B. LES PROGRÈS ET LES POINTS CONTESTABLES DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE
1. Plusieurs avancées significatives
La proposition de directive fait progresser les droits des femmes enceintes sur trois points.
D'abord, elle porte le congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines . Si elle est adoptée, elle permettra d'augmenter la durée de ce congé dans dix-sept Etats membres, puisque seuls huit d'entre eux prévoient déjà une durée égale ou supérieure à dix-huit semaines. Il convient également de noter qu'un repos de dix-huit semaines est recommandé par l'organisation internationale du travail 15 ( * ) (OIT).
Ensuite, la directive crée un nouveau droit pour les travailleuses , celui « de bénéficier de toute amélioration des conditions de travail à laquelle elles auraient eu droit durant leur absence » 16 ( * ) . Si cette nouvelle règle constitue un progrès, elle reste cependant moins avantageuse que la législation française, qui accorde aux salariées qui reviennent d'un congé de maternité le bénéfice non seulement de l'amélioration des conditions de travail mais surtout, on l'a vu, des augmentations salariales octroyées en leur absence. L'alignement du droit communautaire sur les normes françaises représenterait donc, sur ce point, une perspective intéressante pour les salariées de l'Union.
Enfin, la proposition de directive prévoit que les Etats membres doivent prendre « les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'une travailleuse [...] ait le droit, pendant son congé de maternité [...] ou de retour de celui-ci, de demander à son employeur de modifier ses rythme et horaires de travail. ». Elle ajoute que « l'employeur est tenu d'examiner une telle requête en tenant compte des besoins des deux parties » 17 ( * ) . Comme on l'a noté, une telle possibilité n'est actuellement offerte, en France, que par certaines conventions collectives. La proposition de directive permettra donc d'en faire profiter l'ensemble des femmes enceintes salariées.
2. Les éléments qui appellent une modification du texte
En dépit des améliorations qu'elle promet, la proposition de directive comporte plusieurs dispositions qui, en l'état actuel, doivent être remaniées pour rendre l'ensemble du texte acceptable.
a) Des dispositions contraires au principe de subsidiarité
Pour présenter au Conseil et au Parlement la proposition de directive, la Commission s'est appuyée sur l'article 137 du traité instituant la Communauté européenne, en vertu duquel l'Union a compétence pour compléter l'action des Etats membres en matière de protection de « la santé et de la sécurité des travailleurs », de « protection sociale des travailleurs » et de promotion de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans le domaine professionnel.
Dans les champs énumérés à l'article 137, l'Union n'a donc qu'une compétence subsidiaire : toute intervention législative de sa part doit se limiter à poser les règles de principe que les Etats membres se chargent ensuite d'appliquer selon les modalités de leur choix.
Le principe de subsidiarité consiste à réserver à l'échelon supérieur uniquement ce qu'il peut effectuer plus efficacement que l'échelon inférieur. Appliqué à la Communauté européenne, il signifie que celle-ci ne doit légiférer que dans la mesure où son action sera plus efficace que celle des Etats membres. Le principe de subsidiarité a été introduit dans le droit communautaire par le traité de Maastricht. L'article 5 dispose en effet que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».
Le principe de subsidiarité ne s'applique qu'aux
questions relevant d'une compétence partagée entre la
Communauté et les Etats membres. Il ne concerne pas les domaines
relevant de la compétence exclusive de la Communauté (la
politique agricole commune par exemple), ni ceux dans lesquels elle
n'intervient pas du tout (par exemple le droit de la nationalité).
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Or, l'article 1 er de la proposition de directive, qui crée le nouveau congé de maternité de dix-huit semaines, dont six obligatoires après l'accouchement, prévoit également que « les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour faire en sorte que les travailleuses [...] aient le droit de choisir librement la période - avant ou après l'accouchement - à laquelle elles prennent la partie non obligatoire de leur congé de maternité ». Les Etats membres se voient ainsi privés de la possibilité d'inciter, ou même d'obliger, les femmes enceintes à prendre un congé prénatal.
Dans la mesure où elle définit les modalités d'application du congé de maternité à la place des Etats membres, une telle règle est contraire au principe de subsidiarité.
En outre, elle apparaît, sur le fond, injustifiée au regard de l'intérêt des salariées enceintes. En effet, on peut légitimement considérer que la faiblesse du taux de prématurité 18 ( * ) est justement liée à l'arrêt de l'activité professionnelle plusieurs semaines avant l'accouchement. Par ailleurs, le fait que 54 % des femmes enceintes obtiennent un congé pathologique avant la naissance 19 ( * ) , et interrompent donc leur activité huit semaines avant l'accouchement, révèle également le besoin pour une majorité d'entre elles de pouvoir se reposer, tant physiquement que mentalement, afin de préparer dans les meilleures conditions l'arrivée du nouveau-né.
Votre commission demande donc au Gouvernement de convaincre ses partenaires européens de supprimer la disposition en cause.
b) Des règles ambiguës à clarifier
La directive de 1992 prévoyait que l'indemnisation des salariées enceintes bénéficiant d'un congé de maternité ne devait pas être inférieure à celle accordée en cas de maladie.
Tout en reprenant ce principe, la proposition de directive introduit une nouvelle règle en vertu de laquelle l'indemnisation doit être au moins équivalente « au dernier salaire mensuel ou à un salaire moyen [...] dans la limite d'un plafond éventuel déterminé par les législations nationales 20 ( * ) ».
