EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE I - FRAIS
D'EXÉCUTION FORCÉE EN DROIT DE LA CONSOMMATION
Article 1er (art. L. 141-5 nouveau du code de la consommation) - Mise à la charge du débiteur professionnel en droit de la consommation de l'intégralité des frais de l'exécution forcée
Cet article donne au juge, saisi d'un litige en droit de la consommation, la faculté de mettre à la charge du débiteur qui refuse de s'acquitter spontanément de sa dette, s'il s'agit d'un professionnel, l'intégralité des frais de l'exécution forcée de la décision de justice.
La loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution reconnaît au créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible le droit d'en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur, dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution 7 ( * ) (article 2).
A l'instar de l'ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, elle confère aux huissiers de justice le monopole de l'exécution forcée et des saisies conservatoires (article 18), sous réserve des compétences résiduelles dévolues à d'autres agents par d'autres textes (article 81) : huissiers du trésor, agents des douanes, greffiers en chef des tribunaux d'instance notamment 8 ( * ) .
Enfin, la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 pose le principe selon lequel les frais d'exécution forcée sont à la charge du débiteur , « sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés » (article 32). Il appartient au juge de l'exécution de trancher les contestations susceptibles de s'élever sur ce point.
Par dérogation à ce principe , et depuis la loi n° 99-957 du 22 novembre 1999 portant sur diverses professions relevant du ministère de la justice, la procédure civile et le droit comptable, une partie de ces frais peut être mise à la charge du créancier : « les droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » (article 32).
Un décret n° 2001-212 du 8 mars 2001, modifiant le décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale, a ainsi prévu la répartition suivante, entre le créancier et le débiteur, de ces droits proportionnels qui s'appliquent de manière dégressive aux sommes encaissées ou recouvrées au titre de la créance en principal ou du montant de la condamnation , à l'exclusion des dépens 9 ( * ) .
Tranches |
Droit à la charge du débiteur |
Droit à la charge du créancier |
Jusqu'à 125 euros |
10 % |
12 % |
De 125 à 610 euros |
6,5 % |
11 % |
De 610 à 1.525 euros |
3,5 % |
10,5 % |
Au-delà de 1.525 euros |
0,3 % |
4 % |
Le droit proportionnel mis à la charge du débiteur ne peut être inférieur 4,40 euros ni supérieur à 550 euros. Le droit proportionnel mis à la charge du créancier ne peut être inférieur à 22 euros ni supérieur à 2.200 euros ; il est exclusif de toute perception d'honoraires libres 10 ( * ) .
Ainsi, pour recouvrer la somme de 1.500 euros, le créancier doit acquitter 193,51 euros de droit proportionnel : [12 % x 125] + [11 % x (610 - 125)] + [10,5 % x (1500-610)] x 1,196 (TVA).
Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, telle n'était pas l'intention initiale du législateur :
« La première intention du législateur avait été de faire supporter l'intégralité des frais d'exécution forcée à la partie perdante. En effet, l'article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution disposait que « les frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés ». Le Gouvernement avait ensuite adopté un décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 dont l'article 10 permettait à l'huissier de percevoir deux rémunérations, l'une à la charge du débiteur, l'autre à la charge du créancier. Saisi par les organismes de représentants des avocats, le Conseil d'État avait jugé illégal cet article et l'avait ainsi annulé, dans un arrêt du 5 mai 1999, avec effet rétroactif à compter du 12 décembre 1996.
