INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi soumis à l'examen de notre Haute Assemblée a été présenté en Conseil des ministres par Mme Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, le 24 juin 2009, soit juste un an après le dépôt, sur le Bureau du Sénat, du projet de loi visant à favoriser la diffusion et la protection de la création sur Internet qu'il tend à compléter : il tire en effet les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel qui a censuré, partiellement, certaines des dispositions adoptées par le Parlement il y a quelques semaines.

Ce projet de loi constitue ainsi une nouvelle étape dans la traduction législative des engagements pris par les professionnels concernés dans le cadre de l'« accord de l'Elysée » pour le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux. Rappelons que, faisant suite à une mission confiée à M. Denis Olivennes, cet accord a été signé le 23 novembre 2007 par les principaux représentants des secteurs de la musique, du cinéma et de l'audiovisuel et les fournisseurs d'accès à Internet.

Nul besoin de préciser, une nouvelle fois, les raisons pour lesquelles ce texte répond à des attentes très fortes des acteurs de la création artistique.

Son objectif consiste en effet à lutter d'une façon efficace et adaptée contre le « piratage » des oeuvres protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin sur les réseaux numériques, qui est devenu, ces dernières années, un phénomène de masse avec le développement considérable de l'Internet à haut débit. Or, il fragilise le monde de la création et fait peser une menace, à terme, sur notre diversité culturelle.

Attendu, ce projet de loi l'est d'autant plus qu'il s'inscrit au terme d'un long processus législatif.

En effet, examiné en première lecture par le Sénat en octobre 2008 dans un esprit consensuel et constructif, le projet de loi « Création sur Internet » a suscité des débats passionnés et chaotiques à l'Assemblée nationale, laquelle, rappelons le, a rejeté les conclusions auxquelles était parvenue la commission mixte paritaire réunie le 7 avril 2009. Après une nouvelle lecture, ce texte a été définitivement adopté le 13 mai 2009.

Enrichie sur de nombreux points par le Sénat, cette loi consacre des avancées majeures et traduit, dans un souci d'équilibre, les deux volets intimement liés qui ressortent de l'accord de l'Elysée :

- l'objectif de protection des droits des créateurs, par la mise en place d'un dispositif avant tout préventif et pédagogique, dont la mise en oeuvre est confiée à une autorité administrative indépendante : la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) ;

- et, en parallèle, l'incitation au développement d'une offre légale de biens culturels sur les réseaux numériques, diversifiée et de qualité.

Sans remettre en cause les grands principes de ce texte et les principales avancées dont il est porteur, le Conseil constitutionnel, saisi par cent quatre-vingt-quatre députés, a censuré, néanmoins, les dispositions du projet de loi relatives aux sanctions susceptibles d'être prises par la HADOPI à l'encontre des internautes contrevenants.

Il a considéré que la suspension de l'accès à Internet - sanction certes innovante, mais que nous avions jugée pédagogique, adaptée et suffisamment dissuasive - portait une atteinte à la liberté d'expression et de communication au regard de l'importance prise par Internet dans notre société : aussi, seul un juge serait habilité à la prononcer.

Le projet de loi vient tirer toutes les conséquences de cette décision.

Si la loi « Création sur Internet » a été promulguée le 12 juin 2009, il était nécessaire de la compléter au plus vite pour donner au dispositif qu'elle met en place toute sa portée dissuasive : chacun sait en effet que, quel que soit le domaine concerné, l'action préventive est d'autant plus crédible et efficace qu'il existe, au bout du compte, la menace réelle de la sanction. Encore faut-il que la sanction soit adaptée pour être effectivement appliquée.

Le projet de loi prévoit, en ce sens, une procédure assez souple pour répondre à ces enjeux, mais aussi suffisamment rigoureuse pour garantir pleinement le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Dans les délais extrêmement brefs dont elle a disposé pour l'examiner, votre commission s'est attachée à compléter ce texte pour en renforcer la lisibilité, l'intelligibilité et la cohérence, en consolider la portée pédagogique et dissuasive et encadrer ses conditions de mise en oeuvre.

I. LE RAPPEL D'UNE DOUBLE EXIGENCE : LA LUTTE CONTRE LE « PIRATAGE » DES oeUVRES CULTURELLES SUR INTERNET ET LE DÉVELOPPEMENT DE L'OFFRE LÉGALE

A. MAINTENIR LA DIVERSITÉ CULTURELLE ET PRÉSERVER LA CRÉATION ARTISTIQUE

Plus d'un Français sur deux a aujourd'hui accès à l'Internet haut débit et l'évolution des technologies a conduit à la généralisation de l'usage d'oeuvres sous forme numérique. Cette évolution constitue une chance pour le développement de l'économie immatérielle dans notre pays, sous réserve cependant qu'elle ne s'effectue pas au détriment des industries et des artistes concernés.

Or, ainsi que votre rapporteur l'avait longuement développé dans le rapport présenté au nom de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la diffusion et à la protection de la création sur Internet, le piratage des oeuvres a des conséquences dramatiques pour l'économie des industries culturelles et le financement de la création.

Votre rapporteur rappellera seulement que l'on estime à environ un milliard le nombre de fichiers d'oeuvres illégalement échangés en France chaque année. Les oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques sont les plus concernées, mais tel est aussi de plus en plus le cas des logiciels et jeux vidéo ainsi que des livres.

L'ensemble des études internationales relatives au piratage des oeuvres culturelles sur les réseaux numériques placent régulièrement la France dans le peloton de tête des pays les plus concernés par l'échange illégal de fichiers, phénomène explicable notamment par un taux élevé de pénétration de l'ADSL et par la pratique commerciale des abonnements sans limitation de débit, moins répandue à l'étranger. Ainsi, selon l'étude de novembre 2008 du cabinet Equancy, l'abonné français à Internet consacre 512 minutes par mois à l'échange (légal et illégal) de fichiers, contre 301 minutes en Allemagne, 264 aux États-Unis et 227 minutes au Royaume-Uni.

Les conséquences du « piratage » de masse sont à la fois économiques et culturelles.

L'impact est considérable sur le chiffre d'affaires des industries concernées et sur le renouvellement de la création : le marché du disque en France a baissé de plus de 50 % en volume et en valeur au cours des cinq dernières années.

Ceci s'est traduit aussi bien sur l'emploi des maisons de production (baisse de 30 % environ, sachant que 99 % des entreprises comptent moins de 20 salariés) que sur le nombre de nouveaux artistes contractant chaque année (baisse de 40%) ; le chiffre d'affaires de la vidéo a diminué pour sa part de 35 % au cours de la même période. Au total, l'impact du piratage pour l'année 2007 a été estimé par l'étude Equancy précitée à 1,2 milliard d'euros tous secteurs confondus (musique, cinéma, télévision, livre), représentant une destruction nette de 5 000 emplois directs et, calculé à partir d'un taux de TVA de 19,6% applicable au disque et à la vidéo, un préjudice pour les finances publiques d'environ 200 millions d'euros par an...

Le préjudice est aussi culturel, alors que la France dispose de l'une des industries de contenus les plus fortes du monde.

Il est donc aujourd'hui indispensable de limiter le piratage des oeuvres sur Internet et d'encourager l'accès à l'offre légale d'oeuvres, afin de préserver les industries culturelles et des artistes, et de permettre leur développement, voire leur survie, car leur rémunération repose pour l'essentiel sur le droit d'auteur et sur les droits voisins.

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