EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture la proposition de loi n° 156 (2006-2007) tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse.
Présentée le 16 janvier 2007 à l'initiative de la commission des lois par notre excellent collègue Nicolas Alfonsi, cette proposition avait d'abord été modifiée par votre commission des lois, puis adoptée par le Sénat en séance publique le 13 février 2007.
En raison de sa date d'adoption par la Haute assemblée, cette proposition de loi n'avait pas pu être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale avant la fin de la XII e législature. Après avoir été à nouveau déposée à la Présidence de l'Assemblée nationale au début de la XIII e législature, elle a été adoptée avec modifications par les députés le 18 juin 2009.
La présente proposition de loi permet d'améliorer le mode de scrutin de l'Assemblée de Corse qui, dans sa forme actuelle, favorise l'éclatement des listes et, de ce fait, rend difficile la constitution de majorités stables et fortes.
Cette situation est peu compatible avec le rôle crucial de l'Assemblée de Corse dans la vie politique et institutionnelle locale. Continûment renforcée dans ses pouvoirs depuis sa création en 1982 1 ( * ) , l'Assemblée est en effet entravée par l'éclatement des groupes qui la composent. Pour un total de 51 membres, l'Assemblée de Corse est actuellement fragmentée en dix groupes, dont trois qui comptent seulement deux membres ; en outre, le groupe majoritaire n'est composé que de 16 membres, qui représentent moins d'un tiers des suffrages. Dès lors, en l'absence d'une majorité de gestion stable, les prérogatives importantes qui sont confiées à l'Assemblée par la loi 2 ( * ) peinent à s'exercer pleinement.
Ce constat justifie l'accélération de la procédure législative : il est indispensable que le mode de scrutin de l'Assemblée de Corse soit réformé avant les élections régionales de mars 2010, afin de permettre aux membres de l'Assemblée de Corse d'assumer effectivement leurs compétences lors de la prochaine mandature.
Comme votre rapporteur l'avait déjà souligné à l'occasion de la première lecture, le mode de scrutin actuel de l'Assemblée de Corse favorise sa « balkanisation ».
Bien que l'Assemblée de Corse soit, comme les conseils régionaux et les communes de plus de 3.500 habitants, élue au scrutin de listes à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, elle présente des singularités qui favorisent l'éparpillement des suffrages et la multiplication des groupes :
- la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête des suffrages est particulièrement faible (trois sièges), ce qui interdit la mise en place de majorités fortes ;
- aucun seuil de fusion des listes entre les deux tours n'a été fixé 3 ( * ) , ce qui incite à la multiplication des petites listes au premier tour et contribue à faire élire, in fine , des élus peu représentatifs en leur permettant de se greffer à des listes plus favorisées ;
- le niveau du seuil d'accès au second tour est extrêmement bas (5% des suffrages exprimés), permettant à de très nombreuses formations d'y être représentées 4 ( * ) et d'obtenir des sièges à l'Assemblée de Corse.
Pour répondre à ces problèmes, l'article 1 er de la proposition de loi issue des travaux du Sénat préconisait de fixer la prime majoritaire à six sièges (soit 12%), de porter le seuil d'accès au second tour à 7% des suffrages exprimés, et de créer un seuil de fusion des listes de 5%.
À titre de comparaison, on notera que les élections régionales et les élections municipales dans les communes de plus de 3.500 habitants sont régies par des dispositions nettement plus rigoureuses. En premier lieu, seules les listes ayant obtenu plus de 10% des suffrages exprimés au premier tour peuvent se maintenir pour le second. Ensuite, un candidat aux élections municipales ne peut changer de liste entre les deux tours que si sa liste originelle a obtenu au moins 5% des voix et ne se présente pas au second tour. Enfin, la prime majoritaire est de 25% des sièges pour les régionales, et elle atteint 50% pour les municipales.
