TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITIONS DES MARDI 8 ET MERCREDI 9 FÉVRIER 2005

Audition de MM. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint,
et Patrick Rouget, conseiller technique,
de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
(mardi 8 février 2005)

Réunie le mardi 8 février 2005 sous la présidence de M. Bernard Seillier, vice-président , la commission a d'abord procédé aux auditions sur la proposition de loi n° 181 (2004-2005) adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise .

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) .

Après avoir accueilli MM. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint, et Patrick Rouget, conseiller technique, à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), M. Bernard Seillier, président , a indiqué que la discussion en séance publique de la proposition de loi interviendra les 1 er , 2 et 3 mars prochain.

A titre liminaire, M. Michel Coquillion a rappelé que, dès l'élaboration de la première loi relative à la réduction négociée du temps de travail, son organisation avait souligné les problèmes considérables posés par l'aménagement nécessaire des rythmes de production et par les besoins de réorganisation interne des entreprises. Il s'est inquiété des dérives, au nom des impératifs de flexibilité, que risque de provoquer la présente proposition de loi et de la perspective d'avoir à faire face à des problèmes symétriques, mais analogues, à ceux rencontrés il y a cinq ans.

Jugeant la position du MEDEF fondée sur des critères avant tout idéologiques, il a observé que la plupart des grandes entreprises ne sont pas désireuses de voir remis en cause le point d'équilibre atteint au terme des négociations collectives du passage aux trente cinq heures. Après avoir précisé qu'il n'est pas souhaitable de modifier en permanence la législation relative au temps de travail, il a considéré que de nombreuses grandes entreprises avaient plutôt bénéficié, tout compte fait, des « lois Aubry ».

Il a estimé que le thème de l'adaptation des trente-cinq heures fait figure de bouc émissaire et qu'il occulte les autres problèmes structurels de l'économie française, comme la tendance au sous-investissement des entreprises ou l'insuffisance du financement du tissu industriel.

Après avoir jugé intéressantes les perspectives ouvertes par le compte épargne temps (CET), il a mis en garde contre les espoirs démesurés que peut susciter l'affirmation selon laquelle le texte propose de « travailler plus pour gagner plus ». Il a relevé en particulier que cette notion de temps choisi ne trouverait à s'appliquer qu'au-delà d'un plafond très élevé de 220 heures supplémentaires par an et que plus de la moitié des personnes employées à temps partiel en France souhaiteraient précisément déjà travailler davantage sans pouvoir le faire.

M. Louis Souvet, rapporteur , a demandé si la CFTC redoute que la négociation entre les partenaires sociaux tourne à l'avantage des employeurs, compte tenu d'un rapport de forces déséquilibré. Il s'est interrogé sur les raisons pouvant expliquer ces réticences, dans la mesure où les dispositions introduites par la loi du 4 mai 2004 relative au dialogue social permettent précisément de se prémunir contre ce risque, en donnant la possibilité aux syndicats majoritaires de s'opposer à un accord signé par une organisation minoritaire.

M. Michel Coquillion a considéré que l'introduction du critère majoritaire pour la signature d'un accord dans une entreprise, avec pour corollaire le droit d'opposition majoritaire, s'était avérée un leurre en termes de protection des salariés : la portée des dérogations permises par les accords d'établissement apparaît beaucoup trop large et peut même aller jusqu'à modifier la norme supérieure issue d'une convention collective. Il a estimé que si la qualité des relations sociales dans de nombreuses entreprises évite souvent une telle remise en cause des acquis sociaux, le nouveau cadre de négociation présente néanmoins une perspective dangereuse. Il a cité l'exemple de l'entreprise Bosch comme un précédent de chantage à la délocalisation et jugé que les garanties prévues pour encadrer ces accords collectifs sont insuffisantes, en autorisant notamment les salariés à travailler jusqu'à quarante-huit heures par semaine. Il a précisé que la mauvaise conjoncture économique actuelle explique que les entreprises n'utilisent pas à plein les assouplissements existant déjà en matière d'heures supplémentaires, mais que cela ne sera plus le cas lorsque la croissance économique s'accélérera et que la présente proposition de loi apparaîtra alors a posteriori comme un « piège à retardement ».

M. Louis Souvet, rapporteur , a demandé ce que recouvre la prise de position récente de la CFTC, selon laquelle elle s'est déclarée ne pas être « opposée à tout assouplissement concernant la durée du travail ».

M. Michel Coquillion a reconnu que les contraintes de la vie économique pourraient justifier que les entreprises demandent à bénéficier de plus de flexibilité et qu'il était impossible de défendre le principe de la réduction du temps de travail tout en refusant toute contrepartie.

M. Louis Souvet, rapporteur , a contesté le fait de présenter, comme une généralité, les cas de chantage à la délocalisation des employeurs lorsque les partenaires sociaux refusent de remettre en cause les modalités initiales de passage aux trente-cinq heures. Il a également nié que, pour de nombreuses grandes entreprises, les négociations conduites à ce sujet sous la précédente législature aient été favorables. Il a souligné que la France reste encore aujourd'hui le seul pays à s'être engagé sur la voie de la réduction uniforme et impérative du temps de travail par voie législative.

M. Michel Coquillion a considéré que les contours de la notion de flexibilité dépassent largement la seule durée du temps de travail.

Mme Elisabeth Lamure , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , a demandé en quoi les salariés pourraient être pénalisés s'ils doivent travailler, sur une base volontaire, au-delà du plafond de 220 heures supplémentaires par an.

M. Michel Coquillion a déclaré réel le risque de voir la notion de volontariat vidée de sa substance, en raison de la position de force dans laquelle se trouvent les employeurs ; il a aussi jugé injuste la perspective d'une compensation financière insuffisante de ces heures supplémentaires.

M. Roland Muzeau a estimé que la logique de cette proposition de loi relève d'un souci d'affichage politique, mais que ses effets à long terme pourraient être dévastateurs, tant pour l'emploi que pour la santé au travail. Après avoir précisé qu'au cours des vingt années qu'il avait lui-même passées dans une entreprise, il n'avait jamais vu un salarié être en situation de faire prévaloir sa volonté sur la question des heures supplémentaires, il a contesté la notion même de volontariat en la matière. Il a noté que le président directeur général du groupe Renault ne souhaite pas voir remises en cause les modalités de la réduction du temps de travail. Il s'est par ailleurs interrogé sur la conformité juridique, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la disposition prévoyant un prolongement, jusqu'en 2008, de la majoration de 10 % pour les heures supplémentaires réalisées entre la trente-cinquième et la trente-neuvième heure de travail hebdomadaire.

