III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
A. L'APPRÉCIATION DE VOTRE COMMISSION
L'acte violent perpétré au sein du couple qui devrait, au contraire, procurer la sécurité et favoriser le respect mutuel, contredit profondément les valeurs sur lesquelles notre société se fonde.
Au terme des nombreuses auditions 5 ( * ) organisées à l'initiative de votre rapporteur et élargies aux membres de votre commission, trois constats peuvent être formulés. Ces violences restent, en premier lieu, très présentes dans notre société et justifient une mobilisation de la communauté nationale tout entière. A cet égard, les initiatives prises par Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, répondent à une forte attente. Ensuite, ces faits de violence présentent une réelle spécificité liée à la relation de dépendance matérielle mais aussi psychologique qui peut s'établir dans le couple ainsi qu'à la présence, le cas échéant, des enfants. Enfin, si la réponse pénale ne constitue évidemment que l'un des volets de l'action d'ensemble nécessaire, elle peut tout à la fois exercer un rôle dissuasif et assurer également la protection effective des victimes. Or, les personnes entendues par votre rapporteur en ont témoigné, le droit pénal malgré les avancées indéniables accomplies ces dernières années, présente encore des lacunes et pourrait, sur certains points, être précisé ou complété.
Dans cette perspective, les deux propositions de loi ouvrent des pistes de réflexion très utiles. Aussi, votre commission a-t-elle retenu dans des rédactions parfois différentes, quatre points essentiels de ces deux textes :
- l'extension de la circonstance aggravante aux violences commises par le pacsé au sein de son couple ;
- le renforcement de la protection de la victime vis-à-vis de son ancien conjoint, concubin ou partenaire ;
- l'incrimination explicite du viol au sein du couple ;
- la définition d'une obligation spécifique d'éloignement de l'auteur de violences au sein du couple du domicile commun, en particulier dans le cadre du contrôle judiciaire.
Sur plusieurs de ces questions, votre commission propose d'ailleurs d'élargir la portée des dispositions prévues par les deux propositions de loi.
Cependant, votre commission a estimé que, même si leur bien fondé n'était pas en cause, trois séries de mesures ne pouvaient, pour des considérations de droit, être retenues. En premier lieu, si la formation et la sensibilisation de l'opinion publique représentent naturellement un volet essentiel de la lutte contre les violences au sein du couple, elles ne revêtent pas de caractère législatif et doivent être traitées au niveau réglementaire. Ensuite, les mesures d'aide aux victimes plus particulièrement prévues par la proposition de loi n° 62 paraissent pour une large part satisfaites par les dispositifs actuels et justifieraient au demeurant une évaluation plus précise de leur impact financier. Enfin, l'incrimination spécifique des violences habituelles et des violences psychologiques soulèvent certaines difficultés.
Information et formation
La journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes (le 25 novembre) comme la journée des femmes (le 8 mars) permettent aujourd'hui l'indispensable sensibilisation de l'opinion publique à la question des violences au sein des couples. Dans ces conditions, la création d'une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein des couples, comme le propose l'article 4 de la proposition de loi n° 62, ne risquerait-t-elle pas de provoquer une certaine dispersion, préjudiciable à la cause même qu'il importe de défendre ? Votre commission le pense et vous propose de ne pas retenir une telle initiative. Elle estime, par ailleurs, que la sensibilisation du public par des messages comme celui actuellement diffusé sur les principales chaînes hertziennes, à l'initiative du ministre de la justice, sous la forme du film « Plus d'une femme par jour », peut contribuer très efficacement à l'action de prévention.
En outre, votre commission considère que l'information des élèves comme la formation, en effet indispensable , des acteurs de la chaîne pénale, des personnels médicaux et des travailleurs sociaux doit être prévue dans les programmes de formation initiale ou continue dont le contenu relève du pouvoir réglementaire .
L'aide aux victimes
L ' aide aux victimes a été progressivement renforcée au cours de la période récente. La loi d'orientation et de programmation pour la justice n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 a ainsi inscrit l'accès effectif à la justice au rang des priorités du ministère de la justice pour les cinq années à venir. En premier lieu, le bénéfice de l'aide juridictionnelle dont l'article 8 de la proposition de loi n° 62 propose l'automaticité pour les mineurs victimes d'« agressions sexuelles ou physiques » a été étendu par cette loi (article 65) aux victimes des infractions les plus graves (atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, y compris les violences habituelles contre un mineur ou une personne vulnérable -article 222-14- ainsi que le viol). La mesure proposée par la proposition de loi n° 62 dont on peut d'ailleurs se demander si elle s'inscrit dans le cadre d'un texte visant les violences conjugales, est en tout état de cause pour une large part, satisfaite par les évolutions législatives.