Si ce mode de scrutin concourt à doter les assemblées locales du continent d'une majorité stable et forte, il ne semble toutefois pas adapté aux particularités de la Corse et aux aspirations de sa population, particulièrement attachée au pluralisme. Ainsi, malgré les modifications qui pourraient résulter de la proposition de loi initiée par le Sénat, le mode de scrutin de l'Assemblée de Corse devrait demeurer plus favorable aux petites listes que celui des organes délibérants comparables.
Il s'agit donc, non pas d'aligner la Corse sur le droit commun en méconnaissant les spécificités de sa sociologie politique et de la vie locale, mais de dégager un équilibre entre deux préoccupations majeures : d'une part, le respect des particularités politiques et organisationnelles de la Corse, et d'autre part, la nécessité de la doter d'institutions efficaces.
En outre, un autre facteur d'instabilité et de fragilité des majorités avait été soulevé par la proposition de loi de notre collège Nicolas Alfonsi : l'absence de délai prévu par le code électoral au terme duquel un élu de l'Assemblée de Corse devenu membre du conseil exécutif devrait démissionner de son premier mandat 5 ( * ) . En conséquence de cette lacune, une démission d'office immédiate est appliquée ; or, cette procédure contribue à fragiliser les majorités, dans la mesure où elle prive brutalement les groupes de leurs membres les plus influents.
Pour résoudre ce problème, l'article 2 de la proposition de loi met en place un délai d'un mois, conformément au délai de principe retenu pour la plupart des mandats locaux 6 ( * ) , pendant lequel les membres de l'Assemblée de Corse, bien qu'élus au conseil exécutif, n'y participeraient pas et pourraient continuer de prendre part aux scrutins. Un véritable délai d'option serait donc instauré , au terme duquel l'élu concerné devrait faire connaître son choix par écrit au représentant de l'Etat en Corse.
La majorité de ces préconisations ont été reprises, sans modification, par l'Assemblée nationale. Seul a été modifié le nombre de sièges attribué au titre de la prime majoritaire.
L'Assemblée nationale a en effet rejeté un amendement qui entendait rétablir un seuil de 5 % pour permettre aux listes d'accéder au second tour. En outre, elle a souhaité pousser plus loin la logique de la proposition de loi qui lui avait été transmise par le Sénat, en prévoyant que neuf sièges - et non plus six - devront être accordés à la liste victorieuse.
Cette modification n'implique pas la disparition des particularités du mode de scrutin de l'Assemblée de Corse, puisque la prime majoritaire sera portée à 18% des sièges : elle restera sensiblement inférieure aux pourcentages appliqués lors des autres scrutins de listes à la représentation proportionnelle.
Ainsi, cette disposition est parfaitement conforme à l'esprit initial de la proposition de loi. Animée par le « souci [...] de conforter la constitution d'une majorité tout en préservant le pluralisme », comme le précise le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, elle permet d'approfondir le mouvement voulu par le Sénat en première lecture, tout en respectant les spécificités de la collectivité de Corse.
Par conséquent, votre commission vous propose d'approuver cette modification et d'adopter le texte transmis par l'Assemblée nationale sans modification.
* 1 Loi n°82-214 du 2 mars 1982.
* 2 Aux termes de l'article L. 4422-15 du code général des collectivités territoriales, l'Assemblée de Corse « règle par ses délibérations les affaires de la Corse. Elle contrôle le conseil exécutif. / L'assemblée vote le budget, arrête le compte administratif, adopte le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse ».
* 3 Ainsi, au second tour des élections de 2004, sur 19 listes présentes au premier tour, 7 ont fusionné pour n'en présenter que 3.
* 4 10 listes étaient présentes au second tour lors des élections de 2004.
* 5 Article L. 4422-18 du code général des collectivités territoriales.
* 6 C'est par exemple le cas pour les situations d'incompatibilité entre plusieurs mandats locaux (article L. 46-1 du code électoral) et pour les situations d'incompatibilité touchant des conseillers régionaux (article L. 344 du code).