Mme Catherine Procaccia a estimé infondées les inquiétudes de la CFTC au regard de la faible proportion de salariés susceptibles de réaliser plus de 220 heures supplémentaires par an.

Mme Raymonde Le Texier a considéré que, dès lors que sur les 180 heures supplémentaires annuelles autorisées, seules 70 heures en moyenne sont utilisées, il ne lui semble pas nécessaire d'augmenter ce plafond. Elle s'est inquiétée par ailleurs du transfert de ces contingents horaires sur un compte épargne-temps (CET) en raison de la perte de cotisation sociale qu'il occasionne et du risque de disparition de ces droits pour les salariés en cas de faillite de leur entreprise.

M. Michel Coquillion a réaffirmé sa conviction que de nombreuses entreprises ont globalement profité du passage aux trente-cinq heures, notamment en termes de rationalisation du processus de production et d'accroissement de flexibilité de la main d'oeuvre. Il a reconnu le problème que pose le développement du CET au regard des pertes de cotisations sociales qui en résulteront et souligné l'insuffisante protection juridique de cet actif des salariés en cas de faillite de leur entreprise. Enfin, il a estimé que l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires poussera les entreprises à retarder le plus possible le moment où elles embaucheront lors d'une reprise de la croissance économique.

Audition de MM. Alain Lecanu, secrétaire national,
et Guillaume Demigné, conseiller technique,
de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)
(mardi 8 février 2005)

La commission a ensuite procédé à l'audition de MM. Alain Lecanu, secrétaire national, et Guillaume Demigné, conseiller technique, de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE CGC) .

Après avoir relevé que la CFE-CGC avait porté un jugement plus favorable que les autres organisations syndicales sur les dispositions de la présente proposition de loi, M. Louis Souvet, rapporteur , a souhaité connaître les raisons de cette différence d'appréciation. Il s'est interrogé sur les conséquences éventuelles d'une opposition des autres syndicats à ce texte et sur le risque qu'elle rende impossible la signature des accords collectifs nécessaires à la mise en oeuvre des assouplissements prévus.

A titre liminaire, M. Alain Lecanu a considéré que la proposition de loi correspond essentiellement à une volonté d'affichage politique. En se fondant sur le nombre moyen d'heures supplémentaires réellement effectuées par les salariés - quatre-vingts heures par an - il a considéré improbable que le passage de 180 à 220 heures du plafond d'heures supplémentaires concerne une importante population d'actifs. Il a également fait part de ses réserves quant à la nouvelle prorogation du régime transitoire en vigueur pour les entreprises de moins de vingt salariés et estimé qu'il risque, par là même, de devenir définitif. Il s'est inquiété du dualisme du marché du travail et de la perspective de voir de nombreux jeunes formés dans les PME quitter celles-ci pour poursuivre leur vie professionnelle dans les grandes entreprises en raison des meilleures conditions de travail qu'offrent ces dernières.

Les éléments que la CFE-CGC juge positifs dans la proposition de loi se rapportent au compte épargne-temps et à la possibilité de l'utiliser pour racheter des années de cotisation au titre de l'assurance vieillesse, le cas échéant en bénéficiant d'un abondement. Ainsi, dans de nombreuses entreprises, certains cadres ont pu accumuler sur leur CET l'équivalent de six mois correspondant aux jours de réduction du temps de travail dont ils n'ont pu bénéficier.

M. Louis Souvet, rapporteur , a fait valoir qu'à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, un amendement permettant d'utiliser le CET pour racheter des années d'études en vue de la retraite.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur le caractère réaliste du plafond annuel de 220 heures au-delà duquel les salariés pourraient être amenés à effectuer des heures supplémentaires sur la base du volontariat. Il a considéré que le Gouvernement avait suivi une démarche avant tout idéologique et cherche ainsi à créer les conditions d'une flexibilité extrême dans le monde du travail.

Mme Catherine Procaccia s'est enquise des propositions de la CFE-CGC en matière de sécurité juridique des comptes épargne-temps. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur le cas des personnels commerciaux itinérants qui, bien que n'ayant pas le statut de cadre, pourraient avoir intérêt à bénéficier de conventions de forfait en jours.

M. Alain Lecanu a estimé qu'il convient d'une part d'externaliser la gestion des CET, à l'image des dispositifs d'épargne salariale, et d'instituer, d'autre part, dans chaque département, une commission chargée du suivi de la bonne application des accords passés dans les entreprises.

Observant que la CFE-CGC a engagé une procédure devant le Comité des droits sociaux du Conseil de l'Europe contre les conventions de forfait en jours, M. Louis Souvet, rapporteur , s'est interrogé sur le sens à donner à cette démarche.

M. Guillaume Demigné a rappelé que la CFE-CGC avait déjà entamé une démarche identique contre la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail et que le conseil des experts du comité des droits sociaux du Conseil de l'Europe lui avait alors donné raison, avant que le conseil des ministres ne se prononce finalement en sens inverse, en raison du nombre limité des cadres concernés par ces dispositions.

A nouveau sollicité, le conseil des experts a rendu le 20 octobre 2004 un avis favorable aux arguments avancés par la CFE-CGC, motivé notamment par l'atteinte aux principes du droit à une rémunération convenable et du droit à un temps de travail raisonnable. Il a souligné qu'une personne relevant d'une convention de forfait en jours peut en toute légalité être amenée à travailler jusqu'à soixante-dix-huit heures par semaine et que seules lui demeurent applicables les règles relatives au repos quotidien et au repos hebdomadaire. Il a indiqué qu'outre la procédure en cours devant le Conseil de l'Europe, la CFE-CGC avait déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Louis Souvet, rapporteur , a considéré que la problématique de la réduction du temps de travail s'applique dans des conditions très différentes selon la taille de l'entreprise : dans les grandes structures, les partenaires sociaux ont fini par trouver des aménagements acceptables à l'issue d'un processus de négociation collective dont ils ne souhaitent pas voir remis en cause le résultat alors que, dans la majeure partie des petites et moyennes entreprises, le processus de production n'a absolument pas été modifié et de nombreuses difficultés d'application se posent.

