C. AUDITION DE MME MICHÈLE MONRIQUE, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE, ET DE M. DIDIER HOTTE, ASSISTANT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIÈRE (CGT-FO)
Réunie le mercredi 8 février 2006 sous la présidence de M. Alain Gournac, vice-président , la commission a procédé aux auditions sur le projet de loi n° 2787 (AN - XIIe législature) pour l'égalité des chances.
Mme Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la CGT-FO , rappelant l'engagement fort de la CGT-FO contre les discriminations, a jugé l'égalité des droits plus convaincante que celle des chances. Dans cette perspective, les discriminations à l'embauche apparaissent comme un phénomène grave auquel le projet de loi ne donne pas de réponses tout à fait adaptées. Le débat autour de l'introduction du contrat première embauche (CPE) dissimule de ce point de vue l'importance du reste du texte.
En ce qui concerne la lutte contre les discriminations liées à l'immigration, la CGT-FO, très impliquée dans l'action du fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre la discrimination (Fasild), estime excessivement floues les dispositions substituant une Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances à cet organisme. Les pouvoirs de l'agence sont en effet mal définis. Or il n'est pas souhaitable que les missions actuellement assumées par le Fasild soient diluées dans un ensemble plus vaste, alors que le Fasild a fait la preuve de sa capacité à être présent sur le terrain et à associer efficacement les associations à son action.
Il convient donc d'éclaircir les missions, le domaine de compétence géographique et le public de l'agence. La notion de quartiers présentant des « caractéristiques sociales et économiques analogues aux zones urbaines sensibles » est vague. Celle de « personnes rencontrant des difficultés d'insertion sociale ou professionnelle » n'est pas plus précise. Par ailleurs, la formulation selon laquelle les actions de l'agence viseront « notamment l'intégration des populations immigrées », fait craindre que les missions du Fasild ne soient diluées dans le champ d'intervention beaucoup plus large de l'agence. La CGT-FO souhaite que l'action de l'agence à l'égard des populations immigrées soit identique à celle que le Fasild mène actuellement.
Mme Michèle Monrique a aussi évoqué le risque de politisation résultant d'une responsabilité du maire en matière de répartition des subventions. Elle a regretté que les préfets soient désignés comme délégués départementaux de l'agence, notant à titre d'illustration que les commissions départementales d'accès à la citoyenneté (Codac), actuellement placées sous leur autorité, sont peu actives.
Il serait donc indispensable de préciser la définition juridique des missions de l'agence, afin que celle-ci assume pleinement et efficacement les missions d'intégration actuellement dévolues au Fasild.
Mme Michèle Monrique s'est enfin inquiétée du sort du personnel du Fasild et de la disponibilité des moyens nécessaires pour faire face à l'élargissement des missions de l'agence au regard de celles du Fasild.
Elle a ensuite indiqué que la CGT-FO est favorable à l'octroi d'un pouvoir de sanction à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), tout en s'interrogeant sur la portée réelle de ce pouvoir de sanction et en exprimant le regret que les syndicats n'aient pas été consultés sur le projet de loi.
Elle a approuvé la légalisation du testing, indiquant que la CGT-FO a longtemps travaillé avec SOS Racisme, qui soutient cette formule et a démontré son efficacité.
En ce qui concerne le service civil volontaire, elle a jugé incertaine l'articulation de ce nouveau dispositif avec la compétence des missions locales.
M. Didier Hotte, assistant du secrétaire général de la CGT-FO , a estimé que l'apprentissage reste un des moyens privilégiés de l'accès à l'emploi, mais a regretté que le projet de loi porte atteinte à l'obligation scolaire jusqu'à seize ans. Des dérogations existent certes d'ores et déjà, mais le phénomène va s'amplifier. Il a aussi déploré l'élargissement récent, par décret, des possibilités de travail des mineurs la nuit, le dimanche et les jours fériés, estimant qu'il aurait été préférable d'alléger les effectifs des classes dans les zones d'éducation prioritaire (Zep).
Il a jugé que les allégements de cotisations sociales accordés aux entreprises vont accentuer les difficultés financières de la sécurité sociale, notant qu'aucun bilan de l'efficacité des exonérations en matière d'emploi n'a jamais été établi.
En ce qui concerne les zones franches urbaines, l'extension du dispositif, ainsi que les nouveaux allégements fiscaux et les nouvelles exonérations de cotisations qui l'accompagnent, ne sont pas sans inconvénient pour l'intégration du territoire.
Abordant la question du contrat première embauche (CPE), M. Didier Hotte a regretté qu'aucune consultation des partenaires sociaux n'ait eu lieu alors que des promesses de concertation avaient été faites dans l'hypothèse où des projets de loi touchant à l'architecture du code du travail seraient élaborés.
Peu convaincu par le fait que le CPE permettra de lever les réticences des petits employeurs devant l'embauche, il a observé qu'il est d'ores et déjà possible de mettre fin au contrat à durée indéterminée dans des conditions assez souples et, qu'en tout état de cause, les entreprises moyennes et les grandes entreprises, bénéficiaires elles aussi de cet outil, n'éprouvent pas les réticences des petits employeurs devant l'embauche.
La période de consolidation de deux ans prévue pour le CPE invalide les dispositions du code du travail qui obligent l'employeur à motiver ses raisons de licencier. Un élément important du système des libertés publiques disparaît ainsi. Dans ces conditions, l'argument selon lequel un certain nombre de droits sont accordés aux salariés en contrepartie de la flexibilité, ne tient guère.
Par ailleurs, le CPE crée entre les salariés une discrimination en fonction de l'âge. En cumulant le CPE, le contrat « nouvelles embauches » (CNE) et le contrat à durée déterminée (CDD) seniors, on crée en ce moment des « zones franches du droit » dont le Premier ministre pourra se prévaloir pour proposer en fin de compte le contrat de travail unique doté d'une période d'essai de deux ans. Or si la flexibilité est à la mode en Europe, les pays qui ont institué cette formule ne réalisent pas des performances exemplaires en ce qui concerne la distribution de la richesse nationale. Du reste, en Grande-Bretagne, la période d'essai n'est pas de deux ans, mais d'un an. En définitive, à son sens, le CPE renforcera la précarité que les jeunes subissent.
M. Alain Gournac, rapporteur , a demandé si les mesures du projet de loi concernant l'apprentissage sont satisfaisantes et a souhaité connaître la position de la CGT-FO sur les curriculum vitae anonymes ainsi que sur le testing.
Mme Michèle Monrique a estimé que les curriculum vitae anonymes permettent de surmonter le premier obstacle dans la course à l'emploi. Après l'entretien avec le recruteur, seul le testing permettra de démontrer une éventuelle discrimination à l'embauche. En ce qui concerne l'apprentissage, les mesures envisagées portent atteinte à l'obligation scolaire jusqu'à seize ans. En dehors de ce changement, les dispositions du projet de loi consistent, dans ce domaine, à « recycler » les classes d'initiation préprofessionnelle en alternance (Clipa). L'âge de l'obligation scolaire doit rester fixé à seize ans. En effet, un préadolescent est fragile et son insertion prématurée dans le monde du travail peut avoir un effet déstabilisateur. Par ailleurs, il est improbable que les employeurs, qui peinent à offrir des emplois à seize ans, proposent des offres dès l'âge de quatorze ans.
M. Roland Muzeau a demandé l'avis des intervenants sur le CNE, considéré par le Gouvernement comme un succès alors qu'il a suscité un simple effet d'aubaine, sur l'âge d'entrée en apprentissage, que l'on a porté jadis de quatorze ans à seize ans pour de bonnes raisons, et sur la façon dont est élaboré actuellement le projet de contrat de transition professionnelle.
M. Didier Hotte a estimé que le chiffre de 280.000 CNE signés dont le Gouvernement fait état, résulte d'une estimation effectuée par l'Institut français d'opinion (Ifop) auprès de 300 entreprises. Il est peu rassurant que le droit du travail soit remis en cause en fonction des intentions exprimées dans ce cadre par quelque 300 employeurs. En réalité, l'évolution des offres d'emploi ne montre actuellement aucun signe du frémissement annoncé. Enfin, il a indiqué que la CGT-FO n'a pas été consultée sur le contrat de transition professionnelle.
M. Guy Fischer a exprimé son scepticisme à l'égard de la multiplication des agences. Il a noté l'accélération continue des inégalités et a regretté que les moyens actuellement répartis entre 1.000 collèges soient à l'avenir concentrés sur 250 collèges dans le cadre de la réforme des Zep.
M. André Lardeux a demandé quelle est, pour les intervenants, la disposition la plus importante qui manque au projet de loi. Il a par ailleurs fait valoir l'existence d'un problème spécifique de chômage des jeunes, auquel le CPE essaie de répondre, et a souhaité savoir ce que la CGT-FO propose en faveur de l'emploi des jeunes de moins de vingt-six ans.
M. Jean-Pierre Godefroy a exprimé son opposition aux nouvelles possibilités de faire travailler les jeunes de moins de seize ans la nuit, les dimanches et les jours fériés, estimant cette mesure incompatible avec la scolarité des apprentis. Il a rappelé que l'interdiction du travail de nuit des mineurs de seize ans datait de 1874.
Mme Michèle Monrique a regretté que les jeunes soient obligés de passer par le sas de la précarité avant de trouver un emploi stable. Elle a critiqué l'élargissement, introduit dans la loi sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, des cas de recours autorisé au travail temporaire. Elle a estimé choquant que le même procédé conduise le Gouvernement à introduire le CPE dans le projet de loi sur l'égalité des chances, qui ne fournit pas de réponse au désespoir des jeunes.