B. LE PAYSAGE INTERNATIONAL DE LA CONSTRUCTION NAVALE MILITAIRE

1. L'industrie européenne est en bonne position

L'industrie navale européenne de défense est en bonne position sur le marché mondial , en raison d'une part de l'importance du marché domestique européen mais également de l'absence, à l'heure actuelle, de concurrence significative sur les marchés d'exportation de la part de l'industrie américaine. La position américaine pourrait cependant évoluer très rapidement.

En effet, cette dernière est assise sur un marché domestique très important et haut de gamme, ce qui ne favorise pas l'exportation de produits moins chers, en petite série vers les pays asiatiques ou sud-américains. L'industrie américaine occupe cependant une bonne place sur le créneau de certains équipements (missiles, conduite de tir, propulsion, etc.).

Le Japon n'exporte pas d'armes compte tenu de sa Constitution. La Chine, la Corée, l'Inde, Singapour ou la Russie ne disposent pas encore de produits à même de concurrencer efficacement les produits européens, malgré des progrès très significatifs. Ces pays pourraient à terme représenter une menace sur les positions de marché tenues jusqu'ici par les Européens (Moyen Orient, Afrique du Sud, Sud Est Asiatique, Amérique Latine, Australie).

Le tableau suivant donne une vision du poids des principaux acteurs de la construction navale.

Les acteurs de la construction navale militaire en 2003

(en millions d'euros
sur la base d'une parité équivalant à 1 dollar pour 1,263 euro, au 31 décembre 2003)

Pays

Industriel

Chiffre d'affaires

(naval militaire)

Chiffre d'affaires (total)

Effectifs (naval militaire)

Effectifs (total)

Royaume-Uni

BAE Systems

VT Group

1 200T 1 ( * ) T

500

18 104

972

5 000

NC

96 000

8 000

France

DCN

Alstom Marine

Thalès

1 907

ncT 2 ( * ) T

2 127T 3 ( * ) T

1 907

997

10 509

12 800

nc

5 800

12 800

3 400

57 500

Allemagne

HDWT 4 ( * ) T

ThyssenKrupp WerftenT 5 ( * ) T

600

500

1 335

850

nc

nc

6 300

3 000

Espagne

Izar

451

1 537

NC

10 800

Italie

Fincantieri

494

2 342

NC

9 500

États-Unis

Northrop Grumman

General Dynamics

Lockheed Martin

Raytheon

United Defense

6 885

5 395

4 041

1 515

758

33 090

20 965

40 163

22 871

2 590

38 000T 6 ( * ) T

19 000

nc

nc

nc

123 000

54 000

130 000

77 000

7 500

Au total, l'industrie navale de défense américaine doit détenir près de 45 % du marché mondial, et l'industrie européenne 30 %.

2. Les principaux acteurs européens de la construction navale militaire

Alors que les Etats-Unis comptent 5 grands groupes dans le domaine de la construction navale militaire, l'Europe compte près de 11 acteurs dans ce secteur.

Trois industries européennes dominent le secteur, les industries navales françaises et britanniques en raison de l'importance de leur marché domestique et l'industrie allemande en raison des positions importantes tenues à l'exportation (¾ du marché mondial des sous-marins classiques).

a) DCN et les acteurs français de la construction navale militaire

Les leaders sur le marché du naval militaire sont centrés sur la maîtrise d'oeuvre mais possèdent une activité de chantier naval en propre (c'est le cas de Bae Systems, General Dynamics et Northrop Gruman).

DCN prend la même orientation stratégique et revendique une position de maître d'oeuvre du navire armé (forte ingénierie, chantier adapté aux réalisations militaires). DCN possède, en effet, une activité importante dans la conception et la réalisation de systèmes de combat navals. A ce titre, DCN a vendu à la Norvège un système de combat naval sans coque : le SENIT, pour la modernisation des quatorze patrouilleurs Hauk et l'équipement des patrouilleurs rapides de la classe Skjöld.