M. Roland Muzeau a contesté que la proposition de loi permette aux personnes qui le souhaitent de travailler plus pour gagner davantage. Il a estimé que la subordination juridique des salariés à leur employeur rend illusoire la notion de temps choisi.

Audition de MM. Jean-François Veysset, vice-président,
et Georges Tissié, directeur des affaires sociales,
de la Confédération générale des petites
et moyennes entreprises (CGPME)
(mardi 8 février 2005)

La commission a procédé à l'audition de MM. Jean-François Veysset, vice président, et Georges Tissié, directeur des affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) .

Rappelant la vocation de la CGPME à représenter majoritairement les entreprises de moins de cinquante salariés, M. Jean-François Veysset a relayé l'incompréhension de celles-ci devant la récupération politique et syndicale de la question des trente-cinq heures, qui relève, à leur sens, d'un problème essentiellement organisationnel. La proposition de loi comporte plusieurs sources de satisfaction pour ces entreprises : l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires à 220 heures, après les premiers assouplissements de la loi Fillon, qui avait déjà porté ce nombre à 180 heures, et la possibilité de limiter le surcoût de ces heures à 10 %. Il a d'ailleurs souhaité la pérennisation de cette dernière disposition pour les entreprises de moins de vingt salariés.

Il s'est également déclaré satisfait de l'assouplissement annoncé du compte épargne-temps, en particulier de la possibilité d'y verser la rémunération des heures supplémentaires. Il a en revanche émis des réserves sur plusieurs dispositions, notamment sur la nécessité de passer des accords de branches ou d'entreprises pour l'application du dispositif du temps choisi d'heures supplémentaires. Il a souhaité, à cet égard, que dans les entreprises privées de syndicats, les représentants du personnel au comité d'entreprise où les délégués du personnel puissent devenir les interlocuteurs légitimes du chef d'entreprise pour ce type de négociations.

M. Louis Souvet, rapporteur , a demandé si la CGPME dispose d'informations sur l'utilisation du compte épargne-temps dans les petites et moyennes entreprises et si la simplification à laquelle procède la proposition de loi peut permettre d'y favoriser son essor. Il s'est également enquis de l'opinion de la CGPME sur la proposition de certains employeurs d'étendre la formule des conventions de forfait en jours à certains salariés non cadres, notamment les salariés itinérants.

M. Jean-François Veysset a indiqué ne pas disposer de précisions sur l'utilisation du compte épargne-temps dans les entreprises de moins de cinquante salariés, seules les moyennes et les grandes entreprises ayant pour l'essentiel recours à ce mécanisme. En effet, la souplesse du décompte du temps de travail sur quatre semaines constitue une possibilité de compensation immédiate, qu'elle soit financière ou en temps de repos, pour les petites entreprises qui ne sont pas incitées à créer des comptes épargne-temps. Il a estimé que cette possibilité peut être considérée d'un oeil nouveau dans le cadre des obligations de formation, à condition que les petites entreprises aient accès aux mêmes avantages fiscaux que les entreprises rattachées à un accord de branche. Il a rappelé, à cet égard, que 27 % des entreprises ne sont pas couvertes par un accord de branche.

Il a indiqué ensuite qu'en tout état de cause, le compte épargne-temps avait eu moins de succès dans les petites entreprises que les mécanismes d'intéressement et de participation.

S'agissant de l'élargissement des conventions de forfait en jours, il a indiqué que certaines professions le souhaitent, mais que ce sentiment reste marginal.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , a demandé si la proposition de loi apporte des réponses aux entreprises en situation de pénurie de main-d'oeuvre, comme dans les secteurs du bâtiment et de l'hôtellerie.

M. Jean-François Veysset a estimé qu'aucun des textes récents sur l'assouplissement des trente-cinq heures n'avait répondu aux attentes des entreprises de ces secteurs, en particulier pour favoriser l'embauche. Il a fait part des espoirs mis dans le projet de loi sur l'école, pour qu'il donne le goût de l'entreprise aux élèves.

M. Georges Tissié a ajouté que le dispositif du temps de travail supplémentaire choisi, institué par l'article 2 de la proposition de loi, ne pourrait s'appliquer aux PME si la possibilité de négocier sa mise en oeuvre avec les représentants élus du personnel n'est pas ouverte dans les entreprises dépourvues de syndicat. Il a souhaité la pérennisation du dispositif spécifique aux entreprises de moins de vingt salariés en matière de paiement des heures supplémentaires, proposée par l'article 3 ou, à tout le moins, son application jusqu'au 31 décembre 2008.

M. Roland Muzeau s'est interrogé sur les besoins des PME en matière d'heures supplémentaires. Il a estimé, à cet égard, que le contingent supplémentaire précédemment accordé par la loi Fillon n'a pas été utilisé par les entreprises, compte tenu de la faible croissance économique et de la résistance des salariés.

Il en a conclu qu'il n'est ni souhaitable, ni raisonnable de mettre en oeuvre de nouveaux assouplissements. S'agissant de la possibilité de choisir son temps de travail supplémentaire, il l'a qualifiée de leurre pour le salarié, dans la mesure où seul l'employeur est susceptible d'en décider. Il a estimé enfin qu'il n'est pas acceptable de pérenniser la mesure proposée à l'article 3, car elle pénaliserait financièrement les salariés des petites entreprises.

En réponse à ces considérations, M. Jean-François Veysset a fait valoir qu'après la rigidité des lois Aubry I et Aubry II, des assouplissements sont devenus indispensables pour que les entreprises dont l'activité est saisonnière puissent répondre aux demandes de leurs clients. Il a illustré son propos avec l'exemple de la CGPME, qui a bénéficié de ces assouplissements et a organisé son temps de travail sur 38,5 heures par semaine et par salarié.

Estimant que si les trente-cinq heures étaient une solution pour répondre à tous les problèmes des entreprises et de l'emploi, les autres pays européens les auraient également adoptées, il a considéré qu'il faut au contraire privilégier la souplesse pour permettre à un maximum d'entreprises de vivre et de partager les richesses créées avec leurs salariés. Il a indiqué que, pour maintenir cet équilibre, les entreprises ont besoin que certains salariés travaillent plus pour que d'autres puissent être présents à temps partiel s'ils le souhaitent.

M. Roland Muzeau a observé que le temps partiel n'est pas toujours choisi, mais trop souvent imposé, engendrant ainsi une catégorie croissante de travailleurs pauvres. Il a estimé qu'avant de multiplier les heures supplémentaires, les entreprises pourraient commencer par diminuer les effectifs à temps partiel subi.

