II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le jeudi 17 février 2005 , sous la présidence de M. Alain Gournac, vice-président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 181 (2004 2005) adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise .

M. Louis Souvet, rapporteur , a rappelé que la politique de réduction du temps de travail a toujours donné lieu à des débats très tranchés. Alors que certains affirment qu'elle a été créatrice d'emploi et positive pour les entreprises, d'autres lui imputent la responsabilité des délocalisations et de la dégradation des conditions de travail.

Sans vouloir entrer dans ces débats, le rapporteur a souhaité rappeler deux idées simples : en premier lieu, il a jugé déraisonnable de faire croire aux Français qu'ils pourront gagner plus tout en travaillant moins, la réduction du temps de travail s'étant d'ailleurs accompagnée d'une modération salariale ; en second lieu, il a noté que la France reste le seul pays développé à s'être engagé sur cette voie et a observé que les pays où l'on travaille le plus sont également ceux où le taux de chômage est le plus faible.

Il a ensuite souligné que la proposition de loi apporte de nouveaux aménagements au droit de la durée du travail, sans remettre en cause la durée légale, qui reste fixée à trente-cinq heures par semaine. Il a ajouté que le texte accorde une large place à la négociation collective, ce qui témoigne de la confiance de la majorité dans le rôle des partenaires sociaux.

Il a estimé que les réactions suscitées par ce texte sont souvent excessives et fait valoir que plusieurs grandes entreprises ont d'ores et déjà annoncé qu'elles ne remettraient pas en cause leurs accords de réduction du temps de travail, même après l'adoption de la présente proposition de loi.

M. Louis Souvet, rapporteur , a ensuite exposé les dispositions des trois articles du texte.

L'article premier rénove et simplifie le régime du compte épargne-temps : il supprime les multiples restrictions existant aujourd'hui en matière d'alimentation ou d'utilisation du compte ; il facilite également la monétisation, c'est-à-dire la transformation en argent, des droits acquis et autorise leur versement dans un plan d'épargne d'entreprise ou un plan d'épargne retraite ; enfin, en cas de défaillance de l'employeur, les droits acquis sont garantis par l'Association pour la garantie des salaires (AGS).

L'article 2 crée un nouveau régime d'heures choisies, qui permet aux salariés de continuer à travailler, avec l'accord de leur employeur, au-delà de leur contingent d'heures supplémentaires. Le recours aux heures choisies est subordonné à la conclusion d'un accord collectif, qui détermine leur niveau de rémunération, lequel ne peut être inférieur à celui applicable aux heures supplémentaires effectuées dans l'entreprise.

L'article 3 proroge, jusqu'à la fin de l'année 2008, les règles dérogatoires applicables aux entreprises employant au plus vingt salariés. Dans ces petites entreprises, en effet, le taux de majoration des heures supplémentaires est de seulement 10 %, contre 25 % dans les entreprises de plus de vingt salariés, et les heures supplémentaires ne s'imputent sur le contingent qu'au-delà de la 36 e heure et non de la 35 e heure. Les entreprises qui employaient vingt salariés au plus au 1 er janvier 2000 continuent de bénéficier aujourd'hui de ces dérogations même si elles ont dépassé ce seuil depuis lors. L'Assemblée nationale a souhaité remettre à jour ce dispositif et a adopté un amendement prévoyant qu'elles s'appliqueront, désormais, aux entreprises comptant vingt salariés au plus à la date de promulgation de la présente loi. Ce même article institue, par ailleurs, au profit des salariés de ces entreprises, un système transitoire de renonciation à des jours de repos contre rémunération.

M. Louis Souvet, rapporteur , a conclu en indiquant qu'il présenterait, à l'issue du débat, un petit nombre d'amendements pour compléter le travail déjà effectué à l'Assemblée nationale.

M. Roland Muzeau a confirmé que beaucoup de grandes entreprises ne souhaitent pas renégocier leurs accords de réduction du temps de travail, dans la mesure où elles ont trouvé des compromis satisfaisants. Il s'est inquiété, en revanche, de la situation des salariés des plus petites entreprises, qui sont soumis à des règles dérogatoires en matière d'heures supplémentaires et ne bénéficient pas de la protection que peut apporter un comité d'entreprise ou un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'augmentation de la durée du travail risque ainsi de menacer la santé des travailleurs. Il a estimé que les trente-cinq heures constituent une grande avancée sociale, que la présente proposition de loi vise en réalité à abroger. Il a annoncé que le groupe communiste républicain et citoyen s'opposera résolument à l'adoption du présent texte et a demandé au rapporteur quel pourra être son avis sur des amendements d'inspiration très libérale susceptibles d'être examinés lors du débat en séance publique.

M. Claude Bertaud a indiqué que beaucoup de petits entrepreneurs se plaignent de la modification introduite par l'Assemblée nationale à l'article 3. Ils souhaiteraient pouvoir bénéficier, jusqu'en 2008, des dérogations relatives aux heures supplémentaires, bien que leur effectif dépasse maintenant vingt salariés. Ils ont le sentiment de faire, de ce fait, l'objet d'une forme de sanction, alors même qu'ils ont développé leur entreprise et accru l'embauche.