L'une des réussites de DCN est ce système de combat des bâtiments de surface, appelé SENIT . Il s'agit d'un système de traitement de l'information qui fédère l'ensemble des senseurs et des armes du bâtiment qu'il équipe. Il décrit en temps réel la situation tactique, évalue la menace et offre des solutions adaptées. Ce type de système d'armement est indispensable à l'interopérabilité des équipements navals modernes.

DCN est également très présent sur le marché du maintien en condition opérationnelle (30 % de son chiffre d'affaires, et 50 % de ses effectifs). Le retard cumulé dans l'entretien de la flotte française qui atteignait 300 jours a été totalement rattrapé. La disponibilité des bâtiments en est grandement améliorée et correspond aux objectifs fixés par la marine.

Il existe d'autres acteurs de la construction navale que DCN en France.

Alstom marine (filiale du groupe Alstom) dont l'essentiel de l'activité réside dans la construction de navires de croisière et de commerce, participe à la construction des deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) en collaboration avec DCN. Cette coopération est toutefois ponctuelle.

Thalès pour sa part est concepteur de systèmes de combat navals et « intégrateur » de navires armées. Thalès et DCN ont une filiale commune, Armaris (dont les caractéristiques économiques et les principales activités sont présentées en annexe 4 du présent rapport).

On peut encore citer CMN à Cherbourg, qui fait partie du réseau des acteurs industriels européens d'un format moindre. Ceux-ci sont souvent ensembliers sur certaines réalisations sous-traitants/coopérants des maîtres d'oeuvre, et sont des acteurs particulièrement importants dans chacun des bassins d'emploi concernés.

b) Les acteurs allemands, britanniques, espagnols et italiens

L'organisation de l'industrie navale militaire allemande était assez originale avec l'association d'une dizaine de chantiers de taille moyenne, de maîtres d'oeuvre et d'équipementiers dans des consortia structurants. La fusion très récente de ThyssenKrupp Werften et Howaldtswerke-Deutsche Werft (HDW) est sans doute le signe de la fin de ce modèle qui devrait être remplacé par la constitution d'un chantier de grande taille, se recentrant sur la construction navale militaire et donc le métier de maître d'oeuvre.

Le secteur naval britannique est assez morcelé malgré la domination de fait de Bae Systems qui regroupe trois chantiers navals (Scotstoun, Barow-in-Furness et Govan) et des activités d'équipementier dans les systèmes de combat navals, les armes sous-marines, les radars et les communications. Le groupe Bae Systems est détenu à 43 % par des capitaux britanniques, 47 % par des capitaux américains et 10 % par des capitaux d'autres nationalités. L'autre acteur naval important en Grande Bretagne (VT Group) est très lié à Bae Systems par l'intermédiaire de filiales communes.

En Espagne , la fusion des chantiers navals publics civils, les Astilleros Espagnoles, et militaires, Bazan, en 2000 a donné naissance au groupe Izar, détenu à 100 % par l'Etat espagnol. Ce groupe a été condamné en 2004 par la Commission européenne à rembourser des aides indûment perçues (car contraires à la législation européenne sur les aides d'Etat) à hauteur d'environ 700 millions d'euros, alors qu'il a accumulé plusieurs centaines de millions d'euros de perte depuis sa création en 2000 par la fusion du chantier militaire et du chantier civil public. Sa situation est donc très fragile.

Le chantier public Fincantieri en Italie , dont l'activité est plus civile que militaire réalise l'essentiel des constructions navales militaires italiennes. Détenu à 83 % par l'Etat italien, sa situation économique semble bonne alors que l'entreprise n'a pas été restructurée (trop de sites de construction). Le groupe Finmeccanica possède pour sa part une part importante de l'activité des systèmes de combat naval italiens.

c) Les autres acteurs européens

D'autres pays possèdent des industries navales de taille significative oeuvrant dans le domaine de la défense, tels que :

- Royal Schelde aux Pays Bas, filiale du géant mondial de la construction navale civile Damen ;