M. Jean-François Veysset a fait observer que la question du temps partiel est biaisée dans la mesure où il commence à 34,5 heures par semaine et recouvre en conséquence des situations très disparates. Il a rappelé que, concernant le temps partiel comme les heures supplémentaires, la proposition de loi ne change rien pour les PME qui n'ont pas la possibilité de négocier par des accords de branche le dispositif de temps de travail supplémentaire choisi.

Mme Raymonde Le Texier s'est interrogée sur l'intérêt de fixer le contingent d'heures supplémentaires à 220, dans la mesure où à peine 80 heures sont effectivement utilisées en moyenne. Elle s'est inquiétée également de l'avenir du compte épargne-temps en cas de faillite de l'entreprise et a regretté qu'à peine 0,1 % des entreprises françaises aient recours à l'apprentissage, contre 9 % des entreprises en Allemagne.

Elle a ajouté enfin que les hommes pourraient aussi travailler à temps partiel pour s'occuper de leurs enfants.

M. Jean-François Veysset a indiqué que seules 2.000 entreprises ont une taille suffisante pour organiser le temps de travail et les rémunérations de manière régulière : 1,5 million d'entreprises vivent au contraire sur un rythme saisonnier et ne peuvent résister aux pressions exercées par la diminution du temps de travail que par une mécanisation accélérée ou la délocalisation de leurs activités pour répondre aux nécessités de la production et aux attentes de leurs clients.

M. Louis Souvet, rapporteur , a reconnu qu'il s'agit d'un sujet passionnel offrant des arguments à toutes les parties. Concernant le temps partiel, il a indiqué que les femmes employées dans sa mairie, qui y recourent, l'ont toutes demandé.

M. Roland Muzeau a convenu que les collectivités territoriales ne sont que faiblement concernées par ce problème, qui se pose en revanche avec plus d'acuité dans la grande distribution.

Audition de MM. Pierre Perrin, président,
Pierre Burban, secrétaire général,
et Guillaume Tabourdeau, conseiller technique,
de l'Union professionnelle artisanale (UPA)
(mardi 8 février 2005)

La commission a procédé à l'audition de MM. Pierre Perrin, président, Pierre Burban, secrétaire général, de l'Union professionnelle artisanale et Guillaume Tabourdeau, conseiller technique (UPA) .

A titre liminaire, M. Pierre Perrin a indiqué que le sujet très politique des trente cinq heures avait créé beaucoup de tensions dans les entreprises artisanales depuis 1998 et suscité de nombreuses difficultés en termes d'organisation du temps de travail, de recrutement ou de pression financière du fait de l'augmentation du SMIC. Les artisans souhaitent désormais une stabilité de la législation relative au temps de travail.

M. Louis Souvet, rapporteur , a demandé si les entreprises artisanales ont souvent recours aux possibilités d'aménagement du temps de travail prévues par la loi.

Il s'est également interrogé sur les difficultés de recrutement imputables aux lois sur les trente cinq heures dans les entreprises artisanales, estimant que les salariés privilégient parfois les grandes structures en raison des avantages sociaux qu'elles procurent.

M. Pierre Perrin a émis un avis mitigé sur le compte épargne-temps qu'il a estimé mal adapté aux petites entreprises qui ne disposent pas du personnel nécessaire pour gérer ce dispositif. Concernant le temps de travail supplémentaire choisi, il s'est inquiété de l'éventualité que le libre choix s'applique à l'avenir à l'ensemble du contingent d'heures supplémentaires.

En matière de recrutement, il a estimé que la différence s'est creusée entre les acquis des salariés des grandes entreprises et ce que peuvent offrir les PME, malgré les efforts récemment entrepris par les chefs d'entreprises artisanales pour améliorer les grilles de classification et les grilles de salaires. Il a confirmé que la publicité qui avait entouré le passage aux trente-cinq heures de nombreuses grandes entreprises dès 1998 et 1999 n'a pas favorisé le recrutement dans l'artisanat.

M. Bernard Seillier, président , a demandé si l'organisation du travail est désormais stabilisée dans les petites entreprises artisanales, après la mise en oeuvre des lois Aubry I et Aubry II.

M. Pierre Perrin a regretté que tel ne soit pas encore le cas, malgré les aménagements proposés par la loi Fillon, avec la priorité donnée aux accords de branche et l'élargissement du contingent d'heures supplémentaires. Il a indiqué toutefois que le Gouvernement n'a pas tenu l'ensemble des promesses faites à cette époque en matière d'allégements de charges salariales jusqu'à deux SMIC. Il a fait valoir, à cet égard, que le système de couverture sociale actuel, fondé sur les charges salariales, est source de difficultés pour les entreprises de main-d'oeuvre.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , ayant demandé si l'UPA est satisfaite de la date butoir du 31 décembre 2008 proposée à l'article 3 ou si elle souhaite plutôt la pérennisation du dispositif de tarification des heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés, M. Pierre Perrin s'est prononcé en faveur de la seconde solution.

Mme Gisèle Printz a estimé qu'une situation de pénurie de main-d'oeuvre contredit le recours aux heures supplémentaires et a demandé si les petites entreprises artisanales utilisent effectivement l'ensemble du contingent actuel de 180 heures.

M. Pierre Perrin a indiqué que les branches connaissent des situations différentes : certaines ont moins de difficultés de recrutement et ont signé des accords intéressants en matière de temps de travail, d'autres peinent à embaucher et utilisent largement le contingent d'heures supplémentaires autorisé.

Plus largement, M. Roland Muzeau a demandé si l'UPA dispose de statistiques sur l'utilisation effective du contingent d'heures supplémentaires de la loi Fillon.

M. Pierre Perrin a précisé que chaque branche comporte ses spécificités et qu'en matière de paiement des heures supplémentaires, certaines les rémunèrent à 25 % du salaire horaire, alors que d'autres souhaitent maintenir ce taux à 10 %. Toutefois, il a considéré que toutes ces entreprises sont conscientes du caractère inéluctable de la diminution du temps de travail et de la nécessité, pour les entreprises artisanales, de tenir compte des avantages proposés par les grandes entreprises.

