ( * ) . La notion de bien nécessaire est assez restrictive et comporte principalement le fonds de commerce. D'autre part, pour donner une assiette plus large au patrimoine professionnel, il est possible à l'entrepreneur d'y affecter des biens utilisés pour l'exercice de l'activité professionnelle. Il peut s'agir en particulier d'un véhicule personnel utilisé dans le cadre professionnel ou encore d'une partie de sa résidence principale dans laquelle il exerce son activité.

Cependant, qu'advient-il des dettes contractées par l'entrepreneur en vue de l'acquisition de biens faisant ensuite l'objet d'une affectation ? La mention, ajoutée par l'Assemblée nationale, des obligations parmi les éléments qui peuvent entrer dans le patrimoine affecté permet de clarifier ce point. Ne peuvent être affectés au patrimoine professionnel que les biens nécessaires à l'activité et, le cas échéant, les biens à usage mixte personnel et professionnel utilisés pour l'activité. Lorsque la dette est attachée à un bien nécessaire, elle doit être affectée, tandis que lorsqu'elle est attachée à un bien utilisé, on peut considérer que l'entrepreneur est libre de l'affecter ou non.

La levée de l'étanchéité et, par suite, la confusion des patrimoines professionnel et personnel sanctionnent la fraude et le manquement grave aux règles d'affectation.

En outre, des règles spéciales d'affectation sont prévues pour les biens immobiliers, les biens d'une valeur importante et les biens communs ou indivis.

L'affectation de tout ou partie d'un bien immobilier fait l'objet d'un acte notarié, tandis que celle d'un bien commun ou indivis doit s'accompagner de l'accord exprès du conjoint ou du co-indivisaire et de la garantie qu'il a convenablement été informé des conséquences de son accord. L'inopposabilité de l'affectation sanctionne le non respect de ces règles.

L'affectation d'un bien d'une valeur supérieure à un montant fixé par décret - montant que l'Assemblée nationale a voulu explicitement fixer à 30 000 €, ce qui introduit une rigidité - doit faire l'objet d'une évaluation par un expert, lorsqu'elle a lieu lors de la constitution du patrimoine affecté. L'objectif est d'éviter les surévaluations de nature à fausser la perception de la consistance du patrimoine affecté. L'évaluation de l'expert est annexée à la déclaration. Un mécanisme de responsabilité à l'égard des tiers est prévu en cas de déclaration surévaluée par rapport à l'évaluation de l'expert ou d'absence de recours à un expert. Dans sa rédaction initiale, le texte prévoyait l'intervention d'un commissaire aux apports pour procéder à l'évaluation, par analogie avec la procédure d'évaluation des apports en nature des associés lors de la constitution d'une société à responsabilité limitée (article L. 223-9 du code de commerce). Toutefois, l'Assemblée nationale a considéré que le recours au commissaire aux apports était trop complexe et coûteux et, par souci de simplification, a ajouté l'expert-comptable, tout en conservant le commissaire aux comptes. Tout en réprouvant les accusations dont ont fait l'objet les experts-comptables au cours des débats à l'Assemblée nationale, on peut néanmoins s'interroger, dans ces conditions, sur l'indépendance de l'évaluation : dans l'esprit du texte initial, celle-ci était de nature à crédibiliser davantage l'évaluation figurant dans la déclaration, dans l'intérêt même des entrepreneurs.

b) Les possibilités d'évolution

Le patrimoine d'affectation peut évoluer dans sa composition et, bien sûr, dans sa valeur. Il peut également évoluer dans son titulaire.

D'une part, pour accompagner l'évolution de l'activité, des biens peuvent être nouvellement affectés ou, au contraire, retirés postérieurement à la constitution du patrimoine affecté. Ces mouvements sont toutefois contraints par les règles d'affectation, en particulier l'obligation d'affecter les biens nécessaires à l'activité. En cas d'affectation ultérieure d'un bien immobilier ou d'un bien commun ou indivis, les règles spéciales s'appliquent.

D'autre part, le texte initial prévoyait la possibilité de reprise de la déclaration d'affectation par un héritier en cas de décès de l'entrepreneur. L'Assemblée nationale a utilement complété cette faculté, en prévoyant d'autres voies de changement du titulaire du patrimoine affecté : cession à titre onéreux ou apport en société de l'intégralité du patrimoine affecté, avec droit d'opposition des créanciers. De cette façon, le statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée peut être une étape préalable à la constitution d'une société.

Enfin, bien évidemment, l'entrepreneur peut à tout moment renoncer à l'affectation, auquel cas le patrimoine affecté est liquidé et revient dans le patrimoine personnel de l'entrepreneur, après désintéressement des créanciers professionnels, reconstituant un unique gage pour l'intégralité des créanciers.

2. La publicité du patrimoine affecté

La recherche de la confiance dans les rapports économiques impose le principe de la publicité, de façon à assurer l'information des partenaires de l'entrepreneur. Ce principe, concrétisé dans le registre du commerce et des sociétés, vaut entre professionnels, entre clients et fournisseurs, entre prêteurs et emprunteurs...

Concernant les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, les créanciers professionnels, en particulier, doivent pouvoir connaître la surface du patrimoine professionnel qui constitue le gage de leurs créances. C'est la raison pour laquelle le projet de loi met en place plusieurs règles de nature à assurer la publicité de la composition et de la valeur du patrimoine affecté, tant au moment de sa constitution qu'au cours de son évolution, voire de sa transmission ou de sa liquidation.

