N° 130
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2006 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1), sur :
- la proposition de résolution de Mme Dominique VOYNET, M. Bernard FRIMAT, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Louis LE PENSEC, Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, M. Jean DESESSARD, Mmes Catherine TASCA, Patricia SCHILLINGER, Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Jean-Pierre GODEFROY, François MARC, Roland RIES, Bernard DUSSAUT, Bertrand AUBAN, Bernard PIRAS, Alain JOURNET, Michel TESTON, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Pierre-Yvon TRÉMEL, Mme Claire-Lise CAMPION, MM. Roger MADEC, Serge LAGAUCHE, Yannick BODIN et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires , menés en Polynésie entre 1966 et 1996 , sur la santé des populations exposées et sur l' environnement ;
- et la proposition de loi de Mme Hélène LUC, MM. Robert BRET, Robert HUE, Mme Éliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Pierre BIARNÈS, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA et Jean-François VOGUET relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français.
Par M. André DULAIT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.
Voir les numéros :
Sénat : 488 (2004-2005), 247 rectifié (2005-2006)
Santé publique. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été saisie de la proposition de résolution déposée le 9 mars 2006 par Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et sur l'environnement.
La commission a statué sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête le 20 décembre 2006. Dans cette perspective, son rapporteur a rencontré plusieurs des acteurs concernés : associations d'anciens militaires ou salariés civils ayant participé aux essais, représentants de Polynésie française, responsables du ministère de la défense, médecins en charge du suivi médical des essais ou spécialisés dans l'étude des maladies radio-induites. Par ailleurs, la commission a procédé, le 9 novembre 2006, à l'audition de M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et les installations intéressant la défense, à qui le ministre de la défense a confié la mission de concourir à l'établissement des faits et de leur impact sur l'environnement et la santé publique en Polynésie française.
Il est en outre apparu que l'examen de la proposition de résolution amenait inévitablement à aborder certaines questions soulevées par la proposition de loi déposée le 22 janvier 2003 par Mmes Marie-Claude Beaudeau et Hélène Luc et les membres du groupe communiste relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français. Aussi la commission a-t-elle évoqué cette proposition de loi, dans le même temps où elle statuait sur la proposition de résolution.
S'agissant de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, et considérant que celle-ci invoque une insuffisance d'information sur la question des conséquences des essais nucléaires, votre rapporteur s'est efforcé de faire le point sur l'ensemble des éléments communiqués à ce jour par les pouvoirs publics depuis l'arrêt des essais nucléaires en 1996.
Il a notamment constaté qu'au cours des deux dernières années, un grand nombre de données avait été rendues publiques par le comité interministériel de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français mis en place en janvier 2004 et par le délégué à la sûreté nucléaire de défense. Ces données ont apporté des compléments d'information très substantiels à celles figurant déjà dans le rapport publié en 1998 par le comité consultatif international de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur la situation radiologique dans les atolls de Mururoa et Fangataufa et dans le rapport publié en février 2002 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques relatif aux incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996. La publication d'éléments supplémentaires est également annoncée au cours de l'année 2007.
Compte tenu de cette politique de transparence pratiquée au cours des dernières années et des possibilités d'information déjà considérables dont le Parlement pourra continuer à disposer dans ce cadre, la commission a estimé que le recours à la procédure de la commission d'enquête n'était pas justifié. Elle a en outre observé que cette procédure n'aurait en tout état de cause pas permis l'accès aux données couvertes par le « secret défense ».
Par ailleurs, la commission a évoqué les dispositions prises pour le suivi sanitaire des essais nucléaires et les mesures nouvelles envisagées, notamment au regard des populations de Polynésie française. Elle a souhaité que les orientations annoncées en ce domaine soient rapidement mises en oeuvre. Elle a également souligné la nécessité de poursuivre le travail scientifique tendant à évaluer les liens entre l'exposition aux radiations et le développement ultérieur éventuel de certaines pathologies, considérant toutefois qu'en l'état actuel de ces études, la modification du système actuel de prise en charge des personnes concernées telle que proposée par les auteurs de la proposition de loi ne pouvait être mise en oeuvre.
