N° 50

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 22 octobre 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur la proposition de loi présentée par MM. Yvon COLLIN et Jean-Michel BAYLET tendant à généraliser l' assurance récolte obligatoire ,

Par M. Daniel SOULAGE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, François Fortassin, Alain Fouché, Adrien Giraud, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Jacques Muller, Robert Navarro, Louis Nègre, Mme Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Philippe Paul, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall.

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Sénat :

214 (2007-2008)

Mesdames, Messieurs,

Petit à petit, malgré les intempéries, l'assurance récolte fait son nid. Encore quasiment inconnus en France il y a quelques années -si ce n'est pour le risque grêle-, les produits assurantiels proposés au monde agricole se sont multipliés depuis que la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 a mis en place un dispositif de soutien actif et fixé des objectifs ambitieux en ce domaine.

Le mécanisme de l'assurance est, en effet, particulièrement adapté à un secteur marqué par une grande volatilité des volumes de production et des cours. Les aléas climatiques, sanitaires et économiques, dont la survenance a eu tendance à se multiplier au cours des dernières années, constituent l'une des données structurelles avec lesquelles chaque exploitant doit aujourd'hui composer. Les exemples américains et espagnols, souvent cités en la matière, illustrent l'intérêt de recourir à un tel instrument de couverture des risques.

Dans le même temps, le système principal de protection du monde agricole, basé depuis plusieurs décennies sur la solidarité nationale à travers le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA), ne permet plus de répondre efficacement aux besoins. La transition vers un dispositif assurantiel responsabilisant davantage les producteurs et leur apportant de meilleures garanties paraît donc opportune.

C'est le mouvement qu'a initié le gouvernement depuis 2005, et que notre commission des affaires économiques a toujours soutenu. Nous avions ainsi fait inscrire dans le dernier texte d'orientation agricole le principe d'une extension progressive de l'assurance récolte à l'ensemble des cultures, seule à même d'augmenter l'assiette des cotisants et d'ainsi réduire les primes assurantielles exigées par les assureurs.

Faut-il aujourd'hui aller plus loin et rendre obligatoire la souscription d'une assurance récolte auprès de chaque exploitant ? C'est l'objet de la proposition de loi n° 214 déposée par MM. Yvon Collin et Jean-Michel Baylet tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire.

Les auditions menées auprès des principaux acteurs ont fait émerger avec netteté qu'un tel projet est, en l'état actuel des choses, inenvisageable et, à tout le moins, prématuré. Cependant, l'objectif vers lequel doivent tendre les pouvoirs publics comme les producteurs et les professionnels du secteur de l'assurance doit demeurer l'extension aussi rapide et large que possible de la couverture assurantielle des exploitants agricoles.

Une telle évolution, si elle ne requiert pas en l'état de rendre obligatoire le recours à l'assurance, appelle cependant un soutien massif à son développement, à l'échelle tant nationale qu'européenne. C'est en effet davantage en incitant les producteurs à se garantir qu'en les y contraignant que les produits d'assurance contre les aléas agricoles prendront véritablement leur essor et constitueront les instruments privilégiés d'une gestion des risques responsable et efficace.

I. L'ASSURANCE RÉCOLTE, UN MÉCANISME INNOVANT ET APPRÉCIÉ

A. DES EXPÉRIENCES ENCOURAGEANTES À L'ÉTRANGER

1. Le système américain

a) Une couverture très large

Aux États-Unis, les programmes d'assurance couvrent la quasi-totalité des grandes cultures et fruits et légumes, et s'étendent aux productions animales. Ainsi, pour la campagne 2007-2008, environ 80 % des surfaces en blé et en soja (40-45 % en valeur de la production), et 90 % de celles en maïs grain (55 % en valeur) étaient couvertes.

S'ils sont facultatifs, ils sont souscrits par la plupart des exploitants qui y voient le moyen de stabiliser leurs revenus, mais également d'obtenir plus facilement un prêt auprès d'un établissement bancaire ou de sécuriser des contrats de livraison passés avec des négociants ou des transformateurs.

b) Le choix entre plusieurs niveaux d'assurance, récolte comme chiffre d'affaires

L'agriculteur américain a le choix entre l'assurance récolte, qui garantit les pertes de rendement liées aux aléas climatiques, aux maladies des plantes et aux attaques de ravageurs, et l'assurance chiffre d'affaires, qui le protège d'une réduction des recettes de l'exploitation due à une baisse de rendement ou à une diminution du prix projeté sur le marché à terme entre le moment des semis et celui de la récolte.

S'agissant de l' assurance récolte proprement dite, deux niveaux sont à distinguer :

- le premier, appelé « assurance catastrophe », indemnise uniquement en cas de « coup dur », c'est-à-dire de pertes supérieures à 50 % du rendement historique de l'exploitation, sur la base de 55 % du prix d'indemnisation maximum fixé annuellement par le ministère américain de l'agriculture (USDA). L'exploitant ne paie pas de prime d'assurance, celle-ci étant entièrement prise en charge par l'USDA, mais uniquement des frais administratifs.

- le second niveau, auquel préfèrent souscrire la plupart des agriculteurs, dit « buy up », garantit jusqu'à 85 % du rendement historique de l'exploitation. Le montant des primes varie alors selon ledit rendement et le taux de garantie choisi. La moyenne de ces primes est de 1,2 % de la valeur de la production hors aide directe pour le blé, et de 0,8 % pour le maïs et le soja.

L' assurance chiffre d'affaires , existant depuis le milieu des années 90, garantit une recette égale au rendement garanti -plafonné à 85 % au plus du rendement historique de l'exploitation- multiplié par le prix projeté sur le marché à terme de référence au moment des semis. La moyenne des primes d'assurances chiffre d'affaires, logiquement plus élevée que celles de l'assurance catastrophe, est de 3,6 % de la valeur de la production hors aide directe pour le blé, de 3,3 % pour le maïs et de 2,6 % pour le soja.