- Thalès Naval Netherland (filiale de Thalès) et Atlas Electroniks (filiale de Bae Systems) aux Pays-Bas et en Allemagne pour les systèmes de combat navals (navires allemands) ;

- Kockums en Suède, filiale d'HDW, en pointe sur les nouvelles technologies de furtivité et les nouvelles formes de carène ;

- Saab et Bofors en Suède dans le domaine de l'électronique de défense ;

- Rolls-Royce en Grande Bretagne dans le domaine de la propulsion (y compris nucléaire), et Technicatome (filiale à 83% d'Areva) en France pour la propulsion nucléaire ;

- les chantiers polonais et grecs se positionnant sur l'activité de construction navale proprement dite ;

- EADS, enfin, réalise un milliard d'euros de chiffre d'affaires dans l'industrie navale (surtout les équipements dont les missiles).

3. La nécessaire consolidation de la construction navale en Europe

a) Les raisons qui rendent la consolidation nécessaire

Face, d'une part, à l'évolution des besoins du client et, d'autre part, au morcellement de l'industrie navale de défense européenne, la consolidation de l'industrie européenne est une nécessité. Cette consolidation passe par le renforcement de grands maîtres d'oeuvre, à même d'une part de maîtriser la complexité globale des projets, et d'autre part de développer au niveau européen des synergies en matière d'investissement.

Il semble que la concurrence que se font les acteurs européens sur le marché international entraîne une diminution de 15 % de leurs marges.

La nécessité de consolidation de l'industrie navale européenne est également dictée par une « offensive » de l'industrie américaine qui prend deux formes :

- partenariat avec, ou prise de contrôle de chantiers européens afin d'avoir accès à des technologies de « milieu de gamme » pour se renforcer à l'export et placer des équipements électroniques américains. Ainsi les frégates F310, construites par Izar pour la Norvège ont un système de combat américain, et la maîtrise d'oeuvre d'ensemble est sans doute partagée (General Dynamics, Lookeed Martin, Izar). L'achat d'HDW (Howaldtswerke-Deutsche Werft) par le fonds américain OEP en 2002, qui s'est soldée par un échec, pouvait s'expliquer par la volonté de l'industrie américaine d'accéder à la technologie des sous-marins classiques (absente aux Etats-Unis) en vue d'un gros contrat avec Taïwan ;

- la fédération des efforts de recherche et développement européens autour du programme LCS (Littoral Combat Ship) . Sans que le programme LCS représente le même niveau de menace que le programme américain pour les avions de combat, force est de constater que plusieurs industriels européens sont parties prenantes du projet (Italie, Suède, Espagne) et que pour la première fois les Etats-Unis comptent s'équiper de navires exportables (250 millions de dollars pièce).

b) Les prémisses de la consolidation européenne : les consolidations nationales

L'année 2004 a été marquée par des mouvements de consolidation des industries navales européennes.

La plus importante d'entre elles est la consolidation allemande. En effet, Thyssen Krupp a annoncé la fusion de sa division navale avec le chantier HDW détenu par le fonds de pension américain OEP, pour former une entreprise unique (75 % Thyssen Krupp, 25 % OEP). Le chiffre d'affaires de cette future entité qui a vu le jour le 7 octobre 2004, devrait s'élever à 2,2 millions d'euros pour un effectif de 9.300 employés sur 3 sites de construction. Le nouvel ensemble est principalement centré sur la construction navale militaire (85 %).

En Espagne , le gouvernement a annoncé préparer la séparation des activités militaires des activités civiles du chantier espagnol Izar au sein de deux entités distinctes . La partie militaire du groupe semble performante et rentable avec un bon carnet de commande (des frégates, des sous-marins et un porte-aéronefs). La partie civile, dans une situation critique (pas de commande en 2003), devrait être restructurée, et cédée pour la part restante.