I. L'INFORMATION SUR LES CONSÉQUENCES DES ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE: UNE POLITIQUE DE TRANSPARENCE QUI S'EST AMPLIFIÉE DEPUIS 2002
A l'appui de son dépôt, la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires en Polynésie française invoque la nécessité de réunir l'ensemble des informations disponibles sur les essais nucléaires en Polynésie et les conditions d'exposition à leurs retombées radiologiques.
Après avoir rappelé quelques données sur les essais nucléaires en Polynésie française, votre rapporteur souhaite faire le point sur les données communiquées par les autorités françaises à la suite de l'arrêt des essais et sur les informations nouvelles rendues publiques depuis deux ans dans le cadre de la politique de transparence accrue mise en place depuis le début de la législature.
A. QUELQUES DONNÉES GÉNÉRALES SUR LES ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE
De juillet 1966 à janvier 1996, la France a réalisé 193 essais au Centre d'expérimentations du Pacifique , sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. Sur ces 193 essais, 15 essais dits « de sécurité » étaient destinés à s'assurer que l'engin ne pouvait spontanément s'amorcer et dégager de l'énergie nucléaire en cas d'accident durant le stockage ou le transport. 178 essais ont donné lieu à explosion d'un engin nucléaire. Entre juillet 1966 et septembre 1974, 41 essais nucléaires ont été réalisés dans l'atmosphère . De juin 1975 à janvier 1996, 137 essais souterrains ont été réalisés dans le sous-sol profond des atolls.
Le débat sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais en Polynésie concerne essentiellement les essais atmosphériques, les essais souterrains devant garantir le confinement des produits radioactifs dans le sous-sol des atolls.
Il faut rappeler qu'à la suite de l'arrêt des essais nucléaires, la France avait confié à une mission de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) le soin de vérifier que les matières radioactives étaient bien restées confinées dans le sous-sol ou si des fuites s'étaient produites ou risquaient de se produire à moyen et à long terme, dans le milieu aquatique. Etabli en 1998, le rapport de l'AIEA avait conclu à l'absence d'effets avérés ou potentiels rendant inutile la poursuite de la surveillance radiologique des sites. Toutefois, la France a décidé de poursuivre cette surveillance sous la forme de prélèvements périodiques dans l'environnement qui n'ont jusqu'ici indiqué aucune anomalie.
Les 41 essais atmosphériques, quant à eux ont été réalisés selon trois modes différents :
- 4 essais sur barge (entre juillet 1966 et juillet 1967),
- 34 essais sous ballon captif,
- et 3 essais de largage d'une arme par avion de combat (en 1966, 1973 et 1974).
Dans le cas de ces 41 essais aériens, la question posée est celle des retombées radiologiques du nuage radioactif, en fonction notamment du régime des vents lors du tir et dans les jours suivants.
Les sites de Mururoa et Fangataufa avaient été choisis en raison de leur isolement, du très faible peuplement à proximité et du régime de vents dominants qui minimisait les risques de retombées sur des zones habitées. Distants d'une quarantaine de kilomètres l'un de l'autre, ils se trouvent à l'extrémité sud-est de l'archipel des Tuamotu, à 5 000 km de la Nouvelle-Zélande et plus de 6 500 km de l'Australie et du continent américain.
De dimensions comparables à celles de l'Europe (2 700 km d'est en ouest et 2 300 km du nord au sud), la Polynésie comptait environ 80 000 habitants en 1966 et 220 000 lors de l'arrêt des essais en 1996.
Les atolls de Mururoa et Fangataufa étaient inhabités lors de la création du Centre d'expérimentations du Pacifique. L'île la plus proche, Tureia, à 110 km au nord, comptait 40 habitants en 1967 et 68 en 1971. Les îles Gambier, situées à 450 km à l'est des sites de tir, comptaient pour leur part 516 habitants en 1967 et 545 en 1971. Enfin, sur l'atoll de Hao, à 450 km au nord-ouest des sites, où avait été créé la base avancée du centre d'essais, vivaient environ 1 500 personnes, dont beaucoup de personnels affectés aux essais et leur famille.
