N° 203
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 février 2005 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant réforme de l' organisation du temps de travail dans l' entreprise ,
Par M. Louis SOUVET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Claude Bertaud, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontes, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Christiane Kammermann, M. André Lardeux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Jackie Pierre, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, MM. Jacques Siffre, Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 2030 , 2040 et T.A. 378
Sénat : 181 et 205 (2004-2005)
Travail. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Sans méconnaître la tendance historique à la baisse de la durée du travail, votre commission s'est toujours élevée contre la politique de réduction autoritaire et systématique du temps de travail dans les entreprises.
Dès le débat précédant l'adoption de la loi du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, elle s'était inquiétée des conséquences de ce projet sur le coût du travail, notamment peu qualifié, et sur la situation économique de la France face à la concurrence internationale. Elle avait critiqué son inadéquation aux besoins des entreprises, variables selon leur secteur d'activité, leur taille ou la situation conjoncturelle. Elle s'était également préoccupée du coût mal évalué de cette réforme pour les finances de l'État.
Surtout, elle n'a jamais cru que le « partage » du travail constitue un moyen efficace de créer des emplois et de lutter contre le chômage. Elle considère, au contraire, que c'est le travail qui crée l'emploi. Comme le montrent les comparaisons internationales, les pays où la durée du travail et le taux d'activité sont les plus élevés sont aussi ceux où le chômage est le plus faible. Ce constat ne doit pas surprendre : un plus grand volume d'heures travaillées signifie plus de créations de richesses, et donc davantage de consommation, d'investissement et d'emplois.
La loi Fillon du 17 janvier 2003 a apporté d'importants aménagements aux lois Aubry et en a atténué certains des effets les plus négatifs. Elle a mis fin, progressivement, au système aberrant des SMIC multiples et a ouvert de nouvelles possibilités de négociations entre partenaires sociaux en matière d'heures supplémentaires. Elle a également simplifié et rendu plus efficace le système d'allégement de cotisations sociales mis en place parallèlement à la réduction du temps de travail.
Pour autant, de nouveaux assouplissements sont apparus nécessaires, notamment pour donner aux salariés plus de liberté dans la détermination et l'organisation de leur temps de travail. Certains salariés apprécient le temps libre que leur procurent les trente-cinq heures et sont satisfaits de leur niveau de revenu ; il n'est pas question d'obliger ces salariés à travailler plus. D'autres, en revanche, souhaiteraient une répartition différente entre loisirs et temps de travail pour obtenir un salaire plus élevé. La législation actuelle ne leur offre pas cette liberté de choix.
La proposition de loi soumise au Sénat vise à combler cette lacune. Elle est cosignée par quatre députés : Patrick Ollier, président de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, Hervé Novelli, Pierre Morange, qui en a été le rapporteur pour l'Assemblée nationale, et Jean-Michel Dubernard, président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales.
Ce texte a été élaboré en concertation étroite avec le Gouvernement. Le 9 décembre 2004, le Premier ministre, présentant son « contrat France 2005 », annonçait déjà de nouveaux assouplissements des trente-cinq heures. Le Gouvernement a commencé de les mettre en oeuvre en relevant, par décret, le contingent d'heures supplémentaires autorisées. Il appartient à présent au Parlement de procéder à des modifications de nature législative.
Les modifications envisagées par le texte portent sur trois points :
- la simplification et la rénovation du compte épargne-temps, afin d'en favoriser l'essor ;
- la création d'un nouveau régime d'heures choisies, qui permettra aux salariés qui le désirent de continuer à travailler, même lorsque leur contingent d'heures supplémentaires sera épuisé ;
- la prorogation des règles dérogatoires applicables aux entreprises de moins de vingt et un salariés en matière d'heures supplémentaires : il est proposé d'en prolonger l'application pour trois années supplémentaires afin de tenir compte des difficultés propres à ces petites entreprises.
I. LES LOIS RELATIVES AUX TRENTE-CINQ HEURES ONT SOUMIS L'ÉCONOMIE FRANÇAISE À D'EXCESSIVES RIGIDITÉS
Le présent rapport n'a pas pour ambition de présenter de manière exhaustive l'historique, ou le bilan, de la réduction du temps de travail dans notre pays, mais, plus modestement, de mettre en évidence les principales difficultés provoquées par le passage aux trente-cinq heures et d'exposer les éléments de réponse ici apportés par la proposition de loi.
Il n'est pas inutile cependant de rappeler que le processus de réduction de la durée du travail a initialement été lancé par la loi n° 96-502 du 11 juin 1996, dite loi « de Robien », tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail dans l'entreprise. Ce texte incitait les entreprises, au moyen d'allégements de charges sociales, à la conclusion d'accords collectifs prévoyant une diminution de 10 % de la durée du travail, assortie de créations d'emplois ou du renoncement à des licenciements.