Mme Françoise Henneron s'est réjouie de la nouvelle possibilité offerte aux salariés de travailler plus pour gagner plus. Elle a indiqué que de nombreux salariés avaient été privés de primes ou d'autres compléments de salaire au moment du passage aux trente-cinq heures et a souligné que cette dégradation de leur pouvoir d'achat n'avait pu que favoriser le développement du travail au noir.

Mme Raymonde Le Texier a demandé pourquoi une réforme aussi importante se présente sous la forme d'une proposition de loi et non d'un projet de loi défendu par le Gouvernement. Elle a contesté l'idée selon laquelle ce texte permettrait aux salariés de travailler plus pour gagner plus et a considéré qu'une majoration du taux de rémunération des heures supplémentaires aurait permis d'atteindre plus sûrement cet objectif. Elle a affirmé que l'affectation de droits sur le compte épargne-temps serait un moyen pour les employeurs de réduire le niveau de leurs contributions sociales. Elle a enfin douté de la valeur de la garantie apportée par l'AGS, qui n'assure les créances des salariés que dans la limite d'un plafond et qui est, par ailleurs, dans un situation financière très délicate.

M. Claude Domeizel a demandé au rapporteur, au vu du petit nombre d'amendements qu'il présente, s'il estime probable que le Sénat vote conforme le texte de la proposition de loi.

M. Guy Fischer a rappelé que le groupe communiste républicain et citoyen avait critiqué certains aspects de la deuxième « loi Aubry », notamment le caractère très aléatoire des créations d'emplois promises en contrepartie des allègements de charges. Il a estimé que le niveau trop bas des salaires est à l'origine d'un véritable problème de pouvoir d'achat en France. Il a souligné enfin que plusieurs grands groupes avaient obtenu une révision, à leur avantage, des accords de réduction du temps de travail en menaçant les salariés de délocaliser leurs emplois.

M. Dominique Leclerc a jugé que ce n'est pas la loi, mais le dynamisme des entreprises, qui est facteur de création d'emplois. Il a regretté que les questions sociales fassent trop souvent l'objet d'une approche dogmatique, qu'il a attribuée à la distance séparant les représentants patronaux ou syndicaux de leurs mandants. Il a estimé que la réforme des trente-cinq heures avait dévalorisé l'image du travail dans notre pays et a soulevé le problème du niveau des charges sociales pesant sur les entreprises.

En réponse à M. Roland Muzeau, M. Louis Souvet, rapporteur , a reconnu que le taux de majoration réduit applicable aux heures supplémentaires effectuées dans les plus petites entreprises mécontente légitimement leurs salariés. Il a ajouté avoir été destinataire d'un grand nombre d'amendements d'inspiration très libérale mais n'en avoir retenu aucun.

En réponse à M. Claude Bertaud, il a déclaré comprendre les demandes des entreprises qui souhaiteraient conserver le bénéfice des règles dérogatoires qui leur sont aujourd'hui applicables. Mais il a considéré qu'il est désormais nécessaire, après une longue période de transition, que ces entreprises se voient appliquer la règle commune pour ne pas laisser perdurer de multiples situations distinctes comme cela a pu être le cas ces dernières années au niveau du SMIC. En conséquence, il ne proposera pas de revenir sur la modification introduite à l'Assemblée nationale.

En réponse à Mme Raymonde Le Texier, il a indiqué qu'il est loisible à tout parlementaire de déposer une proposition de loi, laquelle peut recevoir ensuite le soutien du Gouvernement. Il a rappelé que le texte de la proposition de loi exclut que les droits acquis sur le compte épargne-temps excèdent le plafond garanti par l'AGS, sauf à prévoir une assurance complémentaire. Il a contesté l'affirmation selon laquelle le compte épargne-temps pourrait être un outil utilisé par les employeurs pour se dérober à leurs obligations de paiement de cotisations sociales.

M. Louis Souvet, rapporteur , a ensuite répondu à M. Claude Domeizel qu'il juge probable que le Sénat adopte des amendements à ce texte.

En réponse à M. Dominique Leclerc, il a dit partager son sentiment d'une fracture entre les représentants et les citoyens. Il s'est interrogé également sur la manière dont les salariés les plus modestes pourraient utiliser la nouvelle liberté qui leur est offerte de travailler plus pour gagner plus. Il a fait valoir que ces salariés, généralement occupés à des tâches répétitives, sont liés à un horaire collectif de travail et qu'ils peuvent donc difficilement déterminer individuellement leur durée du travail.

La commission a ensuite examiné les articles et les amendements présentés par le rapporteur.

A l'article premier (réforme du compte épargne-temps), la commission a adopté un amendement excluant la possibilité d'affecter la cinquième semaine de congés payés sur le compte épargne-temps pour obtenir un complément de rémunération. Elle a également adopté un amendement prévoyant que les droits affectés sur le compte épargne-temps puis versés dans un plan d'épargne retraite d'entreprise bénéficieraient de la même incitation fiscale que les versements effectués directement sur ces mêmes plans.

A l'article 2 (institution d'un régime de temps choisi), elle a adopté un amendement précisant que l'accomplissement d'heures choisies ne pourra avoir pour effet de porter la durée journalière du travail au-delà du maximum légal.

Elle a adopté l'article 3 (mesures concernant les petites entreprises de vingt salariés au plus) sans modification.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi amendée .

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