2. La menace balistique et la question de la défense antimissile
La prolifération des missiles balistiques a été identifiée parmi les menaces nouvelles susceptibles d'affecter tant les forces déployées en opérations que le territoire et les populations.
Il faut ici distinguer la question de la protection de points ou de zones , notamment lors des opérations extérieures, face aux missiles de théâtre à courte ou moyenne portée, et la protection de l'ensemble d'un territoire qui, dans le cas français, concernerait plutôt les missiles balistiques à longue portée.
Le premier domaine fait l'objet de développements en France depuis plusieurs années, alors que le second relève d'une ambition que les Etats-Unis sont véritablement les seuls, aujourd'hui, à s'être fixés, avec l'objectif, au prix d'investissements considérables, de pouvoir protéger le territoire américain face au tir d'un nombre restreint de missiles balistiques.
Les travaux du Livre blanc et le projet de loi de programmation ont établi, pour la France, deux objectifs :
- d'une part la poursuite des programmes de missiles sol-air Aster , qui permettront d'acquérir une première capacité limitée contre les missiles balistiques de théâtre les moins sophistiqués ;
- d'autre part, la constitution d'une capacité d'alerte avancée , pour la détection des tirs de missiles balistiques.
Cette capacité de détection et d'alerte avancée participera tant à la fonction « connaissance et anticipation », en permettant de surveiller les essais balistiques et en renforçant l'autonomie d'appréciation des situations, qu'à la dissuasion, celle-ci étant renforcée par l'identification de tout agresseur potentiel qui s'exposerait ainsi à des représailles. Elle sera ouverte à la coopération européenne.
En l'état actuel de la planification, l'alerte avancée n'est pas intégrée dans un projet de protection contre les missiles balistiques à longue portée qui, par ses implications techniques et par son coût, dépasserait largement les possibilités françaises et même européennes. Toutefois, les différents programmes concernés touchent à des technologies et des capacités susceptibles de concourir à la détection, au suivi et à l'interception de missiles balistiques.
Il faut noter que la prochaine programmation sera essentiellement consacrée à des travaux de conception ou de développement. Les échéances de mise en service opérationnelle sont fixées en fin de décennie prochaine pour l'alerte avancée, et au-delà de 2020 pour les radars d'acquisition et de trajectographie.
L'articulation du calendrier français avec l'évolution des différents travaux en cours à l'OTAN sur la défense antimissile constituera un enjeu important au cours des prochaines années.
- L'alerte avancée
Le Livre blanc prévoit une capacité de détection et d'alerte avancée avec trois objectifs principaux :
- développer les capacités de surveillance de la prolifération afin d'acquérir une autonomie d'appréciation des situations ;
- déterminer l'origine des tirs et caractériser les vecteurs attaquants afin de contribuer à l'identification des agresseurs ;
- favoriser l'alerte des populations à partir de l'estimation des zones visées.
L'alerte avancée reposera sur deux types de capteurs complémentaires:
- des capteurs optiques spatiaux (satellites géostationnaires ou défilant) ;
- des capteurs terrestres , à savoir des radars UHF très longue portée.
Le lancement le 12 février 2009 des deux satellites Spirale constitue la première étape de la constitution d'une capacité d'alerte avancée. Composé de deux micro-satellites dotés d'un instrument d'observation infrarouge, ce démonstrateur est destiné à l'acquisition en orbite de signatures de fond de Terre en vue de spécifier, ultérieurement, un système opérationnel.
Les données recueillies par Spirale seront exploitées pour lancer, « au plus tard en 2012 » aux termes du projet de loi, la conception et la réalisation des radars de très longue portée et d'un satellite d'alerte.
Selon les informations fournies à votre rapporteur, la mise en place de l'alerte avancée devrait être effective en 2019 .
La composante « radar très longue portée » et son système de contrôle seront réalisés partiellement en 2015, avec un démonstrateur représentant environ le quart de la taille du futur système. La mise en service opérationnelle complète du système radar à très longue portée est prévue à partir de 2018.
Le développement de la composante spatiale devrait être lancé en 2011 pour permettre la mise sur orbite d'un satellite d'alerte en 2019 .
