II. MIEUX CONTRÔLER ET LUTTER CONTRE LA FRAUDE : UNE EXIGENCE DE JUSTICE SOCIALE
A. LES INCOHÉRENCES DU DISPOSITIF ACTUEL DE CONTRÔLE ET DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE COMPROMETTENT SON EFFICACITÉ
Le contrôle des abus et des fraudes et leur sanction répondent à un impératif de justice sociale, due non seulement au contribuable qui finance la solidarité nationale mais aussi aux autres bénéficiaires respectueux des règles qui président à l'attribution des prestations. Par ailleurs, le contrôle - s'il est respectueux des personnes - permet d'asseoir la légitimité des minima sociaux vis-à-vis de l'opinion publique.
A titre liminaire, il convient de rappeler que la fraude aux minima sociaux peut recouvrir des comportements très divers et d'un degré de gravité variable : il peut ainsi s'agir d'un oubli - plus ou moins délibéré - de mentionner, à l'occasion d'une déclaration de situation, tel ou tel revenu tiré d'une activité occasionnelle, d'une fausse déclaration ou, de façon plus grave, de la fraude organisée avec recours à de fausses identités. Ces comportements peuvent également être occasionnels ou répétés pendant une longue période et le montant des prestations indûment perçues peut dès lors être plus ou moins important. En toute logique, ces différents types de comportements devraient appeler des sanctions graduées et proportionnées.
Or, le dispositif pénal actuel de répression de la fraude aux minima sociaux est très disparate : les amendes vont de 3.750 euros pour l'ASS à 375.000 euros pour le RMI ; elles peuvent, selon les cas, être ou non assorties de peines d'emprisonnement - c'est le cas pour le RMI et l'ASS, pas pour l'API - d'une durée plus ou moins longue (de deux mois pour l'ASS à cinq ans pour le RMI). Outre le fait qu'il est peu cohérent - comment justifier, en effet, une amende mille fois plus élevée pour le RMI que pour l'ASS ? -, ce dispositif ne reflète pas la gravité réelle des faits incriminés.
Ces incohérences expliquent que les sanctions actuelles en cas de fraude aux minima sociaux restent très largement inappliquées : les Caf font ainsi état du classement sans suite de plus de 75 % des plaintes déposées en matière de fraude au RMI.
Dans le cas particulier du RMI, la référence au délit d'escroquerie au sens du code pénal rend la sanction très largement inapplicable car ce délit recouvre des catégories de faits bien précises : pour que les juges en reconnaissent l'existence, il faut pouvoir prouver le recours à une fausse identité, à une fausse qualité, à l'abus d'une qualité vraie ou encore à des manoeuvres frauduleuses. En l'absence de tels faits, et même si l'existence de la fraude au sens commun du terme n'est pas contestable, les juges sont contraints de classer l'affaire.
Cette sanction défaillante n'est pas sans conséquence. Il n'est pas possible en effet d'évaluer dans quelle mesure cette défaillance est connue des abuseurs. Si elle alimente certainement un sentiment d'impunité, il est très difficile de déterminer l'ampleur des fraudes consécutives à cette situation car l'existence d'un nombre incompressible de fraudes ou de tentatives de fraudes est inhérente à tout système de prestation sociale, surtout si celui-ci est généreux.
Il est en revanche certain que cette défaillance de la sanction contribue à alimenter la suspicion du contribuable vis-à-vis des bénéficiaires de minima sociaux et à accréditer la thèse selon laquelle un nombre important de personnes perçoivent des prestations auxquelles elles n'ont pas droit, soit parce qu'elles trichent pour en obtenir le bénéfice, soit parce qu'elles ne font pas les efforts qu'on attend d'elles pour s'en sortir.