Si ce second type d'assurance constitue, pour les exploitants, une alternative à l'intervention sur les marchés à terme, elle n'offre pas de protection systématique contre le risque prix. Comme la garantie s'applique en effet, non au prix, mais à la recette de la culture, une chute des cours peut ne pas déclencher d'indemnité si elle est compensée par une hausse du rendement.

c) Un soutien massif des pouvoirs publics

Les polices d'assurance sont commercialisées par des compagnies privées, mais avec un soutien massif de l'USDA, qui les subventionne à 60 % environ -soit un taux bien supérieur à celui pratiqué en France-, rembourse aux assureurs une partie de leurs frais de gestion et réassure les polices les plus risquées.

Le coût budgétaire global des programmes d'assurance pour l'État fédéral est de l'ordre de 3 à 4 milliards de dollars par an, voire plus en cas d'aléa climatique majeur comme les inondations dont a été victime le Midwest au mois de juin 2008. Il s'agit d'un montant substantiel, à peine inférieur à celui des aides découplées versées aux producteurs américains de grandes cultures.

d) Un rôle pourtant accessoire par rapport à d'autres instruments de garantie des risques

Malgré leur importance, les programmes d'assurance ne constituent qu'une partie du système d'aide aux producteurs de grandes cultures, en complément des aides directes et des prix minima . Les tentatives visant à en faire le pivot du dispositif de soutien n'ont pas abouti.

L'assurance chiffre d'affaires a pour objectif, il est vrai, de lisser les variations de recettes entre les semis et la récolte, et non de stabiliser le revenu des producteurs entre les campagnes ni de pallier une baisse des prix de marché en dessous des coûts de production.

L'assurance récolte ne s'est, quant à elle, pas substituée aux aides ad hoc contre les calamités naturelles. Le dernier farm bill , entré en vigueur avec la récolte de cette année, a même créé un programme visant à compléter, par des paiements directs, les indemnités d'assurance reçues par les producteurs au motif qu'elles ne compenseraient qu'une partie des pertes de récolte.

2. Le système espagnol

a) Un dispositif ancien

Une loi de 1978 sur les assurances agricoles combinées couvrant les grandes cultures, l'élevage et les productions sylvicoles constitue, depuis trente ans, le principal outil de gestion des risques en Espagne.

L'ensemble des productions végétales et animales peut aujourd'hui être couvert. Le seuil de dommages ouvrant droit à indemnisation varie entre 10 et 30 % en fonction de la production, de la région et du risque. La quasi-totalité des risques est désormais assurable : ceux liés aux conditions climatiques, mais aussi ceux liés aux maladies animales, aux accidents, aux abattages d'urgence, aux attaques d'animaux sauvages, aux inondations, aux incendies ou encore aux problèmes de mise bas.

516.000 polices d'assurance étaient souscrites pendant la campagne 2007-2008, soit 63 % des exploitants, sylviculteurs et aquaculteurs concernés, pour un montant total de 600 millions d'euros.

Près de 50 % de la production en valeur est assurée en productions végétales, 24 % en productions animales et 20 % pour les productions piscicoles. S'agissant plus particulièrement des premières, 80 % de la production en valeur est assurée pour les céréales d'hiver et 70-75 % des arbres fruitiers, mais seulement 10 % de celle des oliviers.

b) Un appui public de grande ampleur

L'administration espagnole soutient très fortement le système assurantiel en contrôlant son cadre d'assurance et en finançant une partie des primes. Le gouvernement décide chaque année du budget consacré au cofinancement des primes d'assurance, des types de productions aidées et des critères de variation du taux de subvention.

En 2008, l'État a ainsi consacré 280 millions d'euros au financement du système, une somme bien supérieure à celle mobilisée dans notre pays. Cette enveloppe permet de subventionner 50 % en moyenne du coût total des polices d'assurance.

C'est un organisme public, l'Enesa, qui élabore le plan annuel d'assurances agricoles et, en concertation avec les professionnels et les assureurs, les conditions de souscription, le niveau des subventions et les modalités des polices. Par ailleurs, il établit les conditions techniques de culture et paie les subventions.

En 2008, le plan a étendu la couverture à la fièvre aphteuse et a compris de nouvelles lignes d'assurance comme les dommages aux cultures par la faune sauvage ou une assurance spécifique pour l'élevage porcin.

c) Des assureurs privés qui « jouent le jeu »

Le système espagnol d'assurance récolte doit aussi son efficacité aux assureurs, qui ont accepté une perte d'indépendance et leur engagement dans un dispositif de coassurance privé.

D'une part, Agroseguro est une société anonyme à laquelle a été confiée la gestion des 38 compagnies d'assurance participant au système. Elle élabore les prescriptions du modèle unique de contrat et verse à chaque compagnie une commission en fonction du nombre de polices signées.

D'autre part, Agroseguro est réassuré auprès d'un consortium d'assurances reconnu par les pouvoirs publics, mais agissant en tout point comme un opérateur privé.

d) Vers des outils assurantiels de gestion des crises de marché

L'Espagne souhaite aujourd'hui développer encore ce dispositif, en proposant des outils de gestion des crises de marché.

Trois possibilités sont actuellement à l'étude :

- des assurances prix, qui couvriraient la différence entre un prix de référence moyen fixé dans le contrat et le prix de marché,

- des assurances revenu, qui prendraient en charge la différence entre les coûts de culture et les revenus effectifs,

- des assurances destruction de production, qui permettraient une régulation des prix du marché par un contrôle de l'offre.

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