Le projet de loi indique que « compte tenu de son caractère stratégique pour l'Europe, une coopération européenne est recherchée sur le programme de détection et d'alerte avancée ».
- Les radars de trajectographie et d'acquisition
Le suivi des missiles balistiques, après leur détection, exige des moyens spécifiques.
Sont ainsi prévus, à terme, 2 systèmes radar de trajectographie et d'acquisition .
Le radar modulaire, mobile, multifonctions M3R est un radar de veille, de trajectographie et d'acquisition d'une portée de détection de l'ordre de 600 km. Son utilisation est prévue avec le système sol-air SAMP/T, destiné notamment à la protection contre les missiles balistiques à courte portée. C'est le radar M3R qui donnera au système sol-air le préavis et les informations nécessaires pour engager la cible.
La perspective de mise en service des radars M3R est lointaine. Selon les indications fournies à votre rapporteur, la commande n'est prévue qu'en 2018 pour des livraisons en 2021 et 2022.
- Le système SAMP/T
Le système sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T) est destiné à la défense antiaérienne du corps de bataille et des bases aériennes. Il possède une capacité duale de protection contre la menace conventionnelle (avion, missiles de croisière) et d' interception limitée face à la menace de missiles balistiques dits « rustiques », de portée inférieure ou égale à 600 km (missiles balistiques de 1 ère génération de type Scud B et C). L'interception intervient à une portée relativement courte (10 km du point de tir de l'intercepteur) et la surface protégée de l'ordre de quelques centaines de km². Le système fonctionne avec le radar mobile Arabel, dont la portée de détection est de 60 km (120 km sur désignation d'objectif extérieure).
La cible du programme a été ramenée à 10 systèmes (au lieu de 12) et 375 missiles Aster 30 (au lieu de 475). Les 10 systèmes commandés seront livrés entre 2009 et 2012. Le SAMP/T sera mis en service opérationnel à partir de 2010.
Les capacités du SAMP/T sont appelées à évoluer.
D'une part, la mise en service des radars M3R permettra d'allonger la distance d'acquisition du missile assaillant.
D'autre part, la version initiale dite « block 1 » devrait en principe être suivie, à une échéance aujourd'hui non définie, d'une version « block 2 » capable d'intercepter des missiles de portée supérieure.
- Les liens avec les travaux de l'OTAN en matière de défense antimissile
L'OTAN a engagé depuis plusieurs années un programme de défense antimissile de théâtre ( Active Layered Theatre Balistic Misile Defense - ALTBMD ) visant à l'acquisition d'une capacité collective de commandement et de conduite (C2) d'un système de défense anti-missiles pour protéger les troupes déployées de missiles agresseurs de portée maximale de 3 000 km. Les systèmes d'armes seront quant à eux fournis par les nations et devront pouvoir se connecter sur le système de l'OTAN ainsi que sur les informations d'alerte avancée. Dans un premier temps, l'OTAN prévoit de mettre en place une capacité 1, dite de basse couche, pour intercepter des missiles assaillants d'une portée maximale de 1 500 km. Ultérieurement, la capacité 2 viserait l'interception de missiles assaillants d'une portée de 3 000 km.
La France a prévu de contribuer au programme ALTBMD avec le système SAMP/T et ultérieurement les radars M3R.
L'OTAN est également saisie de la question plus large de la protection du territoire européen de l'Alliance, en liaison avec le projet d'installation en Europe d'un « troisième site » du programme américain de Missile defense . Les discussions portent sur l'intérêt de compléter ce programme en y adjoignant des capacités fournies par les alliés européens. Pour l'heure, ce dossier est suspendu à la réévaluation, par l'administration américaine, de l'opportunité de poursuivre le projet d'installation en Europe d'éléments destiné à protéger le territoire des Etats-Unis.
Ce dossier appelle une vigilance particulière, étant donné le double risque de s'engager dans des investissements coûteux qui ne correspondraient pas à nos priorités ou à nos intérêts et, d'autre part, à l'inverse, de ne pas être en mesure de peser sur de futurs développements intéressant l'Europe.