EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Présenté au Conseil des ministres du 7 juin 2006 par M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, puis débattu en premier lieu à l'Assemblée nationale le 28 juin, le projet de loi de modernisation de la fonction publique a pour principal objet de mettre en oeuvre les accords conclus par le Gouvernement, le 25 janvier 2006, avec la CFDT, l'UNSA et la CFTC, sur l'action sociale et l'évolution statutaire dans la fonction publique.
Il tend également à réformer les règles applicables à la mise à disposition, à la déontologie ainsi qu'au cumul d'activités, en tirant notamment les conséquences de trois rapports :
- un rapport d'enquête de l'inspection générale des finances sur la mise à disposition des personnels dans les services de l'Etat, établi au mois de novembre 2004 à la demande du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre de la fonction publique ;
- un rapport établi en 2003 par M. Guy Berger, président de chambre à la Cour des comptes, sur les règles de déontologie applicables aux départs dans le secteur privé ;
- un rapport établi par le Conseil d'Etat en 1999, relatif aux cumuls d'activités et de rémunérations des agents publics.
Les mesures proposées tendent à faciliter les progressions de carrière, à développer la mobilité et à accroître les échanges aussi bien entre administrations publiques qu'entre le secteur public et le secteur privé.
Nombre d'entre elles, relatives notamment à la formation professionnelle et à la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle, sont homothétiques de celles qui figurent dans le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, en cours de navette.
Ces deux projets de loi font suite à de nombreuses réformes du statut général des fonctionnaires qui, par petites touches, esquissent depuis quelques années la mise en place d'un droit public du travail.
I. UNE FONCTION PUBLIQUE EN MÉTAMORPHOSE PROGRESSIVE
La fonction publique française évolue, sûrement davantage dans les comportements des individus qui la composent que dans l'idée que continuent de s'en faire ceux qui la représentent ou que dans le droit qui la règlemente.
Cela explique peut-être que ce dernier procède de manière insensible, par touches successives, sous la pression de facteurs extérieurs ou d'accords ponctuels entre les acteurs concernés, et non par de grandes réformes qui bousculeraient la culture bureaucratique qui demeure la référence d'une population hétérogène et dont le nombre global continue de progresser : si les effectifs de l'administration d'Etat diminuent à dose homéopathique, ceux de la fonction publique territoriale ne cessent de croître sous l'influence, outre des transferts de personnels venant de l'Etat dans le cadre de la décentralisation, de l'intercommunalité et d'une gestion plus dynamique des compétences héritées de la décentralisation, qui se traduisent toutes deux par le recrutement en nombre d'agents supplémentaires.
A. LE POIDS DES TRADITIONS
Officiellement, l'administration la plus pléthorique du monde occidental semble vouée à une permanence éternelle si on la compare aux fonctions publiques de tous les pays voisins, qui évoluent et se transforment radicalement depuis quelques décennies, y compris sous l'égide de majorités et de gouvernements de gauche : la réduction de la fonction publique sous statut aux seuls domaines régaliens, le passage du statut à la convention collective, la gestion des agents publics par des autorités administratives indépendantes, l'alignement sur le droit privé du travail sont autant de formes d'une mutation aussi rapide que radicale.
La lecture des adaptations successives qui se sont produites ces dernières années en France et dont la présente loi est le dernier exemple montre qu'un mouvement de réforme se dessine. Certes, il n'est jamais question de réformes radicales, mais la « modernisation » est à la fonction publique ce que la « respiration » était aux entreprises publiques lorsque le législateur s'avisa qu'il était temps de vivre dans son siècle.
La loi qui nous est proposée survient à l'heure du soixantième anniversaire du premier statut, celui de 1946, qui porte la signature de Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste et alors vice-président du conseil chargé notamment de la fonction publique, et dont la refonte en 1983-1984 -plaçant la fonction publique territoriale émergente dans le moule statutaire de celle de l'Etat- fut l'oeuvre d'un autre ministre communiste chargé de la fonction publique, Anicet Le Pors.
Cette continuité unique dans les démocraties occidentales traduit une conception de l'administration dont la logique statutaire est déclinée jusqu'à l'extrême : la promotion à l'ancienneté et l'égalitarisme des traitements rendent l'évaluation au mérite marginale, la protection contre l'arbitraire hiérarchique rend quasi impossible la révocation.
Cette conception est aujourd'hui impraticable car elle se heurte aux aspirations mêmes des fonctionnaires, aux nécessités d'une gestion plus efficiente des services publics, à la volonté de l'Union européenne d'une approche globale du droit du travail qui dépasse la division traditionnelle public/privé et enfin au redimensionnement de l'Etat sur ses fonctions régaliennes.