II. LE DÉPÔT LÉGAL DE L'INTERNET

Le présent projet de loi permet de dépasser la phase d'expérimentation menée en matière de préservation des contenus diffusés sur Internet par les organismes dépositaires depuis plusieurs années en créant un cadre juridique pérenne permettant de collecte et de conserver la mémoire de ce patrimoine.

A. LE DÉPÔT LÉGAL : UNE OBLIGATION ANCIENNE...

Le dépôt légal est une obligation ancienne. Elle fut instaurée en 1537 69 ( * ) par François 1 er afin « d'assembler en notre librairie toutes les oeuvres dignes d'être vues, qui ont été ou qui seront faîtes (...) pour avoir recours auxdits livres, si de fortune ils s'étaient cy-après perdus de la mémoire des hommes, ou aucunement immués, ou variés de leur vraye et première publication ».

Institué pour les imprimés, le dépôt légal fut successivement étendu aux estampes dont les cartes et plans (1648), aux partitions musicales (1793), aux photographies et aux phonogrammes (1925) ainsi qu'aux vidéogrammes et documents composés de plusieurs supports (1975).

Dernier texte en date, la loi du 20 juin 1992 a créé le dépôt légal de la radio et de la télévision, attribué à l'Institut national de l'audiovisuel, a confié celui des films cinématographiques au Centre national de la cinématographie et a élargi les responsabilités de la Bibliothèque nationale à l'édition électronique sur support.

B. ... ADAPTÉE PAR LE PRÉSENT PROJET DE LOI À L'UNIVERS NUMÉRIQUE

Le titre IV du présent projet de loi propose d'adapter les dispositions de la loi du 20 juin 1992 à l'univers numérique. Il étend ainsi l'obligation de dépôt légal aux services de communication au public par voie électronique et clarifie les relations entre les organismes dépositaires et les titulaires de droit de propriété littéraire et artistique.

Avant d'entrer plus avant dans la genèse de cette extension, votre rapporteur tient à rappeler que les articles du présent titre reprennent, en les précisant, les dispositions de l'article 10 du projet de loi sur la société de l'information déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 14 juin 2001 70 ( * ) .

1. Le dépôt légal de la Toile : une préoccupation internationale

Les bibliothèques nationales ont commencé dès 1994 à considérer l'archivage des contenus de la Toile comme l'extension normale de la mission de dépôt légal telle qu'elle est définie dans la plupart des pays. C'est à partir de 1996 que les premières politiques ont été mises en place, précédant généralement l'évolution de la législation.

a) Les expériences étrangères

Plusieurs pays ont précédé la France dans la voie de la collecte des documents numériques. Dans la mesure où tout garder est impossible, mais où garder un maximum est indispensable, chacun d'entre eux a mis au point des stratégies différentes mais complémentaires afin de recueillir et de sauvegarder, pour les générations futures, la trace de ce qui circule sur la Toile.

Les États qui, comme le Québec, ont appliqué une stricte logique de complémentarité avec l'imprimé, ont été conduits à isoler et traiter comme des publications ordinaires des portions statiques ou des versions successives de portions détachées du contexte de leurs sites. Leur bilan en termes de coûts et de réponse à une attente future est décevant car la sélection est difficile à faire.

Ceux qui, comme la Suède, ont choisi une démarche privilégiant le web dit « de surface », avec des copies de la production nationale selon une périodicité régulière, sans volonté de complétude, ont réussi, avec des moyens humains et techniques très raisonnables, à constituer une archive aussi commodément accessible que les sites actuels d'Internet.

Le rapport entre les volumes traités et les ressources affectées est sans commune mesure dans l'un et l'autre cas : 1054 publications gouvernementales, monographies et périodiques pendant un an au Québec et 96 600 sites différents archivés périodiquement avec une équipe informatique de taille équivalente pour la Suède.

Les États-Unis, pour leur part, ont privilégié une démarche originale. Loin de promouvoir une vision nationale du web, la Bibliothèque du Congrès a réalisé des collectes thématiques des sites de tous pays afin de garder trace du regard international jeté sur les évènements majeurs de l'Histoire américaine récente tels que les élections présidentielles de 2000 (767 sites), les attentats du 11 septembre (30 000 sites) et les élections de 2002.

b) Les expériences entreprises par la BnF et l'INA

La Bibliothèque nationale de France (BnF) et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ont engagé, dès la fin des années 90, une réflexion sur l'extension du dépôt légal aux ressources électroniques en ligne.