Ainsi, on comptait moins de 2 500 habitants dans un rayon de 500 km autour des sites de tir et moins de 5 000 habitants dans un rayon de 1 000 km. Tahiti, principal centre de population de la Polynésie, est situé à 1 200 km à l'ouest des sites d'essais.
On estime à environ 130 000 le nombre total de personnes qui sont passées au Centre d'expérimentations du Pacifique de 1966 à 1996, sur l'ensemble de la période incluant aussi bien les essais atmosphériques que souterrains. Ces personnes relèvent de statuts divers: il s'agit de militaires, de fonctionnaires civils, d'agents du CEA, de salariés d'entreprises qui intervenaient sur le site et de personnels recrutés localement. L'évaluation du nombre de ces personnels potentiellement exposés aux retombées des essais atmosphériques sur la période 1966-1974 est difficile à établir. Elle est fonction de la présence en Polynésie lors des campagnes de tir annuelles qui, pour les essais atmosphériques, se concentraient sur une période de un à trois mois dans l'année, ainsi que de la localisation du poste de travail occupé.
B. LA PREMIÈRE SÉRIE D'ÉVALUATIONS EFFECTUÉE APRÈS L'ARRÊT DES ESSAIS
La proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête repose sur l'idée centrale selon laquelle il est nécessaire de remédier à un manque d'information et de réaliser la transparence sur le déroulement des essais nucléaires français.
Il faut tout d'abord rappeler que durant toute la période de la guerre froide, la culture du secret absolu était de règle, non seulement en France, mais dans tous les pays qui ont procédé à des essais nucléaires. Ce secret absolu couvrait toutes les activités liées aux essais : préparation et réalisation des expérimentations, observation des retombées, informations relatives aux infrastructures installées en Polynésie et aux activités s'y déroulant.
La transparence et la communication étaient par conséquent antinomiques avec cette règle du secret justifiée par le contexte stratégique de l'époque.
Toutefois, des données provenant de la surveillance radiologique des sites étaient communiquées, dans le cadre de rapports annuels transmis depuis 1966, au Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Par ailleurs, à la demande du gouvernement néo-zélandais, la France avait accepté en 1983 la réalisation d'une mission de scientifiques néo-zélandais et australiens à Mururoa. Cette mission a publié un rapport (rapport « Atkinson ») concluant au caractère très limité des retombées dues aux essais atmosphériques.
A la suite de l'arrêt des essais, l'ouverture des sites à l'expertise scientifique s'est considérablement amplifiée . Deux instances internationales étaient en effet saisies en 1996 de la question des incidences des essais nucléaires en Polynésie :
- le Comité consultatif international de l'AIEA , chargé d'étudier la situation radiologique présente et future des atolls ;
- la Commission géomécanique internationale , chargée d'étudier leur stabilité géologique et leur hydrographie.
Les rapports établis par ces deux instances ont été publiés en 1998. Comme indiqué plus haut, bien que l'expertise de l'AIEA de 1998 ait conclu qu'il n'était pas nécessaire de poursuivre la surveillance de l'environnement de Mururoa à des fins de protection radiologique, une telle surveillance a été maintenue par les autorités françaises jusqu'à ce jour.
Enfin, au niveau national, un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques établi par MM. Christian Bataille, député, et Henri Revol, sénateur, rendu public en février 2002 , a fait le point sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996.
Ce rapport fournit une description des différents essais effectués au Sahara et en Polynésie, des conditions de leur réalisation et des méthodes d'analyse des retombées. Il fournit également, pour les tirs ayant donné lieu aux retombées les plus significatives, les différentes données recueillies et les évaluations des doses susceptibles d'être absorbées par exposition externe ou interne (inhalation, ingestion). Dans ses conclusions, le rapport souligne l'exhaustivité des travaux conduits dans le cadre des deux expertises internationales lancées en 1996. Estimant qu'ils avaient pu « réétudier, sans concessions, dans tous leurs effets, l'ensemble des essais nucléaires français depuis les décisions initiales en 1947 jusqu'aux derniers essais en 1996 », les rapporteurs estimaient qu'en matière d'environnement et de santé leurs « effets ont été limités, même si, quarante ans plus tard, des hommes se plaignent d'hypothétiques effets sur leur santé ».
