2. Des règles jugées contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Les particularités des procédures contentieuses devant les juridictions financières ont longtemps pu faire penser que les stipulations de l'article 6, §1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatives au droit au procès équitable, n'étaient pas applicables à ce type de contentieux.
Les juridictions françaises considéraient ainsi que le juge des comptes, lorsqu'il vérifie les comptes des comptables publics 7 ( * ) ou se prononce en matière de gestion de fait, « ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas de contestations sur des droits et obligations de caractère civil ». En revanche, il était admis depuis longtemps que les juridictions financières, lorsqu'elles sont appelées à infliger une amende pour gestion de fait, doivent être regardées comme statuant sur le bien-fondé d'accusations en matière pénale au sens de l'article 6, §1, de la convention 8 ( * ) .
Les juridictions françaises n'en veillaient pas moins au respect du principe d'impartialité, applicable en droit interne. Le Conseil d'Etat a ainsi considéré que ce principe, et celui des droits de la défense, faisaient obstacle à ce qu'une décision juridictionnelle prononçant la gestion de fait fût régulièrement rendue par le juge des comptes alors qu'en l'espèce, celui-ci avait précédemment évoqué cette affaire dans un rapport public en relevant l'irrégularité des faits 9 ( * ) . Peu après, il a estimé qu'un magistrat financier ne pouvait participer à une procédure juridictionnelle en déclaration de gestion de fait lorsqu'il avait mis au jour les opérations présumées constitutives de gestion de fait dans le cadre d'un contrôle de gestion 10 ( * ) .
Dans deux décisions rendues respectivement en 2003 et 2006, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé pour sa part que la procédure à l'issue de laquelle les juridictions financières se prononcent sur une gestion de fait 11 ( * ) comme celle par laquelle elles jugent les comptes du comptable d'un établissement public local d'enseignement 12 ( * ) portaient sur des contestations concernant des droits et obligations à caractère civil, dès lors que la responsabilité personnelle et pécuniaire des intéressés pouvait se trouver engagée.
Dans l'affaire concernant un comptable patent, elle n'a pas retenu l'argumentation du gouvernement français selon laquelle le comptable d'un lycée serait un agent public dont les attributions comporteraient une participation à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l'Etat ou des autres personnes publiques. Si tel avait été le cas, le comptable aurait été soustrait du champ d'application de l'article 6, §1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu d'une jurisprudence plus ancienne 13 ( * ) mais en voie d'abandon semble-t-il 14 ( * ) .
Sur le fondement des stipulations de cet article, la Cour européenne des droits de l'homme a tout d'abord condamné la France pour la durée excessive d'une procédure en déclaration de gestion de fait 15 ( * ) puis pour le caractère inéquitable de la procédure de jugement des comptes d'un comptable public devant la Cour des comptes : ont notamment été mises en cause l'absence de publicité de l'audience ainsi que l'absence de communication au comptable des conclusions du ministère public et du rapport du magistrat chargé de l'instruction 16 ( * ) .
* 7 Conseil d'Etat, 19 juin 1991, ville d'Annecy c/ Dussolier.
* 8 Conseil d'Etat, 16 novembre 1998, SARL Deltana et Perrin.
* 9 Conseil d'Etat, 23 février 2000, Labor Metal.
* 10 Conseil d'Etat, 6 avril 2001, SA Entreprise Razel frères et Le Leuch.
* 11 Cour européenne des droits de l'homme, 7 octobre 2003, Richard-Dubarry c/ France.
* 12 Cour européenne des droits de l'homme 12 avril 2006, Martinie c/ France.
* 13 Cour européenne des droits de l'homme, Pellegrin c/ France, 8 décembre 1999.
* 14 Cour européenne des droits de l'homme, 19 avril 2007, Eskelinen c/ Finlande : « le simple fait que l'intéressé relève d'un secteur ou d'un service qui participe à l'exercice de la puissance publique n'est pas en soi déterminant » pour l'applicabilité de l'article 6, §1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
* 15 Cour européenne des droits de l'homme, 1 er juin 2004, Richard-Dubarry c/ France.
* 16 Cour européenne des droits de l'homme, 12 avril 2006, Martinie c/ France.