Conduite en parallèle au projet européen NEDLIB 71 ( * ) (Networked Deposit Library), cette réflexion a abouti au lancement d'études complémentaires organisées par les deux organismes dépositaires à la demande du Conseil scientifique du dépôt légal : l'INA a ainsi exploré en détail les sites de radio et de télévision et la diffusion en flux alors que la BnF a considéré de manière globale tous les types de sites, le dépôt légal qu'elle gère concernant tous les domaines du savoir et tous les types de contenus.

Afin de préparer d'un point de vue technique et organisationnel le fonctionnement du dépôt légal de la Toile, la BnF a ainsi lancé divers chantiers expérimentaux entre 2001 et 2004 72 ( * ) . Ceux-ci ont contribué à affiner la définition des outils techniques nécessaires à la collecte globale ou spécifique, à sensibiliser les services concernés par ces nouvelles sources du dépôt légal et à évaluer les normes à prendre à compte dans les traitements de base pour assurer un stockage pérenne des échantillons obtenus lors des tests.

Au terme de ces expérimentations, les équipes contribuant à cette réflexion ont considéré que le dépôt légal de la Toile ne devait pas être traité seulement comme s'il s'agissait d'un support de substitution. Celui-ci se justifie en effet en tant que source d'information originale, objet d'étude spécifique et média en phase de croissance faisant apparaître de nouvelles formes de création individuelles et collectives. Il est apparu par conséquent nécessaire d'entreprendre la collecte des documents en ne négligeant aucune des trois techniques complémentaires que sont :

- le dépôt négocié avec les producteurs afin de rassembler l'exhaustivité d'un site (dont une partie n'est pas copiable par le robot) ;

- la copie automatique, selon une périodicité régulière ou non, afin de préserver une « photographie » représentative de la production française en ligne, à un instant donné ;

- une collecte thématique répondant à l'idée que l'on peut se faire aujourd'hui des besoins principaux de la recherche future.

2. Le texte du projet de loi

Le titre IV du présent projet de loi propose de :

- compléter la liste des personnes physiques ou morales assujetties à l'obligation de dépôt légal ;

- définir les modalités d'application du dépôt légal des contenus diffusés sur Internet ;

- définir le cadre juridique d'une exception aux droits d'auteur et aux droits voisins au bénéfice des organismes dépositaires et des chercheurs accrédités.

Votre rapporteur se félicite que ce texte permette enfin de dépasser la phase d'expérimentation menée en ce domaine par les organismes dépositaires depuis plusieurs années en créant un cadre juridique pérenne permettant de collecte et de conserver la mémoire de ce patrimoine.

* 69 Ordonnance du 28 décembre 1537, dite ordonnance de Montpellier, édictant le dépôt de tout livre nouveau, écrit ou vendu dans le royaume, quels qu'en soit le sujet et la langue usitée.

* 70 Projet de loi sur la société de l'information présenté au nom de M.  Lionel Jospin, Premier ministre, par M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n° 3143.

* 71 Lieu d'échanges avec les autres bibliothèques nationales européennes à propos de la conservation des ressources numériques

* 72 En matière de collecte thématique, on citera la collecte des sites électoraux des élections présidentielles et législatives de 2002 qui a permis de tester la constitution de corpus documentaires thématiques, la mise dans un format pérenne normalisé des 535 Go collectés, ainsi qu'une première forme de navigation simple dans l'archive.

En matière de dépôt de sites, procédure qui ne permet de traiter qu'un faible pourcentage du contenu de la Toile et qui doit par conséquent être réservé à des cas exceptionnels et importants pour lesquels les sites ou les portions de sites ne peuvent être copiés par le robot, la BnF a sélectionné 36 d'entre eux afin de définir, en accord avec les éditeurs, une méthode et des procédures propres à en limiter la charge à un niveau supportable à la fois pour le déposant et pour l'organisme dépositaire.

Enfin concernant la collecte automatique des sites, qui ne peut être appliquée qu'à la « surface » de la Toile, la BnF a testé dès 1999 la collecte automatique dans le cadre du projet NEDLIB, puis a réalisé un instantané du domaine « .fr » en juin 2002 en utilisant le même robot que la Bibliothèque Royale de Suède.

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