La précédente majorité a rompu avec cette logique incitative, respectueuse de l'autonomie des partenaires sociaux et des besoins de chaque entreprise, pour imposer un passage généralisé aux trente-cinq heures.
La loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, dite loi « Aubry I », a en effet fixé la durée légale du travail à trente-cinq heures hebdomadaires à compter du 1 er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1 er janvier 2002 pour les entreprises employant vingt salariés ou moins. Elle permettait aux entreprises de bénéficier d'allégements de charges sociales, à condition qu'elles concluent, anticipant ainsi le passage légal aux trente-cinq heures, un accord réduisant la durée du travail et prévoyant, en contrepartie, des embauches ou le renoncement à des licenciements.
La loi n° 2000-32 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, ou loi « Aubry II », a parachevé le dispositif. Elle a confirmé la fixation de la durée légale du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1.600 heures annuelles. Elle a mis en place un dispositif d'allégement de cotisations sociales, subordonné à la signature d'un accord collectif prévoyant une durée du travail de trente-cinq heures par semaine (d'autres modalités de décompte de la durée du travail sont cependant prévues). Elle a introduit des dispositions spécifiques pour les cadres.
Même si la réduction du temps de travail a pu avoir, à court terme, un effet positif en termes de créations d'emplois (la direction de l'animation de la recherche, des études et de la statistique du ministère du travail, de l'emploi et de la cohésion sociale les évalue à 350.000), elle a surtout enfermé les entreprises et les salariés dans des contraintes réglementaires qui risquent de pénaliser la croissance de l'économie française à long terme.
A. DES CONTRAINTES FORTES POUR LES ENTREPRISES
Le bilan des trente-cinq heures est variable selon les entreprises : certaines d'entre elles, notamment les plus grandes, ont parfois saisi l'occasion du passage aux trente-cinq heures pour se réorganiser et négocier des accords de modération salariale qui ont limité la croissance de leurs coûts.
En revanche, la situation des petites entreprises a souvent été plus difficile : ces entreprises disposent de moins de ressources et d'une moindre familiarité avec la négociation collective. D'ailleurs, comme l'indique une enquête récente de la DARES 1 ( * ) , nombre d'entre elles n'ont pas réduit leur durée collective de travail, ou ne l'ont fait que partiellement, ce qui les conduit à effectuer régulièrement des heures supplémentaires, renchérissant ainsi leurs coûts de production.
L'alourdissement des coûts des entreprises aurait cependant été plus important si le passage aux trente-cinq heures ne s'était accompagné d'une importante augmentation des allégements de cotisations sociales. Le problème du financement du coût des trente-cinq heures s'est, en quelque sorte, déplacé des entreprises privées vers le budget de l'État. Comme l'expliquait M. Jean Pisany-Ferry, économiste, lors de son audition par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail : si « les évolutions des coûts comparés n'indiquent pas [...] que notre compétitivité ait subi une dégradation marquée » , cette politique a eu « une contrepartie en termes de coût pour les finances publiques » . Ce coût a été estimé à 8 milliards d'euros en 2003 2 ( * ) .
Par définition, la réduction du temps de travail a eu pour effet de réduire le nombre d'heures travaillées par salarié, mettant ainsi un frein à la capacité productive des entreprises. Dans l'absolu, celles-ci auraient dû maintenir leur capacité de production en compensant la baisse de la durée du travail par des embauches supplémentaires, mais ce raisonnement rencontre deux limites : un problème de coût et un problème de substituabilité entre les salariés. Les entreprises peuvent rencontrer des difficultés à recruter des personnes possédant les qualifications requises et être ainsi dans l'incapacité d'honorer leurs commandes si elles ne sont pas autorisées à faire effectuer par leurs salariés un nombre suffisant d'heures de travail.
Ce problème de substituabilité entre salariés explique que le recours aux heures supplémentaires ne soit pas, contrairement à ce qui est souvent affirmé, l'ennemi de l'emploi : on peut concevoir qu'autoriser plus largement le recours aux heures supplémentaires dans les entreprises qui rencontrent des difficultés de recrutement favorise la création de richesses et, in fine , l'emploi 3 ( * ) .
* 1 « Les réticences aux trente-cinq heures : ce qu'en disent les entreprises de plus de vingt salariés », Premières informations et premières synthèses, n° 39-1, septembre 2004.
* 2 Cf. rapport d'information n° 1544, tome 2, « La France des trente-cinq heures : une économie fragilisée, une société divisée ? », par M. Hervé Novelli, rapporteur, Assemblée nationale, avril 2004.
* 3 Cf. Audition de M. Denis Gautier-Sauvagnac, président du groupe des relations sociales du MEDEF, page 60.