A M. Guy Fischer qui demandait à M. Pierre Perrin si son expérience de chef d'entreprise le conduit à considérer qu'un nouvel élargissement d'heures supplémentaires est nécessaire, M. Pierre Perrin a répondu que le contingent actuel de 180 paraît suffisant.

Mme Raymonde Le Texier a remercié M. Pierre Perrin d'avoir mis l'accent sur le caractère inéluctable de la réduction du temps de travail et sur l'importance à reconnaître à la qualité de vie des salariés.

Audition de MM. Rémy Jouan, secrétaire national,
et Didier Prono, secrétaire général,
de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)
(mercredi 9 février 2005)

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi du mercredi 9 février 2005 , sous la présidence de M. Bernard Seillier, vice-président , la commission a procédé à des auditions sur la proposition de loi n° 2030 (AN) portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise .

La commission a procédé à l'audition de MM. Rémy Jouan, secrétaire national, et Didier Prono, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) .

M. Rémy Jouan a rappelé que la CFDT avait été un précurseur en matière d'aménagement et de réduction du temps de travail et qu'elle avait milité, dès l'accord interprofessionnel de 1995, pour la mise en place du mandatement dans les petites entreprises privées de représentation syndicale. Il a regretté le couperet imposé par la loi Aubry II au 1 er janvier 2000, mais il a souligné que cette loi avait permis d'introduire le dialogue social dans de nombreuses entreprises, comme en témoignent les 72.000 accords d'aménagement du temps de travail négociés à cette occasion. Il a également considéré que les trente-cinq heures ont permis de créer ou de préserver près de 400.000 emplois.

Il s'est déclaré opposé à la présente proposition de loi, estimant que le slogan selon lequel chacun pourrait travailler plus pour gagner plus est mensonger. Expliquant que les entreprises utilisent aujourd'hui en moyenne cinquante-neuf heures supplémentaires par an, il a estimé que l'augmentation à 220 heures du contingent des heures supplémentaires ne constitue qu'un simple affichage politique. Il a déploré que la proposition de loi ne s'attaque pas au véritable problème, qui tient à la faiblesse du pouvoir d'achat des salariés.

Il a déclaré ne pas être opposé à un toilettage des lois Aubry, mais il a fait valoir sa préférence pour une adaptation par voie conventionnelle. Il a estimé que les attentes des salariés, qui n'ont pu s'exprimer par le dialogue social, ont trouvé un exutoire dans les manifestations du 5 février dernier.

Il a insisté sur le fait que la proposition de loi doit être modifiée au minimum sur trois points pour réintroduire le mandatement dans les entreprises de moins de vingt salariés, supprimer le prolongement du régime dérogatoire des heures supplémentaires dans les petites et moyennes entreprises (PME) et interdire le rachat des jours de congé ou de repos compensateur.

Rappelant le pragmatisme dont la CFDT avait fait preuve ces dernières années, M. Louis Souvet, rapporteur , s'est étonné de l'opposition frontale de ce syndicat à la nouvelle proposition de loi. Il a voulu savoir si l'organisation n'estime pas que certains assouplissements des trente-cinq heures sont toutefois nécessaires. Il a également souhaité connaître l'opinion de la CFDT sur la proposition visant à étendre les conventions de forfait en jours à d'autres catégories de salariés que les cadres.

M. Rémy Jouan a admis la nécessité d'un toilettage des lois Aubry, mais il a estimé que le vote d'une loi court-circuite, une fois de plus, les partenaires sociaux. Il a expliqué que les conventions de forfait en jours sont adaptées à la situation des cadres ayant une forte autonomie de travail, car elles constituent un moyen plus souple pour assurer le respect de la réduction du temps de travail (RTT) pour cette catégorie de salariés. Il a estimé que l'extension de ces conventions à d'autres catégories de salariés ne serait en revanche pas acceptable.

M. Louis Souvet, rapporteur , a indiqué que certains considèrent que la RTT a conduit les entreprises à assurer, en trente-cinq heures, le même volume de travail qu'en trente-neuf heures, ce qui a provoqué une multiplication des arrêts de travail pour cause de stress ou de fatigue nerveuse.

M. Rémy Jouan a objecté que l'intensification du travail est un phénomène international, et non pas un problème français lié aux seules trente-cinq heures. Il a même fait valoir que la réorganisation du travail négociée dans le cadre de la réduction du temps de travail a permis, dans les entreprises qui ont saisi cette opportunité, de mieux gérer cette intensification du travail.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , a souligné que l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires serait utile dans certains secteurs comme celui de l'hôtellerie-restauration ou du bâtiment-travaux publics.

M. Rémy Jouan a objecté que le contingent majoré de 180 heures, proposé par la loi Fillon, n'est pas encore utilisé dans son intégralité. Il a donc douté de l'utilité de porter ce quota à 220 heures et a craint que cette augmentation et la possibilité d'effectuer des heures choisies ne constituent un frein important à l'embauche.

M. Louis Souvet, rapporteur , a fait valoir que les difficultés de compétitivité des entreprises françaises sont dues notamment aux hausses successives du salaire minimum de croissance (SMIC) consécutives aux trente-cinq heures.

M. Rémy Jouan s'est insurgé contre le fait que les entreprises limitent les rémunérations au niveau du SMIC. Il a estimé que la présence de plusieurs millions de chômeurs et le gel volontaire des salaires négocié dans le cadre des accords de RTT n'ont pas incité les entreprises à augmenter leurs salariés.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , a voulu connaître la position de la CFDT sur la question du compte épargne temps.

M. Rémy Jouan s'est déclaré favorable au rachat des jours de RTT dans le cadre des comptes épargne-temps mais il s'est opposé à ce qu'un mécanisme similaire soit prévu pour les congés et pour les jours de repos compensateur.

M. Louis Souvet, rapporteur , a souligné que la France reste un cas isolé en Europe sur la question des trente-cinq heures. Il a estimé que si la réduction du temps de travail était réellement une panacée au problème du chômage, de nombreux autres pays l'auraient adoptée. Il a également observé que la RTT ne semble pas avoir l'effet escompté sur le niveau d'emploi, dans la mesure où le taux français reste largement inférieur à la moyenne de l'OCDE.

M. Rémy Jouan a répliqué que l'abandon progressif des trente-cinq heures en Allemagne n'a pas pour autant résolu le problème du chômage et que la faiblesse du taux de chômage aux États-unis est due à l'ampleur du phénomène des travailleurs pauvres. Insistant sur la forte proportion de salariés travaillant à temps partiel contraint, il a estimé que les besoins des entreprises pourraient être comblés en augmentant le temps de travail de ces personnes plutôt qu'en remettant en cause, de façon globale, les trente-cinq heures.

