2. Une très large concertation sociale
La seconde question préalable à la privatisation de GDF est d'ordre social. De ce point de vue, votre commission considère que la concertation que le Gouvernement a effectuée avec les organisations syndicales est exemplaire . Comme l'a rappelé à de nombreuses reprises M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, ce sont un peu moins d'une quarantaine de réunions avec les organisations syndicales qui ont été tenues entre le début du mois de mars et la fin du mois de mai 2006. Ces réunions ont permis à toutes les formations syndicales d'aborder l'ensemble des aspects économiques et sociaux de la fusion et elles ont été prolongées par la remise au gouvernement d'un questionnaire en 71 points auquel il a répondu précisément. Au demeurant, votre rapporteur relève qu'une de ces grandes centrales syndicales défend une position favorable à la fusion. Par ailleurs, comme le lui ont indiqué lors de leur audition le président et le vice-président de l'association des cadres de GDF, la très grande majorité de ces cadres sont favorables au projet industriel, tout comme le sont, à l'unanimité, les membres du comité d'entreprise de Suez.
3. L'absence d'alternatives crédibles
Même si d'autres projets industriels auraient pu avoir leur pertinence, votre commission reste persuadée que la fusion GDF/Suez constitue le projet le plus ambitieux.
Sur ce sujet, votre rapporteur souhaiterait consacrer un rapide développement au projet alternatif le plus souvent cité par les personnalités s'opposant à cette fusion et qui défendent une fusion entre EDF et GDF. Pour votre commission, l'analyse est claire : il s'agit d'un projet qui, s'il était mis en oeuvre effectivement, serait dévastateur au plan social et économique et qui affaiblirait définitivement nos deux opérateurs .
En vertu des règles communautaires, toute fusion d'une telle ampleur, comme l'est actuellement le projet GDF/Suez, est soumise au contrôle des concentrations de la Commission européenne . Or, celle-ci a déjà eu l'occasion de se prononcer sur un projet similaire lors de la proposition de rapprochement de l'électricien et du gazier portugais 48 ( * ) . Elle a explicitement mis son veto à ce projet 49 ( * ) , le jugeant incompatible avec les règles du marché commun dans la mesure où EDP et GDP détenaient des positions dominantes sur leurs marchés respectifs.
La Commission européenne a fondé sa décision sur les arguments suivants : - EDP et GDP détiennent sur leur marché respectif une position dominante durable que la libéralisation progressive des marchés ne remettra fondamentalement pas en cause ; - la fusion va renforcer les positions dominantes de chacune des deux sociétés sur leur marché respectif et annuler le potentiel compétitif que chacune aurait pu représenter pour l'autre ; - ce renforcement empêchera la libéralisation effective des marchés de l'électricité et du gaz portugais et accroîtra les prix pour les particuliers et les clients industriels. |
Pour votre commission, il n'est pas douteux que la Commission européenne, si elle était saisie du dossier de fusion EDF/GDF, rendrait une décision de la même nature tant il est vrai que la situation de nos opérateurs historiques est semblable à celle des énergéticiens portugais 50 ( * ) .
Et dans le cas de figure où la Commission européenne serait amenée à accepter une telle opération, il n'est pas non plus douteux que cela serait au prix de très larges cessions d'actifs qui conduiraient, de facto , au démantèlement partiel des deux entreprises.
Pour terminer sur ce sujet, votre commission rappelle que les travaux de la commission 51 ( * ) dirigée par M. Marcel Roulet 52 ( * ) , chargée de réfléchir au projet industriel et financier d'EDF, ont écarté cette hypothèse.
Le rapport précise à cet égard (page 22) que « l'éventualité d'une fusion entre EDF et Gaz de France a été examinée sous ses aspects juridiques comme sous un angle industriel. Si certains membres de la commission ont exprimé un attachement de principe à cette idée de fusion, la commission a plutôt relevé les risques juridiques et les inconvénients stratégiques que présenterait cette opération ».
S'appuyant sur une étude réalisée par le cabinet Bredin-Prat, le rapport indique que la Commission européenne pourrait être amenée à demander des contreparties importantes aux deux entreprises à tous les niveaux de la chaîne de valeur énergétique et, notamment, sous la forme de cessions de capacités de production. L'étude du cabinet tablait ainsi sur des cessions de l'ordre de 15 % pour chacun des acteurs . Surtout, les présidents des entreprises concernées avaient, sur ce sujet, mis en avant les conséquences négatives majeures qu'auraient ces cessions sur le plan social, les personnels des activités cédées devant être transférés avec ces dernières.
En définitive, l'ensemble des arguments présentés ci-dessus conduisent donc votre commission à écarter avec la plus grande énergie une telle solution.
Pour conclure ces développements sur la privatisation de Gaz de France, votre rapporteur souhaite réaffirmer que le caractère public ou privé n'a, en définitive, pas d'impact sur les obligations de service public qui s'imposent en tout état de cause à tous les opérateurs . De ce point de vue, il n'est donc pas possible d'affirmer que la privatisation de GDF se traduira par l'affaiblissement des missions de service public, qui restent déterminées par la loi. De même, les arguments sur le renchérissement supposé du prix du gaz naturel qui résulterait de la privatisation doivent-ils être écartés puisque le projet de loi prévoit que ces prix restent fixés par le gouvernement ou par la CRE pour les tarifs d'utilisation des réseaux.
En effet, comme cela a été rappelé précédemment, les récentes hausses du prix du gaz sont très largement liées à la flambée du prix du baril de pétrole. Dans la mesure où ces deux énergies sont directement substituables, le renchérissement de l'une de ces deux sources a, avec retard, un impact direct sur l'autre. Ce lien entre les prix de ces deux énergies est d'ailleurs consacré dans les contrats d'approvisionnement gaziers puisqu'ils retiennent, pour l'évolution des prix, des formules d'indexation sur le prix du pétrole. Enfin, dans une moindre mesure, c'est également l'insuffisante diversification de nos sources d'approvisionnement qui est pour partie responsable de l'envolée du prix du gaz. De ce point de vue, la fusion avec Suez devrait donc constituer, là encore, un net facteur de progrès.
* 48 Projet d'acquisition par l'italien ENI et Energias de Portugal (EDP) - l'opérateur historique du marché électrique portugais - de Gás de Portugal (GDP) - l'opérateur historique du secteur du gaz portugais.
* 49 Décision du 9 décembre 2004, affaire COMP/M.3440.
* 50 EDP vend plus de 90 % de l'électricité consommée au Portugal et produit entre 70 et 80 % de ce total. En comparaison, EDF vend également plus de 90 % de l'électricité consommée en France et en produit bien plus que la consommation nationale pour assumer ses obligations en termes de sécurité du réseau et ses engagements contractuels à long terme à l'exportation.
* 51 Commission composée, entre autres, de parlementaires de la majorité et de l'opposition.
* 52 Rapport remis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie le 18 novembre 2004.