2. Les avocats, des acteurs marginalisés dans l'exercice de leurs missions au titre de l'assurance de protection juridique
Le positionnement des avocats dans le dispositif d'assurance de protection juridique n'est pas satisfaisant à deux égards .
- L'avocat, un acteur absent de la phase amiable
En droit, rien n'interdit à ce professionnel de défendre les intérêts d'un assuré et ce, à tout moment du règlement du différend.
Cependant, en pratique et à la différence de la Belgique qui connaît un régime d'assurance analogue au nôtre, les assurés s'adressent rarement à un avocat au cours de la phase amiable, considérant l'assureur comme leur unique interlocuteur. La FFSA évalue à 35.000 le nombre annuel de missions effectuées par les avocats au titre de l'assurance de protection juridique, lesquels interviennent principalement en phase contentieuse 43 ( * ) dans la gestion d'un peu plus de 30 % des sinistres déclarés.
Les avocats occupent donc une place modeste en phase amiable .
Pourtant, ceux-ci estiment pouvoir apporter aux assurés une contribution précieuse à ce stade de règlement du litige, notamment s'agissant des plus complexes . Les représentants du Conseil national des barreaux (CNB) et de la Conférence des bâtonniers ont fait valoir au cours de leur audition qu'ils avaient à offrir des prestations juridiques de haut niveau , avec toutes les garanties attachées aux règles déontologiques prévues par leur statut réglementaire en termes d'indépendance et de secret professionnel .
Certaines associations de consommateurs comme UFC-Que choisir portent un regard critique sur la situation actuelle, estimant que le consommateur est parfois démuni face à l'assureur qui décide seul du bien-fondé des recours contentieux et agit à sa guise, sans contrôle extérieur, durant toute la phase pré-contentieuse.
En outre, les représentants institutionnels des avocats (CNB, Conférence des bâtonniers) ont mis en avant que, par leur connaissance du procès, des risques et des avantages susceptibles d'en résulter, ils étaient sans doute les mieux placés pour conseiller un client sur le moyen de parvenir à la solution amiable qui lui sera juridiquement la plus favorable. De plus, en cas de recours contentieux, l'avocat est le seul professionnel à pouvoir assurer une continuité dans le suivi du dossier. Enfin, ces représentants ont souligné que les pratiques professionnelles, de plus en plus tournées vers la recherche de transactions, avaient profondément évolué et ne pouvaient plus être réduites à la seule activité contentieuse.
- Un marché de l'assurance de protection juridique capté par quelques professionnels liés aux réseaux des assureurs, des tarifs prédéterminés par les assureurs
En dépit du principe affirmé par le législateur du libre choix de l'avocat par l'assuré, s'est développée une pratique dominante selon laquelle l'avocat de l'assuré est le plus souvent désigné par la société d'assurance ou l'entreprise mutualiste . Le GEMA évalue entre 3.000 et 4.000 44 ( * ) le nombre d'avocats liés à un réseau d'assureurs travaillant habituellement pour ces derniers. Les avocats membres de l'amicale des avocats de la GMF et du groupe Azur, entendus par votre rapporteur, ont estimé à 10 % des avocats inscrits à un barreau le nombre de professionnels collaborateurs habituels des assureurs de protection juridique.
Plusieurs facteurs expliquent que l'assuré préfère recourir à l'avocat correspondant d'un réseau de compagnies .
D'une part, les assurés ne connaissent généralement pas d'avocat et s'adressent naturellement à leur assureur pour obtenir le nom d'un professionnel inscrit au barreau. Comme l'ont fait valoir les représentants des assureurs auprès de votre rapporteur, il entre pleinement dans le devoir de conseil de l'assureur de renseigner l'assuré sur le nom d'un professionnel compétent. Le contraire serait choquant pour le consommateur.
D'autre part, les contrats incitent souvent les assurés à choisir un avocat correspondant de l'assurance, comme l'a relevé à plusieurs reprises la commission des clauses abusives en 2002 45 ( * ) : certaines clauses prévoient l'obligation, en cas de recours à un avocat non agréé par l'assureur, d'avancer les frais et honoraires engagés, d'autres clauses imposent d'obtenir l'accord préalable de l'assureur sur le montant des honoraires.
En outre, la plupart des contrats n'assurent la gratuité de la prestation d'avocat que si l'assuré choisit l'avocat suggéré par l'assureur et précisent que les honoraires d'un avocat désigné parmi ceux du réseau de correspondants sont payés directement à ce dernier sans intervention de l'assuré.