Le rapport de l'Office parlementaire comportait également un grand nombre d'informations sur les essais nucléaires réalisés par d'autres pays, principalement les Etats-Unis, l'Union soviétique et le Royaume-Uni.
Ce rapport, tout comme le rapport sur la situation radiologique de Mururoa et Fangataufa établi par le Comité consultatif international de l'AIEA en 1998 et celui de la Commission géomécanique internationale, constituent des étapes très importantes dans le domaine de l'information du public sur les conséquences des essais nucléaires français.
C. UNE TRANSPARENCE ACCRUE AU COURS DE L'ACTUELLE LÉGISLATURE
A la suite d'un déplacement en Polynésie française effectué au cours de l'été 2003, le Président de la République se prononçait en faveur de la création d'un comité interministériel assurant la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, également chargé d'assurer la liaison avec les personnes et associations concernées.
Parallèlement, le ministre de la défense confiait en novembre 2005 à M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, une mission d'écoute et d'explication en Polynésie visant à concourir à l'établissement des faits et à leur impact sur l'environnement et la santé publique.
Les travaux engagés dans ce cadre ne sont pas achevés, mais ont déjà donné lieu à la publication de données complémentaires très substantielles sur les essais polynésiens.
1. La création du comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français et la mission confiée au délégué pour la sûreté nucléaire de défense
Le comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français a été créé le 15 janvier 2004.
Placé sous la responsabilité des ministères de la défense et de la santé, il a reçu mandat sur les questions suivantes :
- la définition et la caractérisation des pathologies susceptibles d'être radio-induites ;
- la caractérisation des catégories de personnes concernées ;
- le bilan des données disponibles sur les expositions au rayonnement ionisants ;
- les règles d'imputabilité et d'indemnisation des pathologies identifiées ;
- les outils de veille sanitaire et scientifique respectifs des deux ministères ;
- l'appréciation de l'intérêt de la mise en place d'une surveillance épidémiologique de certaines catégories de personnes ;
- l'évaluation des initiatives qui concourent à l'estimation des risques sanitaires.
Le comité est composé de représentants du ministère de la défense, du ministère chargé de la santé, de leurs services et du Commissariat à l'énergie atomique. Il peut s'adjoindre en tant que de besoin d'autres personnalités.
Ce comité travaille sur deux axes principaux. Il s'intéresse tout d'abord aux pathologies susceptibles d'être radio induites , en étudiant l'incidence de l'irradiation sur l'augmentation de la fréquence de certaines pathologies, principalement les cancers. Il a constitué pour cela un groupe de travail formé de médecins spécialistes d'horizons divers. Il a également mission de faire un recensement exhaustif des catégories de personnes concernées par les essais nucléaires et d'étudier les données dosimétriques et médicales disponibles.
Le Comité de liaison a remis un rapport d'étape en mars 2005 .
Ce rapport d'étape comporte une première analyse relative aux pathologies susceptibles d'être radio-induites. Il recense les différentes catégories de personnes ayant participé aux essais. S'agissant de la Polynésie, il évalue à environ 130 000 le nombre de personnes étant passées au Centre d'expérimentation du Pacifique, dont 41 000 personnes ayant fait l'objet d'une surveillance dosimétrique externe (dosimètre), ce type de surveillance pouvant être considéré comme un critère d'exposition potentielle aux retombées. Le rapport d'étape détaille également les résultats des dosimétries externes pour les différentes campagnes d'essais. Le rapport précise que sur l'ensemble des dosimétries externes disponibles, les personnels affectés aux essais ayant reçu des doses cumulées supérieures à 50 millisieverts 1 ( * ) , limite de dose réglementaire annuelle pour les travailleurs à l'époque des essais, sont au nombre de 92 pour le Sahara et de 9 pour la Polynésie.