Le régime d'indemnisation qui résulterait de l'adoption de la proposition de directive apparaît donc peu clair : d'un côté, il semble garantir à toutes les femmes enceintes, en dessous d'un certain salaire, une compensation de 100 % de leur rémunération ; de l'autre, il laisse entendre qu'elles n'auraient droit qu'aux indemnités versées en cas de maladie.
Il est donc nécessaire de sortir de cette ambiguïté en supprimant la première règle issue de la directive de 1992. La proposition de directive ne peut en effet représenter un progrès que si elle accorde aux femmes, sans équivoque, une indemnisation à 100 % dans la limite d'un plafond global applicable à toutes les salariées, et déterminé par chaque Etat membre.
La disposition relative au congé supplémentaire octroyé en cas de naissance prématurée, d'hospitalisation de l'enfant à la naissance, de naissance d'un enfant handicapé ou de naissance multiple appelle également une clarification.
Certes, il est difficile de définir a priori des durées minimales et maximales pour ce type de congé, tant il dépend de la spécificité de chaque cas. Ceci étant, en l'état actuel de la rédaction, il suffirait aux Etats membres d'accorder simplement un seul jour supplémentaire de congé pour satisfaire aux obligations de la proposition de la directive.
Pour que ce nouveau droit ne soit pas fictif, il est donc nécessaire que le texte précise les grands principes de sa mise en oeuvre. Par exemple, il pourrait indiquer qu'en cas de naissance prématurée, la salariée bénéficie, pendant la période postnatale, des jours accordés au titre du congé prénatal qu'elle n'a pas pris.
De même, il est possible de définir une durée minimale de congé en cas de naissance multiple.
Votre commission propose que ce seuil soit fixé à trente-quatre semaines, soit la durée du congé alloué en France pour une naissance gémellaire.
c) Une remise en cause inacceptable de la présomption d'innocence
Dans un souci, certes légitime, de mieux défendre les droits des salariées enceintes, la proposition de directive prévoit que, dans les cas de contentieux concernant son application, la charge de la preuve soit inversée. Il suffirait donc à la salariée de présenter « des faits qui laissent présumer l'existence d'une [...] infraction » pour que l'employeur, à défaut de présenter des preuves mettant son comportement hors de doute, soit reconnu fautif.
Or, des faits qui laissent présumer l'existence d'une faute ne peuvent constituer une preuve de celle-ci .
Le dispositif juridictionnel introduit par la proposition de directive conduirait donc à créer une sorte de présomption de culpabilité, contraire au principe de présomption d'innocence.
Votre commission a déjà exprimé, à l'occasion de l'examen du projet de loi de transposition de cinq directives anti-discrimination 21 ( * ) , sa ferme opposition à la remise en cause de ce principe fondamental de la République. Le souhait compréhensible de protéger les droits des salariés, et des femmes enceintes en particulier, ne peut justifier un démantèlement d'un principe aussi essentiel à un Etat de droit.
Qui plus est, il existe d'autres procédés permettant de garantir le respect des droits des femmes enceintes. Faire peser sur l'employeur le risque de la preuve, c'est-à-dire estimer que les deux parties doivent prouver ce qu'elles avancent, mais qu'en cas de doute celui-ci profite à la salariée, permettrait de mieux protéger les femmes enceintes sans pour autant introduire une présomption de faute de l'employeur 22 ( * ) .
d) Un oubli regrettable du congé de paternité
On l'a vu, l'article 137 du traité donne compétence à l'Union pour compléter l'action des Etats membres visant à promouvoir l'égalité des chances, en matière professionnelle, entre les femmes et les hommes.
Or, il est évident qu'un tel objectif ne peut être atteint sans inciter les pères à s'impliquer davantage dans l'accueil des nouveau-nés.
A ce titre, il est regrettable que la proposition de directive ne comporte aucune disposition concernant le congé de paternité.
D'après les informations fournies par la Commission européenne, dix des vingt-cinq Etats membres ont déjà institué un tel congé : le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal, la Slovaquie et la Suède. Dans ces conditions, on peut légitimement penser que son introduction dans la proposition de directive, sans emporter immédiatement l'adhésion d'une majorité d'Etats membres, obtiendrait au moins le soutien d'une importante minorité d'entre eux qui pourrait le défendre et le promouvoir auprès de leurs partenaires.
Votre commission demande au Gouvernement de soutenir l'instauration d'un congé de paternité par la proposition de directive.
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Pour ces raisons, votre commission vous propose d'adopter la proposition de résolution dans la rédaction qu'elle vous soumet.
* 15 Organisation internationale du travail, recommandation n° 95 sur la protection de la maternité, adoptée le 26 juin 1952 à Genève.
* 16 Article 1 er , point 3, de la proposition de directive.
* 17 Article 1 er , point 3, de la proposition de directive.
* 18 Il était de 8,14 % en France en 2005.
* 19 Enquête « Congés autour de la naissance » réalisée en 2004 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
* 20 Article 1 er , point 3, de la proposition de directive.
* 21 Rapport Sénat n° 253 (2007-2008) «Loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations » de Muguette Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales.
* 22 Une telle règle est prévue par l'article L. 1235-1 du code du travail pour les contentieux relatifs au licenciement pour motif personnel : « en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ».