C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION : INSCRIRE CE PROJET DE LOI DANS LA PERSPECTIVE D'UNE RÉFORME PLUS LARGE DES MINIMA SOCIAUX
1. A court terme : faciliter les transitions à l'entrée et à la sortie de l'intéressement
a) Versement de la prime de retour à l'emploi : oser la confiance envers les bénéficiaires
Votre commission s'interroge sur le délai de quatre mois prévu pour le versement de la prime de retour à l'emploi. En effet, si son objet est de permettre aux bénéficiaires de faire face aux dépenses liées au retour à l'emploi, ce versement est trop tardif et il risque de faire manquer son but au dispositif qui ne trouve alors plus guère d'autre justification que celle de simple « appât ». La règle du versement au bout de quatre mois fait donc perdre à la prime une grande partie de son efficacité et de sa légitimité et l'on serait alors en droit de considérer que les sommes consacrées à cette prime pourraient être mieux employées.
Dans certains cas, le versement au bout de quatre mois risque d'ailleurs d'aboutir à des résultats absurdes : comme la durée minimale d'emploi pour bénéficier de la prime est également de quatre mois, certains bénéficiaires se verront octroyer la prime au moment où ils quittent leur emploi. La prime de retour à l'emploi deviendrait dans ce cas une forme de prime de licenciement, ce qui serait tout à fait contraire à l'objectif poursuivi par le Gouvernement.
Justifier le versement au bout de quatre mois par la volonté de favoriser une insertion professionnelle plus durable n'est pas un argument recevable : la question de la durée minimum d'emploi ouvrant droit au bénéfice de la prime et celle de la date de versement sont indépendantes l'une de l'autre. Il est possible de réserver la prime aux emplois d'une durée minimale de quatre mois tout en la versant immédiatement, si l'on considère qu'une embauche en contrat à durée indéterminée (CDI), en contrat à durée déterminée de plus de quatre mois ou en intérim de plus de quatre mois permettent a priori de remplir la condition de durée minimum fixée par la loi.
Justifier un versement aussi tardif par la volonté d'éviter les abus n'est pas plus convaincant : les personnes déterminées à frauder démissionneront tout aussi bien après quatre mois d'activité qu'après quelques jours. Bien plus, en faisant confiance a priori aux bénéficiaires, c'est-à-dire en versant la prime dès l'embauche, on rend d'autant plus légitime et justifié le contrôle. En fixant à quatre mois aussi bien la durée minimale d'emploi que le délai de versement, il est impossible de sanctionner ceux qui détourneraient l'esprit du dispositif en démissionnant au bout de quatre mois. En revanche, si le versement est immédiat, on est fondé à exiger la récupération de la prime versée à ceux dont l'activité prendrait fin avant le délai de quatre mois pour une raison qui leur est imputable (démission, abandon de poste ou licenciement pour faute) et à poursuivre les cas de collusion entre un bénéficiaire et un employeur pour bénéficier de la prime.
Pour toutes ces raisons, votre commission propose donc un versement immédiat de la prime.
b) La nécessité d'un accompagnement de la sortie de l'intéressement
L'intéressement soulève, par nature, une difficulté : il ne peut être que temporaire et, de ce fait, il confronte à moyen terme les bénéficiaires à une réduction importante de leurs ressources quand le soutien de l'Etat leur est retiré.
Un intéressement permanent est en effet inenvisageable car cela reviendrait à donner un avantage durable, en termes de pouvoir d'achat, aux personnes qui sont passées par un minimum social. Or, ce qui est admissible de façon temporaire pour aider les bénéficiaires à sortir de la précarité et à consolider leur insertion professionnelle ne l'est plus à long terme : un intéressement permanent créerait un « effet de parcours » inéquitable vis-à-vis des autres salariés qui ont le même revenu d'activité mais qui n'ont jamais bénéficié d'un minimum social.
C'est la raison pour laquelle les dispositifs d'intéressement permanent parfois proposés s'apparentent en réalité à des mécanismes de soutien généralisé aux bas salaires, sous la forme d'allocations non plus différentielles mais dégressives. Ces dispositifs procèdent par ailleurs à une simplification plus ou moins profonde des prestations sociales existantes : ainsi, le revenu de solidarité active (RSA) proposé par la commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté » présidée par Martin Hirsch fusionne les différents minima sociaux, les allocations logement et la prime pour l'emploi.
Le mécanisme proposé par Martin Hirsch a l'avantage de permettre la suppression des divers effets de seuil qui pénalisent la reprise d'activité des bénéficiaires de minima sociaux. Il assure également une continuité dans la progression des revenus en fonction de la quotité de travail : chaque heure travaillée améliore le revenu final du foyer.
Mais ce dispositif, sans doute très séduisant, demande à être encore mûri. Outre son coût, évalué entre 6 et 8 milliards d'euros, il soulève en effet plusieurs difficultés :
- en encourageant la reprise d'activité quelle que soit la quotité de travail hebdomadaire, le RSA encourage le temps très partiel. Il fait donc craindre un renforcement du recours par les entreprises à des emplois à temps partiel ou à des emplois temporaires qui ne sont que rarement des tremplins vers l'emploi durable ;
- un dispositif de soutien généralisé aux bas salaires tel que celui mis en place par le RSA risque d'envoyer un mauvais signal aux entreprises qui pourraient s'estimer fondées à se décharger sur l'Etat de leur responsabilité d'assurer un salaire décent, puisque désormais celui-ci complèterait de façon pérenne les ressources de ceux dont le travail ne suffit pas à assurer la subsistance.
Votre commission considère qu'un tel dispositif est aujourd'hui prématuré. Approuvant donc le choix d'un intéressement temporaire, elle insiste cependant sur la nécessité d'en accompagner le terme, car il se traduit par une réduction des revenus du foyer, lorsque l'aide de la collectivité s'éteint et que celui-ci doit vivre avec ses seuls revenus du travail.
Elle a, dans un premier temps, envisagé une sortie de l'intéressement dégressive dans le temps ou au moins par paliers successifs. Il faut cependant reconnaître qu'un tel mécanisme nuirait à la lisibilité du dispositif, volontairement simple, mis en place par le présent projet de loi, à sa compréhension par les bénéficiaires et donc à son efficacité. Il convient en outre de reconnaître que la perspective d'une diminution progressive mais inéluctable des aides ne joue pas en faveur d'une mobilisation des bénéficiaires.
Votre commission a donc opté pour une solution qui est davantage dans l'esprit du projet de loi, à savoir le versement d'une prime de fin d'intéressement, versée au cours du dernier mois d'intéressement. Une telle prime permettra aux bénéficiaires d'aborder plus sereinement la fin de l'intéressement tout en les responsabilisant en matière de gestion de leur budget.
Votre commission insiste enfin également sur la nécessité d'accompagner les bénéficiaires pendant la période d'intéressement, afin de les aider à préparer la sortie de ce dispositif qui, malgré tous les aménagements envisageables, restera toujours une période délicate.
c) Accès aux modes de garde : aider les familles en amont de la reprise d'activité
Si elle salue le bien-fondé des mesures facilitant la garde des enfants pour permettre le retour à l'emploi, votre commission ne peut que reconnaître que, quelle que soit la solution retenue, priorité d'accès ou mécanisme de places garanties, sa mise en oeuvre est délicate.
C'est la raison pour laquelle elle estime indispensable de mettre l'accent sur le développement de l'offre de garde : si la contrainte de disponibilité est desserrée, l'application d'un dispositif spécifique en faveur des enfants de bénéficiaires de minima sociaux sera plus acceptable pour tous. Elle suivra donc avec beaucoup d'attention la mise en oeuvre du quatrième « Plan crèches » annoncé par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale.
Votre commission tient également à souligner le rôle de la garde des enfants en amont même de la reprise d'activité, pendant la période de recherche d'emploi, notamment pour les parents isolés. Une recherche d'emploi active et efficace suppose en effet de pouvoir se déplacer pour assister à des entretiens d'embauche, pour réaliser un bilan de compétences ou suivre une formation : lorsque l'on a des enfants en bas âge, ces démarches sont souvent compromises par l'absence d'un mode de garde adapté.
Garantir aux parents l'accès en urgence à un mode de garde dans ces situations est de la plus grande importance car cela peut conditionner un retour à l'emploi. C'est la raison pour laquelle votre commission propose d'obliger les établissements, à l'occasion de la négociation de leurs conventions de financement, à définir les conditions dans lesquelles l'accueil temporaire ou d'urgence peut être mobilisé en faveur des parents en recherche active d'emploi.