En second lieu, le droit en vigueur apporte également une réponse à l'article 9 de la proposition de loi n° 62 tendant à garantir à la victime le concours d'un avocat formé à l'assistance aux justiciables victimes de violences sexuelles. En effet, l'article 91 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 prévoit la possibilité pour le tribunal de grande instance de conclure un protocole avec le barreau -homologué par le garde des sceaux- pour souscrire des engagements d'objectifs assortis de procédures d'évaluation afin d'assurer un meilleur fonctionnement de la justice pénale et de garantir la qualité du service offert au justiciable. Ces protocoles prévoient notamment le développement de formations spécialisées dans certaines matières spécifiques (par exemple, l'assistance des mineurs). Les barreaux s'efforcent dans ce cadre de prévoir des permanences en fonction des compétences des avocats. On dénombre actuellement 29 protocoles homologués dans la plupart des barreaux d'Ile-de-France et des plus grandes villes de province. En pratique, les barreaux font des efforts de formation qui rendent inutile de prévoir une disposition spécifique en ce domaine.
En outre, à l'initiative du Sénat, a été instaurée une obligation de formation continue pour les avocats dans la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 portant réforme des professions judiciaires et juridiques. Cette nouvelle règle constitue une garantie supplémentaire de la compétence des avocats qui devront mener un travail de veille permanente dans les domaines où ils interviennent. On peut donc supposer que les avocats qui exercent une grande partie de leur activité au titre des missions d'aide juridictionnelle seront incités à se perfectionner dans leur domaine de compétences, y compris en matière d'atteinte sexuelle.
Enfin, le droit à l'indemnisation des victimes prévu par l'article 706-3 du code de procédure pénale s'applique d'ores et déjà aux violences les plus graves (mort, incapacité permanente ou supérieure à un mois, agressions sexuelles) et recouvrent pour une large part les infractions visées par les deux propositions de loi (art. 10 de la proposition de loi n° 62, art. 5 de la proposition de loi n° 95). Comme l'a rappelé Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes au ministère de la justice lors de son audition par votre rapporteur, l'indemnisation des victimes incombe en premier lieu aux auteurs des infractions ; aussi le régime d'indemnisation prévu par l'article 706-3 du code de procédure pénale, fondé sur la solidarité nationale 6 ( * ) , doit-t-il sans doute être réservé aux victimes les plus gravement atteintes quel que soit le devenir de la procédure pénale, que l'auteur soit connu ou non, solvable ou insolvable.
En tout état de cause, l'impact financier d'une extension du principe de réparation du dommage à de nouvelles infractions mériterait une évaluation plus précise.
Il en est de même des mesures de solidarité nationale prévues à l'article 11 de la proposition de loi n° 62. Il convient d'ailleurs de rappeler à cet égard que les personnes victimes de violences peuvent bénéficier de l'allocation de parent isolé (API) et du revenu minimum d'insertion (RMI) si elle répondent aux conditions requises par ces deux prestations.
L'incrimination de violences habituelles et psychologiques
L'article premier de la proposition de loi n° 62 prévoit l'incrimination spécifique des violences habituelles qu'elles soient physiques ou psychologiques commises au sein du couple. Il répond à une préoccupation légitime : les violences conjugales tendent malheureusement à présenter un caractère répétitif.
Cependant, cette disposition soulève une triple objection. D'abord, il prévoit une peine unique -au demeurant assez réduite (3 ans d'emprisonnement)- indépendamment de la gravité de ces violences. Or, notre code pénal module toujours la sanction selon le résultat des violences. Tel est d'ailleurs le cas dans la seule hypothèse où notre droit prévoit actuellement l'incrimination spécifique des violences (art. 222-14).
La deuxième objection suscitée par le dispositif de la proposition de loi n° 62 repose sur le constat que les violences au sein du couple apparaissent presque toujours comme des violences habituelles . La circonstance aggravante prévue dans notre code pénal se justifie d'ores et déjà en partie pour ce motif.
Enfin, la distinction opérée par l'article premier de ce texte entre violence physique et violence psychologique n'apparaît pas satisfaisante. Sans doute comme l'ont souligné plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur, les violences commises au sein du couple comportent souvent une dimension psychologique et peuvent d'ailleurs s'exercer alors tant vis-à-vis des femmes que des hommes. Il n'en reste pas moins que l'incrimination spécifique des violences psychologiques soulèverait de réelles difficultés -en particulier quant aux imputations de causalité comme l'a souligné M. Hervé Lebras, professeur à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS), lors de son audition par votre rapporteur- alors même que la référence à la violence dans notre code pénal concerne à l'évidence les aspects physiques et psychologiques. La jurisprudence ne laisse aucun doute sur ce sujet.
Dans un arrêt déjà ancien, la Cour de cassation a pris en compte le choc émotif 7 ( * ) . Plus récemment 8 ( * ) , la haute juridiction a admis que la répétition de courriers et appels téléphoniques malveillants ayant provoqué des perturbations du sommeil et des manifestations anxieuses à l'origine d'un traumatisme psychologique caractérisait l'infraction de violences avec préméditation .