« Afin de limiter les risques d'insécurité juridique, le Parlement avait adopté, sur proposition du député Gérard Gouzes, la loi n° 99-957 du 22 novembre 1999 portant sur diverses professions relevant du ministère de la justice, la procédure civile et le droit comptable, avec un double objectif :
« - d'une part, il s'agissait de trouver une solution simple et rapide au problème posé par l'annulation partielle du décret tarifaire du 12 décembre 1996. Comme l'indiquait alors le rapport du Sénat 11 ( * ) : « Une mesure de validation législative apparaît en effet nécessaire pour éviter la multiplication des actions en répétition de l'indu qui risquerait de générer un abondant contentieux et une forte insécurité juridique pour les huissiers. En effet, en l'absence de validation, les créanciers seraient fondés à réclamer le remboursement des droits perçus par les huissiers entre l'entrée en vigueur du décret du 12 décembre 1996 et son annulation partielle par le Conseil d'Etat » ;
« - d'autre part, tout en reconnaissant que « la perception systématique d'un droit proportionnel de recouvrement pesant sur le créancier était susceptible de poser des problèmes de principe en matière d'exécution forcée » (rapport précité), le législateur avait souhaité rétablir la possibilité d'une perception de droits mis à la charge du créancier, afin de garantir aux huissiers une rémunération suffisante et de ne pas alourdir les droits pesant sur le débiteur, « au demeurant fréquemment insolvable ». Afin d'ouvrir la possibilité de mettre à la charge des créanciers une partie des frais de recouvrement, la loi avait ainsi modifié l'article 32 de la loi de 1991 précitée : « À l'exception des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, les frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés. » »
En réponse à une question écrite posée le 1 er mars 2007 par notre collègue Jean-Jacques Hyest 12 ( * ) , président de votre commission des lois, le garde des sceaux, ministre de la justice a indiqué que : « Cette disposition prend en considération la situation des débiteurs, souvent impécunieux, en évitant de faire peser automatiquement sur eux la totalité des frais. Le décret n° 2001-212 du 8 mars 2001 a limité le champ d'application de ce droit au regard de ce qui était initialement prévu par les articles 10 et 11 du décret tarifaire. Notamment les créanciers prud'homaux et d'aliments en sont exemptés, et la rémunération maximale de l'huissier de justice, au titre de ce droit, a été réduite de moitié. Ce droit est exclusif de toute perception d'honoraires complémentaires. En outre, sa perception est limitée aux seuls cas où l'huissier de justice est expressément mandaté pour recouvrer ou encaisser des créances . »
Il n'en demeure pas moins, comme le souligne l'exposé des motifs de la proposition de loi et comme l'ont confirmé les représentants des associations de consommateurs entendus par votre rapporteur, que : « Cette situation est difficilement ressentie par nombre de consommateurs qui obtiennent de la justice la condamnation d'un professionnel parfaitement solvable et qui n'entendent pas abandonner 10 à 12 % de la somme fixée par le juge. Il semble même que certains professionnels agissent de façon dilatoire et comptent sur le coût des frais d'exécution pour décourager le recours à un huissier. Cette situation est en outre perçue comme une « spoliation » par rapport au jugement . »
Le texte proposé par l'article 1 er de la proposition de loi pour insérer un article L. 141-5 dans le code de la consommation apporte une réponse qui se veut « équitable et équilibrée » à leurs attentes.
Il permet au juge, dans les seuls litiges du droit de la consommation et dans le seul cas où le débiteur condamné est un professionnel, de mettre à sa charge l'intégralité du droit proportionnel de recouvrement ou d'encaissement prévu à l'article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, « pour des raisons tirées de l'équité ou de la situation économique du professionnel condamné ».
Cette décision serait prise lors du prononcé de la condamnation , soit d'office, soit à la demande du créancier qui, en l'absence de précision, pourrait être soit un particulier soit un professionnel.
Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, cette solution présente pour avantages :
- « à la fois de ne pas alourdir systématiquement la charge des débiteurs qui peuvent, de bonne foi, éprouver de réelles difficultés à honorer la décision de justice mais également de ne pas faire supporter au consommateur les frais de l'exécution forcée lorsque l'équité ou la situation économique du professionnel condamné le justifie, par exemple dans le cas où il s'agit d'un professionnel dont la solvabilité ne fait aucun doute (banques, assurances, opérateurs de téléphonie ou d'Internet, professionnels de la vente à distance...) » ;
- de laisser la décision au juge, « accoutumé au maniement de ces critères pour les frais de procédure (article 700 du code de procédure civile) » ;
- « d'encourager le professionnel à se libérer spontanément et rapidement de sa dette pour éviter d'avoir à supporter, en outre, le coût de recouvrement accru, puisque le droit proportionnel de recouvrement n'est dû qu'en rémunération de diligences accomplies par l'huissier de justice aux fins d'exécution » ;
- en cas de résistance du professionnel, de lever l'obstacle rencontré par le créancier des frais laissés à sa charge pour l'exécution forcée de la décision de justice ;
- d'être sans incidence sur la rémunération des huissiers, le débiteur solvable assumant seul l'intégralité des frais d'exécution forcée, aujourd'hui divisés entre le créancier et le débiteur.
Il convient toutefois d'observer que le créancier ne serait pas pour autant dispensé de faire l'avance des frais.
Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de la Chambre nationale des huissiers de justice ont exprimé le souhait que cette faculté offerte au juge ne puisse être exercée qu'« exceptionnellement » et puisse se traduire par la mise à la charge du débiteur d'une partie seulement du droit proportionnel devant habituellement être acquitté par le créancier.
A l'inverse, les représentants de l'association UFC que Choisir ont exprimé le souhait que cette exonération des droits de recouvrement revête un caractère automatique, plutôt que d'être laissée à l'appréciation souveraine du juge, et figure à l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991, plutôt que dans le code de la consommation.
Compte tenu de ces appréciations divergentes, la solution retenue par notre collègue paraît effectivement constituer un point d'équilibre même si l'on peut regretter, à l'instar des représentants de l'Union syndicale des magistrats, la création d'un régime dérogatoire au sein du code de la consommation, tout en pouvant songer à l'étendre à d'autres hypothèses, évoquées par les représentants de la profession d'avocats, comme les créances des loyers des propriétaires particuliers.
En outre, elle ne remet pas en cause les dispositions spécifiques concernant les créanciers prud'homaux et d'aliments.
En conséquence, votre commission a adopté sans modification l'article 1 er de la proposition de loi, qui devient l'article 1 er du texte de ses conclusions .
* 7 Il s'agit notamment de la saisie-attribution, de la saisie des rémunérations, de la saisie-vente, ou encore de mesures d'expulsion.
* 8 En contrepartie, les huissiers de justice sont tenus de prêter leur ministère ou leur concours sauf, et sous réserve d'en référer au juge de l'exécution s'ils l'estiment nécessaire, lorsque la mesure requise leur paraît revêtir un caractère illicite ou si le montant des frais paraît manifestement susceptible de dépasser le montant de la créance réclamée, à l'exception des condamnations symboliques que le débiteur refuserait d'exécuter (article 18).
* 9 Les dépens sont limitativement énumérés par l'article 695 du code de procédure civile. Il s'agit des droits et taxes perçus par l'administration des impôts, des indemnités de comparution des témoins, de la rémunération des techniciens, des émoluments (rétribution d'une prestation de service) et débours (sommes avancées pour l'accomplissement de certaines formalités) des officiers publics et ministériels (huissiers de justice : actes d'assignation, constats, significations de jugement, saisies ; avoués près la cour d'appel : lorsque la procédure est avec représentation obligatoire, l'avoué perçoit des émoluments soumis à un tarif), des émoluments de l'avocat, du remboursement des frais exposés par l'Etat en matière d'aide juridictionnelle pour le compte de la partie adverse bénéficiaire en tout ou partie de cette aide.
* 10 Articles 8 et 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale.
* 11 Rapport n° 57 (1999-2000) de M. Nicolas About au nom de la commission des lois du Sénat.
* 12 Question écrite n° 26410 du 1 er mars 2007, réponse du 12 avril 2007.