Au surplus, l'assuré qui s'adresse à un avocat sans lien avec le réseau des assurances ou des mutuelles n'a jamais la garantie que les honoraires facturés seront intégralement couverts par les plafonds contractuels, ce qui l'incite le plus souvent, par sécurité financière, à renoncer à sa liberté de choix.
L'orientation de l'assuré vers l'avocat d'un réseau de sociétés d'assurance ou de mutuelles présente de nombreux avantages pour les assureurs :
- l'avocat est rétribué sur la base d'un barème préétabli , calqué sur les plafonds de remboursement des honoraires. En contrepartie, ce professionnel consent une réduction de ses honoraires, en considération du flux d'affaires qui lui sera assuré par l'assurance, ce qui lui garantit une rémunération minimum. Les avocats extérieurs aux réseaux peuvent dès lors difficilement être compétitifs dans la mesure où leurs honoraires dépassent largement les plafonds de garantie prévus par les contrats. La FFSA a indiqué à votre rapporteur que le coût moyen d'un avocat correspondant habituel d'une société d'assurance s'élève environ à 1.200 euros, les honoraires des avocats non agréés dépassant en général les plafonds contractuels de 40 à 50 %.
Comme l'a souligné M. Jean-Paul Bouquin dans son rapport, les accords d'honoraires conclus avec les avocats des réseaux sont un moyen de maintenir le faible coût de l'assurance de protection juridique, ce qui a permis d'en assurer la remarquable diffusion 46 ( * ) ;
- comme l'a décrit M. Bernard Cerveau entendu par votre rapporteur, le rôle de l'assureur varie selon que l'avocat est ou non désigné par lui : « dans le premier cas, l'assureur mandaté par l'assuré, instruit le litige, conseille, recherche éventuellement un accord amiable et saisit l'avocat dont il paie directement les honoraires. Lorsque l'avocat est choisi par l'assuré, le rôle de l'assureur est plus effacé » 47 ( * ) .
L'implication de l'assureur dans le choix de l'avocat est critiquée par les avocats qui estiment que l'assurance de protection juridique est peu accessible aux avocats non agréés par les assureurs.
En outre, le Président de la République, M. Jacques Chirac, à l'occasion de la célébration du centième anniversaire de la Conférence des bâtonniers, le 4 juillet 2003, a souligné les effets pervers de ce système, souhaitant que « le développement de l'assurance de protection juridique ne débouche pas sur un salariat ». Les remboursements des sociétés d'assurance au titre de la garantie de protection juridique peuvent en effet représenter une source substantielle du revenu de certains avocats correspondants d'une société d'assurance ou d'une mutuelle, ce qui les place inévitablement dans une situation de subordination à l'égard de ces assureurs « employeurs » .
En outre, à l'exception de ceux agréés par un réseau de sociétés d'assurance et de mutuelles, les avocats jugent contraires au caractère libéral de leur profession les conventions d'honoraires passées entre les avocats correspondants des réseaux et les compagnies d'assurance et mutuelles, alors même que le statut qui les régit affirme le principe de la libre fixation de leur niveau de rémunération 48 ( * ) . Ils considèrent au demeurant que les tarifs imposés par les assureurs ne tiennent pas compte du coût effectif de la prestation fournie, forfaitisée.
* 43 Où le recours à un avocat est souvent obligatoire, compte tenu du monopole qu'il détient en matière d'assistance et de représentation des parties devant la plupart des juridictions et dans la plupart des matières.
* 44 Sur 42.600 avocats inscrits à un barreau.
* 45 Dont trois recommandations sur quinze concernent la suppression de clauses ayant pour objet de limiter le libre choix de l'avocat : recommandation 5 (suppression de la limitation de quelque manière que ce soit de la liberté de choix de l'avocat par l'assuré), recommandation 6 (suppression du refus du choix de l'avocat par l'assuré si les honoraires ne sont pas préalablement acceptés par l'assureur en considération d'un plafond d'honoraires dont le montant n'est pas déterminé) et recommandation 7 (suppression des atteintes au libre choix de l'avocat lorsque ne sont pas précisés les délais et les modalités de remboursement de l'assuré qui fait l'avance des frais et honoraires).
* 46 Page 28.
* 47 Ouvrage précité, page 112.
* 48 Article 10 de la loi du 31 décembre 1971 précitée.