Le comité interministériel doit publier un rapport d'ensemble et effectuer des recommandations au gouvernement dans les toutes prochaines semaines.
S'agissant de la mission confiée à l'automne 2005 par le ministre de la défense à M. Jurien de la Gravière , délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, elle visait à présenter en Polynésie les faits liés aux essais nucléaires et à leur incidence radiologique.
Cette mission de communication intervenait quelques mois après la création par le gouvernement de Polynésie, en juin 2005, d'un Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN) 2 ( * ) et de la constitution en juillet 2005, par l'Assemblée de Polynésie, d'une commission d'enquête chargée de recueillir des éléments sur les conséquences des essais aériens réalisés de 1966 à 1974. Cette dernière a rendu en janvier 2006 un rapport estimant que les essais nucléaires aériens avaient eu des conséquences graves sur la santé des personnels et de l'ensemble de la population polynésienne.
Au cours de l'année 2006, M. Jurien de la Gravière s'est rendu quatre fois en Polynésie, a rendu public un volume assez considérable d'informations et a par ailleurs communiqué des données complémentaires aux autorités de Polynésie.
Un premier document publié en mai 2006 expose les différentes mesures prises à l'occasion des essais : établissement et prise en compte des prévisions météorologiques, définition de zones d'exclusion, processus de décision de déclenchement d'un essai, mesures de protection des personnels et des populations. Il récapitule, pour chacun des 41 essais aériens, les informations météorologiques, les informations sur le tir et les retombées proches ou différées sur les îles ou atolls de Polynésie. L'évaluation des doses est fournie pour les dix essais ayant eu les retombées les plus significatives. Un nouveau calcul des retombées ayant été entrepris pour six d'entre eux, les premiers résultats portant sur trois de ces six tirs sont publiés.
Ce document apporte de nombreux éléments de réponse à certaines observations de la commission d'enquête créée par l'Assemblée de Polynésie. Il fournit aussi des détails sur la situation de l'atoll de Hao.
Un second document publié en octobre 2006 retrace le bilan définitif et complet des doses établies. L'ensemble des nouveaux calculs réalisés sur les six essais ayant donné lieu aux retombées les plus significatives sont publiés. Ils complètent les données précédentes en fournissant des évaluations des doses pour les enfants et des doses à la thyroïde. Au vu de ces nouvelles estimations, le délégué à la sûreté nucléaire de défense conclut qu'au regard de la stricte application de la réglementation actuelle en cas d'évènement nucléaire, aucune retombées n'aurait atteint, durant toute la période des essais nucléaires, un niveau justifiant une mise à l'abri, une évacuation ou une prise d'iode stable.
Indépendamment de la publication de ces deux documents, M. Jurien de la Gravière a remis au Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN), et à travers lui, aux autorités polynésiennes, un dossier global d'information récapitulant tous les faits relatifs aux 41 essais aériens (notamment leur puissance, les conditions météorologiques et les zones concernées par des retombées), le bilan et les conséquences radiologiques des retombées significatives, des éléments de réponse au rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie, ainsi que diverses informations sur l'immersion de déchets radioactifs.
Lors de son audition au Sénat devant la commission le 9 novembre dernier, M. Jurien de la Gravière a observé que tous ces éléments communiqués entre le mois de mai et le mois d'octobre 2006 n'avaient fait l'objet d'aucune contestation.
L'ensemble des documents et données publiés depuis deux ans s'ajoute aux informations déjà communiquées à la suite de l'arrêt des essais. Le ministère de la défense doit par ailleurs publier une monographie complète de nature scientifique sur les aspects radiologiques des essais nucléaires français en Polynésie. Enfin, le comité de liaison interministériel doit également d'ici quelques semaines rendre son rapport final.
Cette démarche de transparence qui se poursuit permet actuellement de disposer d'un niveau d'information exceptionnel sur les essais et leurs retombées . Ces informations claires, solides et étayées répondent de manière précise à la demande d'explication sur le déroulement des essais nucléaires et leurs conséquences. Elles sont désormais à la disposition du public, de la communauté scientifique et de toutes les parties concernées. Aussi n'y a-t-il pas lieu de recourir à la procédure de la commission d'enquête parlementaire.
