B. LE PRINCIPE DE CONDITIONNALITÉ

Le principe de conditionnalité est la pièce-maîtresse de la stratégie de l'UE dans les Balkans occidentaux. Il lie l'amélioration progressive des relations entre l'UE et les pays respectifs de la région à la satisfaction d'une série de conditions politiques et économiques. L'encouragement le plus important pour ces pays à se plier à ce principe réside dans l'accès aux différentes étapes du processus de stabilisation et d'association (PSA), notamment la signature des accords de stabilisation et d'association (ASA) et l'accès au statut de candidat. L'UE peut également menacer de geler l'aide financière d'un pays si celui-ci ne remplit pas les critères requis. Dans les rapports annuels de stabilisation et d'association, la Commission européenne évalue régulièrement les progrès des différents pays impliqués. Lancés pour la première fois en avril 2002, ils dressent la liste des réalisations, échecs et tâches à accomplir, et déterminent les priorités pour chaque année. Ces rapports transversaux sont complétés par des rapports par pays. L'une des étapes les plus importantes du suivi opéré par la Commission européenne est "l'avis" qu'elle émet sur la candidature d'un pays. La Commission s'est ainsi exprimée sur deux pays, la Croatie (2004) et la Macédoine (2005). C'est sur la base de ces rapports que le Conseil décide d'attribuer, ou non, explicitement le statut de candidat à un pays.

Les accords de stabilisation et d'association, clés du processus d'adhésion, sont des outils internationaux qui lient les pays légalement et institutionnalisent les relations entre les deux parties à un haut niveau. Leur bonne application ouvre la voie à la demande d'adhésion que chaque pays doit déposer au moment où il se sent prêt à s'engager dans le processus des négociations d'adhésion. Un avis favorable de la Commission européenne, puis l'accord du Conseil sont les signaux politiques importants ouvrant la voie aux négociations d'adhésion proprement dites.

La politique de conditionnalité appliquée par l'UE vise à une bonne adaptation aux problèmes spécifiques des Balkans occidentaux. Par delà les critères d'adhésion de Copenhague (juin 1993), les accords de stabilisation et d'association (ASA) ont introduit de nouvelles exigences, telles que la coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), l'encouragement au retour des réfugiés de la guerre de 1992-1995 et la coopération régionale. Ces conditions s'imposent à tout candidat signataire souhaitant se voir reconnaître le statut de pays candidat à l'UE et ouvrir des pourparlers d'adhésion. En effet, les ASA ressemblent aux accords d'association, dits accords européens, que l'UE avait conclu avec les pays d'Europe centrale et orientale entre la fin de 1991 et juin 1996, avec deux différences majeures. D'une part, un chapitre est consacré à la Justice et Affaires intérieures, et une clause fait obligation aux pays signataires de coopérer sur le plan régional. D'autre part, les accords font partie du PSA, plus global, qui a pour vocation à la fois de stabiliser les pays, de les rapprocher de l'UE et de les préparer à l'adhésion proprement dite.

Sur le plan de la coopération régionale, le rôle complémentaire du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est et du processus de stabilisation et d'association, est explicitement souligné dans des domaines spécifiques comme la mise en place d'une zone de libre-échange, d'un marché régional de l'énergie, de relations transfrontalières et de la lutte contre le crime organisé et la corruption.

Le 21 juin 2003, s'est tenu à Thessalonique le sommet UE-Balkans occidentaux, deuxième rencontre après celle qui s'était tenue à Zagreb le 24 novembre 2000, et qui avait officiellement lancé le PSA. Les participants ont adopté une déclaration politique, et avalisé « l'Agenda de Thessalonique pour les Balkans occidentaux », ensemble de mesures décidées par le Conseil européen dans le but de renforcer le PSA. Le sommet a dissipé les ambiguïtés de la politique européenne en consacrant l'objectif d'une adhésion à terme des Balkans occidentaux. L'Agenda de Thessalonique a prévu un enrichissement du PSA, désormais considéré comme faisant « partie intégrante du processus d'élargissement », avec la mise en place d'outils inspirés de ceux utilisés par l'UE dans ses relations avec les pays d'Europe centrale et orientale : partenariats européens, accès à des programmes et financements communautaires relevant de la pré-adhésion, évaluation sous forme de rapports de suivi annuels, jumelages .