La publicité contribue à la crédibilité des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée auprès de leurs partenaires, par la transparence qu'elle apporte aux informations relatives aux éléments qui composent le patrimoine affecté, sous réserve de la sincérité et du sérieux de ces informations.

a) La publicité lors de la constitution du patrimoine affecté

En premier lieu, la déclaration constitutive du patrimoine affecté doit être effectuée auprès du registre de publicité légale auquel l'entrepreneur est tenu de s'inscrire au titre de l'activité professionnelle qu'il exerce. Il s'agit du registre du commerce et des sociétés pour les commerçants et du répertoire des métiers pour les artisans, lesquels peuvent avoir à s'inscrire aussi au registre du commerce. L'enregistrement de la déclaration en assure la publicité, via les mécanismes de publicité qui découlent de la tenue et de la centralisation des registres, en particulier du registre du commerce et des sociétés.

Pour les entrepreneurs qui ne sont pas tenus de s'inscrire à un de ces deux registres, parmi lesquels on trouve notamment, par exception aux règles d'immatriculation, tous les auto-entrepreneurs, le projet de loi institue un registre spécial pour les déclarations d'affectation de patrimoine professionnel au greffe du tribunal de commerce, responsable par ailleurs de la tenue du registre du commerce et des sociétés. Les modalités de publicité de ce registre seront fixées par décret en Conseil d'Etat.

En second lieu, la déclaration constitutive comporte des éléments de nature à faire état précisément de la composition et de la valeur du patrimoine, à savoir un état descriptif complet de tous les éléments affectés, ainsi que la mention de l'objet de l'activité professionnelle.

b) La publicité lors de l'évolution du patrimoine affecté

Une fois le patrimoine affecté, la publicité de sa composition et de sa valeur reste nécessaire, car il est appelé à évoluer au gré de l'activité professionnelle dont il est le support.

La simplicité commande évidemment qu'il n'y ait pas lieu à déposer chaque année, par exemple, une déclaration actualisée de la composition et de la valeur du patrimoine 23 ( * ) . Les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée étant assujettis à une obligation de tenir une comptabilité autonome, reprenant les obligations comptables des commerçants (articles L. 123-12 à L. 123-27 du code de commerce), le texte prévoit l'annexion chaque année des comptes annuels au registre de la déclaration constitutive. Cette formalité a pour but d'assurer la publicité de l'évolution du patrimoine, tant dans sa composition que dans sa valeur. En effet, les comptes annuels comportent, en application de l'article L. 123-12, le bilan, le compte de résultat et éventuellement une annexe. Selon l'article L. 123-14, « les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise ». Ainsi, le bilan de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée fera apparaître l'actif et le passif du patrimoine affecté, et donc son évolution d'une année à l'autre. Les éléments supplémentaires qui auront été affectés, sous réserve des règles d'affectation spécifiques à certains biens, y figureront. De même, hors le cas de l'affectation obligatoire des biens nécessaires à l'activité professionnelle, les éléments mixtes qui auront été retirés du patrimoine n'y figureront plus, sous réserve du traitement fiscal approprié de ces retraits. Les créanciers pourront ainsi connaître chaque année la teneur du gage de leurs créances.

Pour les entrepreneurs relevant du régime des micro-entreprises, de l'évaluation forfaitaire des bénéfices agricoles et du régime déclaratif spécial des bénéfices non commerciaux, le texte prévoit des obligations comptables simplifiées définies par décret en Conseil d'Etat. Les documents résultant de ces obligations simplifiées devront également être annexés, chaque année, au registre de la déclaration constitutive. Pour simplifiées qu'elles doivent être, ces obligations devront néanmoins permettre de connaître les évolutions du patrimoine affecté, tant dans sa composition que dans sa valeur.

Par ailleurs, en cas de liquidation après renonciation ou décès, reprise après décès, cession à titre onéreux ou apport en société, le texte prévoit des formalités particulières de publicité, généralement une déclaration déposée au registre de la déclaration initiale.

Concernant plus particulièrement le retrait d'éléments utilisés dans l'exercice de l'activité ou, dans une moindre mesure, d'éléments qui ne seraient plus nécessaires ou utilisés en raison de l'évolution de l'activité, il convient de préciser que le patrimoine affecté se doit d'avoir une certaine stabilité pour répondre à sa vocation de gage des créances professionnelles. Quand bien même les comptes annuels retraceraient ces évolutions, il n'est pas dans l'intérêt des entrepreneurs individuels de retirer intempestivement de leur patrimoine affecté des éléments importants qui s'y trouvent.

3. Une protection du patrimoine personnel qui n'est pas absolue

Le texte n'interdit nullement, ainsi que l'a indiqué le Premier ministre dans son discours du 3 décembre 2009, que des sûretés soient constituées en dehors du patrimoine affecté à la demande de créanciers professionnels, et en particulier des établissements de crédit que l'entrepreneur sollicite en vue du financement ou de la trésorerie de son activité. Ainsi, une banque pourra toujours exiger, par exemple, une sûreté réelle sur la résidence principale ou la caution personnelle du conjoint de l'entrepreneur. Ce type de garanties ne s'exerce pas à la demande des fournisseurs.

Dans ces conditions, l'étanchéité des patrimoines ne peut pas être complète et les patrimoines sont distincts et non étanches l'un pour l'autre, sauf à ce que l'entrepreneur n'ait pas besoin de crédit ou bien soit en mesure de présenter des garanties suffisantes au sein de son patrimoine affecté. Ceci plaide en faveur, au demeurant, de la possibilité d'affecter plus que les seuls biens nécessaires, de façon à offrir aux créanciers le gage le plus étendu possible, de sorte que celui-ci puisse se suffire à lui-même.

* 22 A titre d'exemple, concernant l'impôt sur la fortune, l'article 885 N du code général des impôts dispose que : « Les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels. »

* 23 La proposition de loi examinée par le Sénat en 2000 prévoyait dans sa rédaction initiale cette formalité pour assurer chaque année la publicité de la composition et de la valeur du patrimoine.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page