M. Roland Muzeau a déclaré comprendre les inquiétudes de la CFDT vis-à-vis de la proposition de loi et a énuméré les griefs qu'elle lui inspire : risque de frein à l'embauche, atteinte à la santé au travail, caractère mensonger de la promesse affichée par le slogan « travailler plus pour gagner plus », absence de mesures en faveur des salariés à temps partiel contraint. Il a souhaité connaître la position de la CFDT à l'égard de la multiplication des cas de chantage à l'emploi lors des discussions portant sur la modulation de la durée du travail.

M. Rémy Jouan a tenu d'abord à préciser que, dans le cas particulier de l'usine Bosch, l'accord négocié consistait à remonter la présence horaire hebdomadaire de trente deux à trente-cinq heures, et non pas à remettre en cause la durée légale du travail. Il a également rappelé que cet accord avait été négocié avec les syndicats, ce qui témoigne de l'importance du maintien d'un dialogue social dans l'entreprise.

Audition de Mmes Michèle Biaggi, secrétaire confédérale,
et Lucile Castex, assistante juridique,
de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO)
(mercredi 9 février 2005)

La commission a procédé à l'audition de Mmes Michèle Biaggi, secrétaire confédérale, et Lucile Castex, assistante juridique, de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO).

M. Louis Souvet, rapporteur , a rappelé tout d'abord les inquiétudes précédemment exprimées par la CGT-FO à l'occasion de l'examen de la deuxième loi Aubry sur l'augmentation vraisemblable du stress professionnel qui pouvait en résulter et sur la modération salariale imposée par le passage aux trente-cinq heures. Il a voulu savoir si la proposition de loi apporte des éléments de réponse satisfaisants à ces deux problèmes. Il a également souhaité connaître la position de l'organisation syndicale sur une éventuelle extension de la formule des conventions de forfait en jours à d'autres catégories de salariés que les cadres.

Mme Michèle Biaggi a reconnu que la CGT-FO s'était inquiétée, en son temps, des moyens de contourner la règle des trente-cinq heures offerts aux employeurs par les lois Aubry à travers les possibilités de modulation du temps de travail. Elle a estimé que les nouveaux assouplissements prévus par la proposition de loi ne répondent pas aux besoins des salariés, lesquels ont exprimé leur mécontentement, le 5 février dernier, en rassemblant près de 500.000 manifestants à travers la France.

Elle a insisté sur le fait que la proposition de loi repose sur un mensonge, car l'existence d'un lien de subordination entre le salarié et son employeur s'opposera toujours à une véritable liberté de choix et d'organisation du salarié. Elle a observé ainsi que l'abondement du compte épargne-temps à l'initiative du salarié est un leurre et qu'il serait normal de prévoir un abondement conjoint de ce compte par l'employeur, mais elle a craint qu'un tel dispositif ne soit une occasion d'exercer un chantage de la part de l'employeur.

Mme Michèle Biaggi, secrétaire confédérale , a ensuite souligné l'inutilité d'une nouvelle augmentation du contingent d'heures supplémentaires, dans la mesure où les 180 heures prévues par la loi Fillon ne sont pas utilisées par les entreprises. Elle a dénoncé le caractère illusoire des heures choisies, estimant que l'employeur aurait toute latitude pour désigner lui-même les salariés susceptibles de bénéficier de cette mesure.

Elle s'est prononcée contre l'extension de la formule des conventions de forfait en jours, expliquant que celles-ci constituent un moyen déguisé de faire sauter le verrou de la durée légale du travail. Elle a également refusé le prolongement de la dérogation accordée aux petites entreprises en matière de majoration des heures supplémentaires, faisant valoir qu'une telle mesure entretient une discrimination entre les salariés, selon la taille de leur entreprise.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , a contesté l'analyse selon laquelle tout salarié préférerait travailler dans une grande entreprise.

M. Jean-Pierre Godefroy s'est étonné de l'unanimité des partenaires sociaux, y compris des organisations patronales, sur l'inutilité de cette proposition de loi. Il a demandé à connaître la position de la CGT-FO sur la création d'un comité d'orientation de l'emploi (COE) évoquée par le ministre de l'économie et des finances.

Mme Michèle Biaggi a réservé sa réponse sur l'intérêt de cette nouvelle structure, en raison du manque d'informations disponibles sur ses missions et ses modalités de fonctionnement. Elle a observé toutefois que les partenaires sociaux disposent déjà d'un lieu d'échange à travers la renégociation de la convention de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).

M. Bernard Seillier, président , a précisé que la création du COE a été proposée par M. Jean-Baptiste de Foucauld au comité national de lutte contre les exclusions, afin de disposer d'une instance permettant de rapprocher stratégie économique et politique de l'emploi.

M. Roland Muzeau a souhaité connaître l'opinion de la CGT-FO sur le slogan selon lequel les Français pourraient désormais travailler plus pour gagner plus. Il a estimé également qu'une augmentation de l'activité des entreprises doit bénéficier en priorité aux salariés à temps partiel non choisi. Il s'est inquiété enfin de l'amplification en France du phénomène des travailleurs pauvres, bien connu aux Etats-Unis.

Mme Michèle Biaggi a réitéré son opposition au slogan « travailler plus pour gagner plus ». Elle a estimé que la situation de l'emploi exige en réalité une augmentation des salaires afin de relancer la consommation et la production des entreprises. Elle a rappelé que le pouvoir d'achat des salariés a souffert de plusieurs années de gel des salaires, du passage à l'euro et de l'envolée des loyers. Enfin, elle a partagé l'opinion selon laquelle les salariés à temps partiel subi devraient être les premiers à bénéficier d'une augmentation de leur temps de travail.

Audition de MM. Alain Mennesson et Eric Thouzeau,
conseillers confédéraux
de la Confédération générale du travail (CGT)
(mercredi 9 février 2005)

Puis la commission a procédé à l'audition de MM. Alain Mennesson et Eric Thouzeau, conseillers confédéraux de la Confédération générale du travail (CGT) .

M. Alain Mennesson a tout d'abord indiqué que son organisation juge inacceptable le projet proposé et considère, s'appuyant sur le bilan des récentes manifestations, que les salariés partagent majoritairement ce point de vue. Il a estimé ce projet dangereux pour l'emploi, les salaires et la santé des salariés.

