2. Une extension nécessaire du champ de la recherche ?
La distinction entre les différentes catégories de recherches médicales n'est pas évidente. En témoigne la forte attractivité du régime mis en place par la loi Huriet-Sérusclat pour les recherches biomédicales. Dans un premier temps, certains comités de protection des personnes, partisans d'une interprétation large des dispositions « y incluaient également les études purement scientifiques et sans finalité diagnostique ou thérapeutique directe à l'égard du patient telles que les recherches en physiologie du sport, en ergonomie, en diététique, en cosmétologie, les essais en milieu sous-marin ou en apesanteur » 15 ( * ) . C'est pour limiter le champ d'application de l'article L. 1121-1 du code que la loi de santé publique a remplacé les termes « essais ou expérimentation » par celui, jugé plus précis, de « recherche » . Néanmoins, la nécessité de prendre en compte l'ensemble des recherches médicales, alors même que le droit communautaire ne s'intéresse qu'aux médicaments et dispositifs médicaux relevant d'une autorisation de mise sur le marché, a amené le législateur à tenter de définir quels types précis de recherches pouvaient bénéficier d'un régime juridique autonome par rapport à la recherche biomédicale.
La loi Huriet-Sérusclat avait posé une distinction entre les recherches « dont on attend un bénéfice thérapeutique direct pour la personne qui s'y prête » et les recherches « sans finalité thérapeutique directe » , le régime de ces dernières étant beaucoup plus contraignant en termes de risque ( « aucun risque sérieux prévisible » ) et de personnes susceptibles de participer aux essais. Cette distinction, fondée sur l'intérêt de la personne participant à la recherche, constituait un important progrès par rapport à la distinction historique entre recherche individuelle à finalité thérapeutique et recherche collective à finalité cognitive. Pourtant, en ne s'en séparant pas totalement, elle conduisait, selon le comité national consultatif d'éthique 16 ( * ) (CCNE), « à rendre floue la distinction entre recherche et soins » . Or, les deux démarches sont distinctes. Alors que le soin est fondé sur le dialogue entre médecin et patient, la recherche repose sur une démarche épistémologique tendant à la validation d'hypothèses. Comme le souligne le CCNE, l' «objectivation du malade dans la recherche expérimentale est un réquisit méthodologique » . Il est donc très dangereux, du point de vue éthique, de présenter la recherche comme une forme de soins renforcée, ainsi que certains promoteurs et investigateurs continuent à le faire. En effet, « ce fut précisément tout l'apport de la loi Huriet que d'avoir construit un cadre juridique spécifique qui autonomise la recherche au sein des pratiques médicales » 17 ( * ) . Pratiquement, la difficulté à conduire des recherches sans bénéfice thérapeutique direct et à appréhender la nature d'un tel bénéfice avait pu conduire à des classifications abusives d'activités de recherche en tant que recherches biomédicales : « au nom d'un prétendu bénéfice direct pour leur santé, on a pu exposer aux aléas de la recherche des individus vulnérables, bafouant l'intention initiale du législateur qui était de leur accorder une protection particulière » .
Pour remédier à cette difficulté, la loi de santé publique du 9 août 2004 a unifié le régime des recherches biomédicales, désormais appréciées selon un rapport bénéfice/risque, mais a décidé d'en exclure les « recherches visant à évaluer les soins courants, autres que celles portant sur les médicaments, lorsque tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle mais que des modalités particulières de surveillance » sont prévues 18 ( * ) . Ces modalités particulières de surveillance doivent figurer dans un protocole soumis à un comité de protection des personnes territorialement compétent appelé à se prononcer sur l'autorisation de la recherche 19 ( * ) . Mais la recherche en soins courants n'a eu que peu de succès sans doute à cause de sa « qualification hybride » 20 ( * ) . En effet, elle tend à simplifier les procédures nécessaires pour mener ce type de recherches sans l'affranchir totalement du système de contrôle mis en place par la loi sur les recherches biomédicales ni le définir exactement malgré les dispositions de l'article R. 1121-3 du code de la santé publique issues du décret n° 2006-477 du 26 avril 2006.
La détermination d'un régime spécifique dans lequel pourraient s'insérer les recherches des promoteurs institutionnels ne concernant pas la mise sur le marché de médicaments ou dispositifs médicaux n'a donc pas été possible jusqu'à aujourd'hui, faute d'un critère de distinction entre soins et recherche juridiquement solide et éthiquement fondé.
Par ailleurs, depuis la loi de santé publique du 9 août 2004, sont exclues de l'application des dispositions relatives aux recherches biomédicales les « recherches dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle, sans aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic ou de surveillance » 21 ( * ) . Ces recherches sont qualifiées de « non interventionnelles » par l'article R. 1121-2 du code de la santé publique issu du décret du 26 avril 2006 précité. Il s'agit en fait des études de données, épidémiologiques par exemple, ne nécessitant aucun acte supplémentaire par rapport à la prise en charge thérapeutique dont bénéficie le patient mais reposant sur la collecte et l'exploitation des données médicales. Cette distinction rejoint celle faite par l'Association médicale mondiale, créée en 1947 et à l'origine de la déclaration d'Helsinki : la deuxième édition de son manuel d'éthique médicale, paru en 2009, sépare ainsi la recherche médicale destinée à mieux comprendre la physiologie humaine et la recherche médicale non physiologique, au sein de laquelle figurent les recherches épidémiologiques ainsi que les recherches sur les systèmes de santé.
En dehors des recherches biomédicales dont le régime légal, appuyé sur le droit communautaire, est stabilisé depuis 1988, le droit applicable aux autres types de recherche médicale est donc encore en quête d'une cohérence qui garantisse sa sécurité et son caractère éthique.
L'évolution de la recherche est indissolublement liée, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au développement de l'éthique. Quelles que soient les évolutions législatives, le plus haut niveau de protection pour les personnes participant à la recherche doit être garanti.
* 15 Danièle Cristol, la révision de la « loi Huriet » par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, revue de droit sanitaire et social, 2004, p. 285.
* 16 Avis n° 79, transposition en droit français de la directive européenne relative aux essais cliniques de médicaments : un nouveau cadre éthique pour la recherche sur l'homme, 18 septembre 2003.
* 17 Danièle Cristol, article précité.
* 18 Article 88 de la loi figurant désormais à l'article L. 1121-1, 2° du code de la santé publique.
* 19 Conformément à l'article 31 de la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche, repris à l'article L. 1121-1 précité.
* 20 Anne-Sophie Ginon, la recherche en soins courants : une qualification hybride, revue de droit sanitaire et social, 2006, p. 1029.
* 21 Article L. 1121-1, 1°, du code de la santé publique.