2. La question des données couvertes par le « secret défense »
Les auteurs de la proposition de résolution considèrent qu'une commission d'enquête serait nécessaire pour « recueillir l'ensemble des informations disponibles sur les conditions de l'exposition, y compris quand elles restent classées « secret défense » ».
Comme il vient d'être indiqué, les informations sur les conditions de l'exposition ont fait l'objet au cours des derniers mois d'une très large publication. Ces informations sont tirées de documents classés « secret défense » qui ne pourraient, quant à eux, être communiqués ou rendus publics qu'à la suite d'une procédure de déclassification.
Les documents couverts par le « secret défense » sont essentiellement issus de deux services de l'ancienne direction des centres d'expérimentation nucléaires (DIRCEN), dissoute en 1998 : le service mixte de sécurité radiologique (SMSR) et le service mixte de contrôle biologique (SMCB) 3 ( * ) .
Devant le Sénat, lors de la séance publique du 10 octobre dernier, en réponse à la question Mme Hélène Luc, le ministre de la défense a indiqué qu'elle ne pouvait pas lever le « secret défense » sur les documents émanant du service mixte de sécurité radiologique et du service mixte de contrôle biologique. En effet, ces documents contiennent les données recueillies lors des essais, à partir desquelles les retombées ont été calculées. Mais ils comportent aussi des indications sur la méthode des essais, sur le fonctionnement des armes et sur leur format. Il s'agit donc de documents extrêmement sensibles du point de vue de la prolifération nucléaire.
Mme Michèle Alliot-Marie a cependant déclaré qu'elle permettrait à des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre précis d'accéder à ces dossiers. M. Jurien de la Gravière a précisé devant la commission le 9 novembre dernier que les experts effectuant des études épidémiologiques pourraient ainsi consulter les données relatives aux retombées radiologiques sur l'environnement nécessaires à leurs études . Cette position du ministre de la défense témoigne de sa volonté de transparence tout en répondant concrètement aux attentes de ceux qui souhaitent une évaluation indépendante des conséquences des retombées.
En revanche, il faut rappeler que la création d'une commission d'enquête parlementaire serait de ce point de vue inopérante. L'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose explicitement dans son article 6 que les commissions d'enquête ne peuvent pas obtenir communication des documents « revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale » .
Une éventuelle commission d'enquête ne pourrait ainsi réunir les documents concernés alors qu'il a été proposé de laisser des scientifiques habilités accéder aux données pertinentes pour l'évaluation des retombées.
Dans ces conditions, votre rapporteur estime que la commission doit écarter la procédure de la commission d'enquête et continuer, en revanche, à se tenir largement informée de ce dossier par tous les moyens qui sont déjà à sa disposition, comme elle l'a fait jusqu'à présent avec, notamment, l'audition du délégué à la sûreté nucléaire de défense et l'analyse des nombreuses informations récemment publiées par les pouvoirs publics.
* 1 Le sievert est l'unité de mesure utilisée pour évaluer les irradiations sur l'homme et les organismes vivants. Il quantifie la dose absorbée en tenant compte de la nature spécifique d'un rayonnement donné (notion de dose équivalente). C'est l'unité de référence pour évaluer le risque sur la santé entraîné par une exposition.
* 2 Le COSCEN est composé de trois membres du gouvernement, de trois membres de l'Assemblée de Polynésie et de trois membres de l'association Mururoa e tatou représentant d'anciens travailleurs polynésiens du Centre d'expérimentations du Pacifique.
* 3 Le service mixte de sécurité radiologique avait la responsabilité de la radioprotection des personnes et du suivi de la radioactivité dans le milieu physique (air, eau, sol). Le service mixte de contrôle biologique avait pour mission d'assurer la surveillance radiologique de la biosphère, y compris les denrées alimentaires et les eaux de boisson. Il était chargé d'évaluer l'exposition des populations au regard de leur alimentation.