Analysant l'exposé des motifs de la proposition de loi, il a contesté l'affirmation selon laquelle la réduction du temps de travail aurait été imposée aux salariés. Il a rappelé qu'il s'agissait d'une revendication ancienne de plusieurs syndicats et que la précédente majorité avait été élue sur ce programme, qui a donc été validé par les électeurs. Il a souligné que le degré de satisfaction des salariés passés à trente-cinq heures était élevé et que la réduction du temps de travail avait donné lieu à la négociation de 120.000 accords collectifs. Il a évalué à 400.000 le nombre d'emplois créés par les trente-cinq heures et a attribué la responsabilité de la faible progression des salaires aux employeurs.

Puis il a contesté l'idée selon laquelle les entreprises auraient besoin de nouveaux assouplissements en matière de durée du travail. Après avoir rappelé toutes les mesures prises par le gouvernement en ce domaine depuis 2002, il lui a reproché de ne pas avoir tenu son engagement de laisser les partenaires sociaux négocier les nouvelles réformes du droit du travail.

Il a ensuite critiqué la modification proposée du compte épargne-temps, qui en ferait un nouvel instrument de flexibilité laissé à la discrétion des employeurs. De plus, il conduirait les salariés à accumuler des créances sur l'entreprise, avec les problèmes qui peuvent en découler en cas de défaillance de l'entreprise ou pour le transfert des droits.

Concernant les heures choisies, M. Alain Mennesson a estimé qu'elles obligeraient simplement les salariés à accomplir plus d'heures supplémentaires, tout en les privant des garanties actuellement attachées aux heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent.

Abordant les règles particulières aux entreprises de moins de vingt-et-un salariés, M. Alain Mennesson a dénoncé la possibilité donnée aux salariés de renoncer à des journées de repos par accord direct avec leur employeur, au motif qu'elle porterait atteinte aux règles légales et conventionnelles en vigueur.

Il s'est également élevé contre le slogan « travailler plus pour gagner plus », qui masquerait la réalité d'une augmentation de la durée du travail, portée à 2.000 heures par an, au détriment des intérêts des chômeurs et des salariés à temps partiel.

M. Alain Mennesson a conclu en énonçant les revendications de la CGT : généralisation des trente-cinq heures à toutes les entreprises où elles ne sont pas encore appliquées ; interdiction du travail à temps partiel subi et du recours abusif au travail précaire ; limitation et meilleure rémunération des heures supplémentaires ; réduction de la durée maximale du travail.

M. Louis Souvet, rapporteur , a souhaité connaître la position de la CGT sur une éventuelle extension de la formule du forfait en jours à des salariés non-cadres itinérants.

M. André Lardeux a demandé quelles sont, selon la CGT, les causes de l'intensification du travail dans les entreprises.

M. Roland Muzeau a estimé que la proposition de loi ne s'attaque pas au problème des travailleurs pauvres, qui occupent, contre leur gré, des emplois à temps partiel, et que le slogan « travailler plus pour gagner plus » est mensonger.

M. Michel Esneu a rappelé que le passage aux trente-cinq heures s'était accompagné d'une modération salariale pendant plusieurs années et a considéré que la présente proposition de loi permettrait de redonner du pouvoir d'achat aux salariés.

En réponse aux intervenants, M. Eric Thouzeau a d'abord fait part de la grande réserve de la CGT sur le projet d'extension des conventions de forfait en jours à d'autres catégories de salariés, considérant que les salariés dont on ne peut mesurer la durée précise du travail sont en réalité fort peu nombreux. Il a insisté sur l'aspiration des cadres à concilier vie professionnelle et vie familiale et souligné le paradoxe consistant à affirmer que les cadres voudraient renoncer à des jours de repos et, dans le même temps, qu'ils auraient été les grands bénéficiaires de la réduction du temps de travail. Il a admis que l'intensification du travail avait pu, dans certains cas, être une conséquence du passage aux trente-cinq heures mais il a ajouté que la présente proposition de loi ne prévoit pas de temps de pause ou de repos supplémentaires et qu'elle n'apporte donc aucune réponse à ce problème. De même, il a reconnu que la réduction du temps de travail avait pu s'accompagner parfois d'une modération salariale mais qu'elle ne saurait expliquer la faiblesse de la progression des salaires depuis deux ans.

M. Alain Mennesson a souhaité faire part de quelques observations concrètes. Il a affirmé que les chefs d'entreprise ne demandent pas le relèvement du contingent d'heures supplémentaires, qu'ils sont loin d'utiliser en totalité, et jugé que cette mesure découragerait l'embauche. Il s'est inquiété des risques de chantage pouvant s'exercer dans les entreprises, si l'employeur exige des salariés qu'ils renoncent à des jours de repos sous peine de procéder à des licenciements économiques. Enfin, il a rappelé les multiples souplesses autorisées en matière d'organisation du temps de travail par les textes en vigueur, parmi lesquelles l'annualisation du temps de travail, l'organisation en équipe de suppléance ou les dérogations relatives au repos journalier.

M. André Lardeux a souhaité connaître de manière plus précise l'analyse de la CGT sur les causes de l'intensification du travail.

M. Eric Thouzeau a répondu qu'elle résulte principalement de l'annualisation du temps de travail et des autres formes de flexibilité offertes aux employeurs, qui ont un impact négatif sur la vie familiale.

Mme Gisèle Printz a confirmé que certains employeurs tirent parti de la crainte des délocalisations pour faire pression sur leurs salariés et les contraindre à accepter des situations plus défavorables en termes de durée du travail.

Audition de MM. Denis Gautier-Sauvagnac,
président du groupe des relations sociales,
et Dominique Tellier, directeur des relations sociales,
du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
(mercredi 9 février 2005)

Enfin, la commission a procédé à l'audition de MM. Denis Gautier-Sauvagnac, président du groupe des relations sociales, et Dominique Tellier, directeur des relations sociales, du Mouvement des entreprises de France (MEDEF ).

M. Denis Gautier-Sauvagnac a rappelé tout d'abord que le MEDEF ne souhaitait pas initialement une nouvelle loi et préférait que les assouplissements nécessaires en matière de temps de travail soient prévus, comme partout ailleurs en Europe, par la voie conventionnelle. Il a estimé que la durée légale du travail ne devrait s'appliquer que par défaut en l'absence d'accord de branche, mais a reconnu le caractère bienvenu des assouplissements apportés par la proposition de loi.