La seule condition requise par la jurisprudence tient à l'existence d'un acte sciemment commis dans l'intention d'atteindre la personne d'autrui . L'agissement matériel incriminé ne peut se concevoir de manière autonome, indépendamment de tout rattachement à une ou plusieurs victimes 9 ( * ) .
B. LE TEXTE PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION
Votre commission vous propose cinq mesures qui s'inspirent des dispositions des deux propositions de loi dans le domaine pénal et les complètent sur certains points.
La définition dans la partie générale du code pénal de la circonstance aggravante liée à la commission d'infractions au sein du couple.
Cette mesure permettrait, comme tel est le cas pour la circonstance aggravante retenue pour les infractions commises à raison de la race (art. 132-76 du code pénal) ou de l'orientation sexuelle de la victime (art. 132-77) de mettre en exergue l'aggravation des sanctions pour les infractions commises dans le couple. Cette circonstance aggravante définie ainsi de manière générale ne s'appliquerait évidemment que pour les infractions pour lesquelles le législateur l'a expressément prévue (art. premier des conclusions de la commission).
L'élargissement de la circonstance aggravante aux infractions commises au sein du couple par la personne liée à la victime par un pacte civil de solidarité.
En effet, si un pacsé peut être considéré a fortiori comme un concubin, le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale peut actuellement conduire à contester l'application aux pacsés de la circonstance aggravante retenue pour les concubins.
En outre, cette disposition permettrait de reconnaître la place désormais dévolue dans notre ordre juridique et dans la société française au PACS (art. premier et 2 des conclusions de la commission).
L'extension de la circonstance aggravante aux faits commis par les anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires de la victime.
Comme l'ont marqué avec insistance les témoignages recueillis par votre rapporteur, les violences conjugales ne prennent pas nécessairement fin après la rupture des liens du couple. Cette rupture peut même être un élément aggravant voire déclencheur d'un comportement violent. Il semble donc tout à fait justifié d'étendre l'aggravation de la répression actuellement prévue pour les conjoints ou concubins violents aux anciens conjoints, concubins ou partenaires. L'article premier de la proposition de loi n° 62 a visé les « ex » mais en restreignant la circonstance aggravante aux seuls violences habituelles.
L'application de la circonstance aggravante à l'infraction de meurtre
Actuellement, la circonstance aggravante liée à la commission des faits par le conjoint de la victime peut être retenue, d'une part, pour les crimes de tortures et d'actes de barbarie et, d'autre part, pour les violences. Il apparaît justifié de la prévoir également pour le crime de meurtre, puni de la peine la plus sévère. Dans ce cas, la peine de réclusion criminelle serait portée de 30 ans à la perpétuité (art. 3 des conclusions de la commission).
L'incrimination explicite du viol au sein du couple
Le viol apparaît, selon les témoignages recueillis au cours des auditions, comme une forme fréquente des violences au sein du couple. Sans doute la jurisprudence de la Cour de cassation reconnaît-elle, depuis 1990, le viol au sein du couple alors qu'une interprétation ancienne du devoir de cohabitation des conjoints avait auparavant permis de défendre une position contraire. Il n'en apparaît pas moins opportun selon un avis largement partagé par les représentants du Gouvernement, des magistrats, des avocats et des associations entendus par votre rapporteur de renforcer l'action dissuasive contre cette violence en explicitant cette incrimination dans notre code pénal (art. 4 des conclusions de la commission).
L'interdiction spécifique du domicile commun pour l'auteur de violences au sein du couple dans le cadre de la libération conditionnelle et du sursis avec mise à l'épreuve
Libération conditionnelle et sursis avec mise à l'épreuve représentent deux dispositifs utiles, d'abord au stade de l'instruction, puis, le cas échéant, à celui de la condamnation pour empêcher la réitération de violences du fait des obligations auxquelles peut être astreint le délinquant (interdiction de rencontrer la victime, obligation de soins).
Cependant, il a été indiqué à votre rapporteur que les juges hésitaient parfois à décider l'éloignement du domicile du couple, mesure parfois indispensable pour protéger la victime. La précision proposée par votre commission devrait encourager à lever ces réserves (art.5 des conclusions de la commission).
Enfin l'article 6 des conclusions de la commission prévoit la mention expresse d'application des dispositions de la loi aux collectivités de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna.
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Compte tendu de l'ensemble de ces observations, votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi dans la rédaction reproduite à la fin du présent rapport.
* 5 Voir liste des personnes auditionnées en annexe 1.
* 6 Ce régime d'indemnisation repose sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions alimenté par un prélèvement de 3,3 euros sur chaque contrat d'assurance aux biens.
* 7 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 19 février 1892 : en niant les violences et voies de fait exercées volontairement, le législateur a entendu réprimer notamment celles qui, sans atteindre matériellement la personne, sont cependant de nature à provoquer une sérieuse émotion.
* 8 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 1 er juin 1999.
* 9 Tribunal de grande instance de Paris, 8 mars 2000.