EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
La République décentralisée a, aujourd'hui, atteint l'âge de la maturité et celui d'un nouveau bilan.
L'acte fondateur de 1982 a été, à plusieurs reprises, amendé pour approfondir les libertés et la démocratie locales, garantir l'autonomie financière des collectivités, amplifier et sécuriser les transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités locales, assouplir les outils de gestion, encourager les regroupements, la coordination des politiques et la mutualisation des moyens.
En 2003, la décentralisation a été consacrée par son incorporation aux principes fondamentaux de la République lors de la révision constitutionnelle.
A l'échelle nationale, les collectivités locales représentent 200 milliards d'euros de dépenses totales (la moitié environ des dépenses des régimes de base de la Sécurité sociale), 73 % de l'investissement public, 1.748.378 agents territoriaux, 503.000 élus locaux investis au service de leurs concitoyens.
Au quotidien, c'est l'action sociale, l'assainissement, l'élimination des déchets ménagers, les trains régionaux, les routes, les collèges et les lycées, les transports scolaires, les infrastructures sportives, la formation professionnelle, les aides aux entreprises, l'urbanisme...
Mais les réussites de la gestion locale ne peuvent masquer la complexité et les lourdeurs du paysage institutionnel, sources de lenteurs et de coûts. En effet, l'action locale a été confrontée à la fois aux résistances de l'Etat jacobin qui a entrepris tardivement d'adapter ses services à l'allègement de ses compétences et à son désengagement sur le territoire par le double effet de la réduction de la dépense publique et du respect -parfois préventif- des contraintes communautaires destinées à assurer le libre jeu de la concurrence : c'est le cas de la suppression progressive de « l'ingénierie concurrentielle » qui conduit les intercommunalités et les départements à pallier le retrait de l'Etat auprès des petites communes rurales. L'administration décentralisée souffre également d'empiètements de structures et de compétences ainsi que de l'émiettement communal auquel l'intercommunalité n'a que partiellement remédié.
Deux rapports récents ont fait des propositions pour remédier à ces problèmes et ont inspiré en partie le présent projet de loi : le premier est issu des travaux de la mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, présidée par le sénateur Claude Belot et dont les rapporteurs étaient M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault 1 ( * )2 ( * ) ; le second est le résultat des réflexions du comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par M. Edouard Balladur 3 ( * ) , mis en place le 22 octobre 2008 par le Président de la République pour préparer la réforme territoriale.
Par ailleurs, un des volets importants de celle-ci est déjà adopté, la loi de finances initiale pour 2010 ayant remplacé la taxe professionnelle par un nouvel impôt économique local 4 ( * ) .
L'heure est venue de procéder aux ajustements nécessaires des structures territoriales.
I. UNE GOUVERNANCE TERRITORIALE INABOUTIE ET VICTIME DE SA COMPLEXITÉ
La décentralisation a souffert tout à la fois de son application à un paysage territorial figé et des difficultés de l'Etat à accepter la nouvelle donne.
A. UNE GESTION LOCALE CONTRAINTE PAR LES STRATIFICATIONS ET LES ENCHEVÊTREMENTS DE SON ORGANISATION
En 1982, la décentralisation s'est appliquée à la carte locale telle qu'elle existait avec ses communes et ses départements, auxquels a été ajouté le niveau régional érigé en collectivité territoriale de plein exercice. Ni cet empilement pyramidal, ni le format de chacun des étages n'ont été remis en cause.
1. La multiplication des acteurs
Lorsqu'il s'est agi d'élaborer des projets dépassant le seul périmètre communal pour développer le territoire, harmoniser les services offerts aux usagers, regrouper les moyens pour conduire des politiques plus efficientes et coordonnées, on eut recours aux groupements communaux, superposés à la cellule communale. Ce sont, certes, des établissements publics obéissant au principe de spécialité ; il n'en demeure pas moins, même si leur réussite est, dans l'ensemble, incontestable, qu'ils constituent un quatrième niveau et n'ont pas participé à la clarification du paysage local.
Le législateur a encore complexifié l'organisation territoriale par l'institutionnalisation, en 1995, des pays conçus comme des groupements de collectivités, expression de communautés d'intérêts de leurs membres et le cadre d'élaboration « d'un projet commun de développement durable » 5 ( * ) . Si certains ont pleinement rempli le rôle qui leur avait été assigné, d'autres se sont constitués en instrument de contestation du pouvoir local. Au bout du compte, ces structures ont contribué à altérer la lisibilité de l'organisation territoriale en apparaissant comme un niveau supplémentaire de gestion, le cinquième.
Si l'on ajoute à cette liste les 15.636 syndicats intercommunaux ou mixtes créés pour gérer des services et élaborer les SCOT (schémas de cohérence territoriale), on aboutit à un ensemble confus, multipolaire, avec des chevauchements de périmètre qui réduisent l'efficience de la gestion locale. Ce résultat souffre également de l'existence d'intercommunalités qui n'ont pas toutes été créées sur des territoires pertinents à l'aune de critères géographiques, économiques... Les périmètres sont parfois trop petits pour répondre véritablement à leur raison d'être qui, ne l'oublions pas, est « d'élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité » 6 ( * ) .
S'y ajoute la création « d'intercommunalités de défense » conçues préventivement par un refus de coopérer avec d'autres collectivités. Elles sont créatrices de conflits et apportent peu d'amélioration.
La lisibilité de la carte locale est encore affaiblie par le découpage cantonal qui, en zone urbaine, ne permet pas toujours une grande visibilité de l'action départementale. Cette confusion est d'autant plus regrettable que les administrés, devenus, au fil du temps, des consommateurs de services publics, perçoivent mal, voire pas du tout, l'ampleur et l'importance des politiques départementales.
Cette observation peut être élargie à l'ensemble des niveaux de collectivités territoriales : on constate une méconnaissance ou une banalisation du travail réalisé par les élus locaux qui, non seulement, concourent à assurer le fonctionnement des services publics et à faciliter le quotidien des administrés mais contribuent, de façon décisive, à maintenir la cohésion de la société.
Le maillage du territoire national par les collectivités locales est précieux et indispensable. Il est cependant trop confus.
Cette complexité est amplifiée par la répartition des compétences entre les différents niveaux.
* 1 Rapport d'étape sur la réorganisation territoriale (Sénat, n° 264, 2008-2009) , établi par la mission sénatoriale présidée par M. Claude Belot.
* 2 Faire confiance à l'intelligence territoriale, rapport d'information n° 471 (2008-2009) de M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales.
* 3 « Il est temps de décider », rapport du comité pour la réforme des collectivités locale présidé par M. Édouard Balladur, remis au Président de la République, mars 2009.
* 4 Rapport général n°101 (2009-2010) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2009.
* 5 Cf. art. 22 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
* 6 Cf. art. L. 5210-1 du code général des collectivités territoriales.