Il a expliqué que le MEDEF accueille favorablement la liberté de négocier apportée par le texte, mais il a estimé que, dans un premier temps, peu d'entreprises seraient tentées de renégocier leur accord de réduction du temps de travail, compte tenu de l'atonie de l'activité économique. Il a considéré toutefois la proposition de loi nécessaire pour faire face à un éventuel retour de la croissance.

Revenant sur les assouplissements introduits par la loi Fillon du 17 janvier 2003, il a rappelé que ceux-ci avaient conduit à la renégociation de vingt-deux accords de branche portant le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures.

Il a contesté la théorie selon laquelle le recours aux heures supplémentaires serait un frein à l'embauche : en effet, en faisant travailler davantage ses propres salariés, l'entreprise produit davantage de richesses, ce qui conduira in fine à des créations d'emplois.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a confirmé que le MEDEF est favorable à une extension des conventions de forfait en jours aux salariés pour lesquels le temps de travail n'est pas déterminable à l'avance. Il a rappelé que la jurisprudence a reconnu qu'un employeur ne peut être tenu pour responsable d'un dépassement de la durée légale du travail pour un salarié travaillant, de façon autonome, à plusieurs centaines de kilomètres du siège de son entreprise.

Evoquant les critiques formulées par le comité des droits sociaux du conseil de l'Europe, il a rappelé que les inquiétudes se sont focalisées sur les conséquences des forfaits en jours sur la qualité de vie des cadres et que le conseil de l'Europe a accepté le principe de ces forfaits en contrepartie d'une rémunération en rapport avec la contrainte imposée à ces salariés.

Il a souligné que les conventions de branche prévoient déjà des salaires majorés de 30 % pour les salariés itinérants non cadres et que la durée de travail de ces derniers resterait toujours encadrée par les règles légales sur le repos quotidien et hebdomadaire.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques , a souhaité connaître la position du MEDEF sur le dispositif des heures choisies, rappelant que le contingent actuel de 180 heures supplémentaires n'est pas entièrement utilisé par les entreprises.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a reconnu que les entreprises n'utilisent en moyenne que 60 heures supplémentaires par an et par salarié. Mais il a expliqué que, dans certaines entreprises, un surcroît d'activités peut entraîner un besoin très important d'heures supplémentaires. Il a observé également qu'il est très rare que des salariés refusent de faire des heures supplémentaires compte tenu de leur rémunération attractive.

M. Roland Muzeau s'est étonné que le MEDEF ne reconnaisse pas les mérites des lois Aubry en termes de gains de productivité et d'amélioration de l'organisation du travail. Il a voulu savoir si l'organisation patronale accepterait un amendement confirmant expressément le droit au refus des heures supplémentaires pour les salariés. Constatant le faible succès des aménagements prévus par la loi Fillon, il s'est demandé si une nouvelle loi est bien nécessaire.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a souligné que la contrepartie des prétendus mérites de la loi Aubry avait été une augmentation sans précédent du coût du travail. Il a observé également que les entreprises de la cotation assistée en continu (CAC 40) ont sans doute été les moins pénalisées par les trente-cinq heures, dans la mesure où une partie importante de leurs activités s'effectue à l'étranger.

Il a insisté sur le fait que le péché originel de la réduction du temps de travail avait été de faire croire aux Français qu'ils pourraient travailler moins, gagner autant et, qu'en même temps, les entreprises pourraient créer des emplois. Cependant, il a tenu à reconnaître un mérite aux lois Aubry : celui d'avoir fait sortir les cadres de l'illégalité en permettant le décompte de leur temps de travail dans le cadre de conventions de forfait en jours. S'agissant de l'annualisation et de la modulation du temps de travail, il a rappelé que les branches n'avaient pas attendu les lois Aubry pour se saisir de ces opportunités.

Puis M. Denis Gautier-Sauvagnac a estimé que la proposition de loi pourrait être améliorée sur quatre points : en étendant à certains non cadres les conventions de forfait en jours ; en prévoyant que les cotisations sociales, hormis celles correspondant à l'assurance vieillesse, soient versées sur les comptes épargne-temps ; en retouchant la rédaction du texte pour éviter la remise en cause du statut des cadres ; en excluant enfin le repos compensateur, des contreparties pouvant être prévues dans le cadre des heures choisies.

Il a fait observer que les assouplissements successifs des trente-cinq heures ne conduisent pas à un retour au statu quo ante en termes de coûts pour les entreprises : en effet, le passage aux trente-cinq heures s'est traduit tout d'abord par une augmentation de 4 % à 6 % du coût du travail, la suppression des allégements de charges a ensuite alourdi la facture pour les entreprises et le recours autorisé à un contingent plus important d'heures supplémentaires n'exonère pas les entreprises du paiement des majorations y afférant.

M. Roland Muzeau a fait valoir que, dans sa conception originelle, la réduction du temps de travail ne signifie pas travailler moins, mais travailler moins longtemps de façon plus intensive, grâce à des gains importants de productivité.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a rappelé que le temps de travail dans les entreprises françaises est inférieur de 20 % à la moyenne des pays de l'OCDE et qu'un écart aussi large ne peut pas être intégralement compensé par des gains de productivité.

Mme Catherine Procaccia a souhaité connaître les garanties qui seraient apportées aux non cadres en cas de mise en place de conventions de forfait en jours.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a indiqué que la mise en place de ces forfaits serait nécessairement précédée d'un accord de branche pour prévoir une contrepartie en termes de rémunération. Il a tenu à rassurer les parlementaires en précisant que les entreprises non adhérentes à une organisation patronale seraient tenues d'appliquer les accords de branche du fait du mécanisme de l'extension.

M. Louis Souvet, rapporteur , a observé que de nombreuses grandes entreprises annoncent qu'elles ne reviendront pas sur leurs accords de réduction du temps de travail, car leurs précédentes négociations leur ont déjà coûté très cher. Il a confirmé le fait que les employeurs n'avaient pas attendu la mise en place des trente-cinq heures pour négocier sur l'organisation du travail. Enfin il a souligné qu'un certain nombre de personnalités proches de l'opposition ont admis que la réduction du temps de travail avait été une erreur et que le véritable problème est celui du pouvoir d'achat des salariés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page