Ces outils sont les partenariats européens , élaborés sur le modèle des Programmes nationaux pour l'adoption de l'acquis communautaire qui ont jalonné le processus d'adhésion à l'UE des nouveaux pays membres. Il s'agit de fixer des objectifs à court (12 à 24 mois) et à moyen terme (3 à 4 ans) sur la base des rapports annuels élaborés dans le cadre du PSA ; de leur mise en oeuvre dépendra l'aide financière accordée par l'UE. De leur côté, les pays doivent élaborer des plans d'action avec des dates butoir : ce processus bilatéral, strictement encadré, permet de suivre et d'évaluer aussi précisément que possible les mesures prises, leur succès ou leur échec.

- En décembre 2004, la Croatie est devenu le premier pays des Balkans occidentaux à accéder au statut de candidat, à une époque où la Bosnie-Herzégovine et l'État commun de Serbie-et-Monténégro ne négociaient pas encore leur ASA. En octobre 2005, l'UE a décidé d'ouvrir des négociations d'adhésion proprement dites avec Zagreb, qui ont été lancées en juin 2006.

- La Macédoine a obtenu à son tour le statut de pays candidat en décembre 2005, mais le début des négociations d'adhésion a été reporté laissant le temps au pays de remplir un certain nombre de conditions.

En février 2006, la Commission européenne a présenté une communication au Conseil, évaluant les progrès réalisés par les pays jusqu'à cette date 1 ( * ) . L'objectif principal de ce document était de réaffirmer l'engagement de l'UE dans la région après les votes référendaires contre le projet de traité constitutionnel en France et aux Pays Bas, qui avaient inquiété les dirigeants et les populations.

La coopération régionale est, cependant, à l'épreuve des écarts grandissants entre les pays : s i tous les pays des Balkans occidentaux ont pu se rapprocher de l'UE, les écarts entre eux grandissent. En effet, trouver l'équilibre entre bilatéralisme, dans le développement des relations avec l'UE, et "régionalité" n'est pas facile. La force d'attraction de l'UE est puissante et peut provoquer une fragmentation de la région. L'hétérogénéité des processus de transition, et donc du niveau des relations avec l'UE déterminé par le principe de conditionnalité, provoque des asymétries, et des tensions dans la cohésion régionale : ainsi, la Croatie et la Macédoine sont des pays candidats, alors que l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie et le Kosovo ne sont, actuellement, que des candidats potentiels.

La stabilisation de la région et son intégration à l'UE, bien que conçues comme faisant partie du même mouvement, semblent engager des logiques contradictoires : pour la stabilité, la dimension régionale est cruciale, alors que l'intégration est un exercice bilatéral.

Mais ce dilemme semble plus apparent que réel. La perspective européenne a constitué le stimulant le plus important pour la coopération régionale. En effet, l'UE s'est construite sur des liens étroits entre les États membres dans des domaines très différents. La réconciliation avec les voisins par l'intégration est considérée comme un exercice qui devrait également porter ses fruits dans les Balkans occidentaux après une décennie de guerres. La coopération régionale a d'abord été envisagée comme un moyen de rompre les cycles de violence. Ainsi, convaincue que la coopération peut permettre de dépasser la haine et les divisions, l'UE a-t-elle fait de celle-ci un préalable à l'adhésion, l'inscrivant dans le PSA en 1999. Avec la progression du PSA, les demandes concernant la coopération régionale sont devenues plus concrètes et nombreuses, comme l'attestent les rapports annuels.

* 1 « Les Balkans occidentaux sur la voie de l'Union européenne : renforcer la stabilité et la prospérité »

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