N° 306
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 29 avril 2008 Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2008 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, portant modernisation du marché du travail ,
Par M. Pierre BERNARD-REYMOND,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mme Claire-Lise Campion, MM. Bernard Seillier, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Annie David, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Louis Pinton, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Alain Vasselle, François Vendasi.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 743 , 789 et T.A. 133
Sénat : 302 (2007-2008)
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Les partenaires sociaux ont conduit à l'automne dernier une négociation qui a abouti à la conclusion, le 11 janvier 2008, d'un accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du marché du travail.
Cet accord s'inscrit dans une démarche, désormais classique au niveau européen, de flexisécurité, qui consiste à combiner flexibilité et sécurité pour les salariés et pour les entreprises. Largement pratiquée dans les pays voisins, la flexisécurité est facteur de compétitivité économique et de création d'emplois. Son objectif est de permettre aux entreprises d'adapter rapidement leurs effectifs aux variations de leur production, sans que les travailleurs soient pour autant soumis à la précarité. Elle suppose d'inventer de nouveaux dispositifs qui protègent les salariés dans les phases de transition entre deux emplois. De ce point de vue, la notion de « portabilité des droits », qui figure dans l'accord, constitue une grande avancée.
La conclusion de cet accord révèle un changement d'état d'esprit de la part des organisations patronales et syndicales, et une plus grande maturité de la démocratie sociale qui sont, en eux-mêmes, sources de satisfaction. Votre commission est en effet persuadée que l'élaboration des normes de droit du travail par la voie de la négociation collective est un gage d'efficacité : elle permet de définir des règles proches des réalités du terrain et les règles ainsi définies sont ensuite mieux acceptées par les différents acteurs.
Le projet de loi que le Sénat est amené à examiner reprend seulement les dispositions de nature législative qui figurent dans l'accord. Son économie générale doit donc être appréciée à la lumière de l'ensemble des stipulations de l'ANI. Une partie des mesures tendant à « sécuriser » le parcours professionnel des salariés seront définies lors de la négociation de la future convention d'assurance chômage ou à l'occasion de la réforme de la formation professionnelle.
Ce nouveau partage des rôles entre les partenaires sociaux - qui définissent des règles - et le législateur - auquel il est demandé de les transposer - amène votre commission à s'interroger sur l'espace qui reste dévolu au Parlement en matière de législation du travail. Il lui incombe, certes, de ne pas dénaturer l'accord conclu, sans quoi les partenaires sociaux ne seraient guère incités à s'engager, à l'avenir, dans d'autres négociations difficiles puisqu'ils n'auraient aucune assurance que leur compromis sera respecté. En même temps, les parlementaires ne sauraient renoncer à tout pouvoir d'appréciation. Il convient donc de trouver la voie étroite qui concilie le respect de l'accord des partenaires sociaux et celui des responsabilités du législateur.
Ces interrogations ne modifient cependant pas le regard positif que porte votre commission sur ce texte, qui devrait aider à dépasser la logique du conflit, encore trop présente dans notre pays, au profit d'une culture, plus féconde, de la négociation, du compromis et de la responsabilité.
I. L'ACCORD DU 11 JANVIER 2008, UN PAS VERS LA FLEXISÉCURITÉ
L'intérêt de l'accord conclu par les partenaires sociaux réside autant dans la méthode suivie que dans les stipulations qu'il contient.
A. UN SUCCÈS DU DIALOGUE SOCIAL
L'accord conclu par les partenaires sociaux constitue une première application réussie de la procédure instituée par la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, qui prévoit que toute réforme du droit du travail est précédée d'une concertation avec les organisations patronales et syndicales.
En application de cette procédure, le Gouvernement a adressé aux partenaires sociaux, le 18 juin 2007, un « document d'orientation sur la modernisation du marché du travail et la sécurisation des parcours professionnels ». Partant du constat que les trajectoires professionnelles sont de plus en plus heurtées, ce document propose aux partenaires sociaux de rechercher « un nouvel équilibre susceptible de concilier à la fois le développement des entreprises, la mobilité de l'emploi, inhérente aux mutations économiques, et la sécurité des salariés ».
Les partenaires sociaux ont été invités à négocier plus précisément dans trois domaines :
- la réforme du contrat de travail : la multiplicité des contrats de travail conduisant à une segmentation du marché du travail, le Gouvernement a demandé que soit examinée dans le détail l'idée de créer un contrat de travail unique ; il a suggéré que les négociations abordent, notamment, la question du régime et de la durée de la période d'essai, des modalités de rupture du contrat, du régime des indemnités de licenciement et du développement de procédures alternatives à la saisine du juge ;
- la sécurisation des parcours professionnels : la transférabilité des droits acquis par le salarié, l'accompagnement individualisé du demandeur d'emploi, l'anticipation des restructurations, la formation tout au long de la vie sont autant d'instruments qui doivent être mobilisés pour aider les salariés à mieux gérer les changements d'emploi ;
- le régime d'assurance chômage : il s'agit ici de rendre son fonctionnement plus lisible, d'inciter plus fortement à la reprise d'emploi et d'améliorer l'efficacité du service public de l'emploi (SPE).
Les organisations patronales et syndicales ont fait connaître dès le 19 juin leur intention d'engager une négociation sur ces différents sujets. Après une première réunion exploratoire le 4 juillet, les discussions ont véritablement débuté à la rentrée de septembre 2007.
Comme l'a souligné un des représentants syndicaux auditionnés par la commission 1 ( * ) , la négociation s'est déroulée à un rythme soutenu, puisque seize réunions ont été tenues en seulement quatre mois. Le Gouvernement avait en effet demandé que les négociations soient achevées à la fin de l'année 2007, sans quoi il aurait repris l'initiative et déposé rapidement un projet de loi.
Les partenaires sociaux ont finalement bénéficié d'un court délai supplémentaire, qui leur a permis de mettre au point leur accord le 11 janvier 2008. L'accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du marché du travail a été signé par les trois organisations d'employeurs - le mouvement des entreprises de France (Medef), la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l'union patronale de l'artisanat (UPA) - et par quatre syndicats représentatifs sur cinq - la confédération française démocratique du travail (CFDT), force ouvrière (FO), la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC). Seule la confédération générale du travail (CGT) a refusé de parapher l'accord.
* 1 Cf. Audition d'Alain Lecanu, secrétaire national de la CFE-CGC, p. 61.