En France , Thalès et DCN ont annoncé en 2004 travailler à la poursuite de leur rapprochement. La proximité entre DCN et Thalès est forte et ancienne et a été consacrée par la mise en place de la société Armaris en 2002. La poursuite du rapprochement entre les deux acteurs est conforme à la stratégie décrite dans le contrat d'entreprise. Elle vise à renforcer les deux acteurs dans le métier porteur de maître d'oeuvre du navire armé et de systèmes navals de défense et à permettre et favoriser la participation des acteurs industriels français, ainsi unifiés, à la consolidation européenne qui s'esquisse . La démarche est en cours d'instruction entre les deux acteurs industriels. Elle pourrait se concrétiser par la création d'une société commune regroupant les activités de « construction neuve » et de réalisation, le maintien en condition opérationnelle et les services faisant, à ce stade, l'objet d'un partenariat. L'objectif est de constituer ainsi un partenaire attractif pour la mise en oeuvre de scénarios de consolidation qui font d'ores et déjà l'objet de contacts entre acteurs industriels européens (avec le partenaire allemand notamment).

On assiste en Italie à des mouvements potentiellement importants dans le secteur de la défense marqué par la restructuration industrielle du groupe Finmeccanica vers la maîtrise d'oeuvre d'ensemble de projets de défense . Jusqu'ici Finmeccanica était plus une holding qu'un opérateur industriel.

La situation britannique est plus contrastée . Il est difficile de prédire la stratégie du principal constructeur naval militaire britannique Bae Systems qui a annoncé, dans un premier temps, vouloir vendre son activité navale, avant d'afficher son intention de fédérer l'industrie navale britannique. Par ailleurs, le ministère de la défense britannique a lancé une étude fin 2004 afin de rationaliser ses acquisitions dans le domaine naval, et de lisser la charge de travail induite par ses commandes. Cette initiative est de nature à constituer un catalyseur de l'industrie navale britannique .

En résumé, l'année 2004 aura été marquée en Europe par une « entrée en mouvement » des acteurs industriels.

Même si ces mouvements s'effectuent à ce stade chacun dans une sphère nationale, ils apparaissent clairement, et sont présentés par les acteurs concernés, comme une étape préliminaire à la consolidation européenne. On peut ainsi considérer que le coup d'envoi de la consolidation européenne a été donné et il est particulièrement important que l'industrie navale française, DCN en particulier, ne soit pas isolée au sein de ce mouvement qui s'esquisse.

Votre rapporteur considère qu'il ne lui appartient pas de décider quel partenariat industriel devrait être mis en oeuvre. Il note que les projets de coopération entre Thalès et DCN semblent avancés, et qu'un rapprochement à moyen terme avec les acteurs allemands du secteur paraît possible et rationnel d'un point de vue économique.

Il estime surtout que l'Etat français doit donner un signe politique fort, aux acteurs nationaux et européens, dans le contexte des mutations engagées dans le secteur de la construction navale militaire européenne.

Il appartient à l'Etat de mettre en place les outils permettant la mise en oeuvre des partenariats et des coopérations indispensables au développement de DCN. La France ne peut être absente du mouvement de consolidation de l'industrie navale de défense européenne, au motif que des règles juridiques devenues inappropriées interdiraient d'agir. L'objectif du présent projet de loi n'est pas de valider un projet industriel, mais de donner à DCN les moyens juridiques qui lui permettront de négocier et de conclure les accords capitalistiques qui lui seront nécessaires pour faire partie d'un groupe de taille européenne à moyen terme.

Tel est le sens du présent projet de loi qui est soumis au Sénat.

* 1 Soit 7 % du chiffre d'affaires, résultats hors systèmes de combat et équipements, qui comprennent notamment Atlas Elektronik et AMS (détenue à parité avec Finmeccanica).

* 2 Nc : Non communiqué.

* 3 Dont plus de 1 milliard d'euros pour Thalès Naval France.

* 4 Avec les filiales Kockums (chantier suédois) et Hellenic Shipyards (chantier grec).

* 5 ThyssenKrupp Werften est une division du groupe allemand ThyssenKrupp qui a réalisé un chiffre d'affaires total supérieur à 36 milliards d'euros en 2003.

* 6 Y compris construction navale civile, hors systèmes de combat.

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