IV. LE PROJET DE LOI : UN RAPPEL SOLENNEL DES VALEURS DE NOTRE ÉCOLE
Si la loi n'est pas suffisante pour régler tous les problèmes d'intégration qui se posent à l'école et à la société, elle n'en est pas moins un signal et un symbole nécessaires, la marque indispensable de notre attachement au principe de laïcité à l'école publique. Elle doit constituer en cela une première étape sur la voie d'une cohésion nationale renforcée et d'une solidarité partagée.
A. UNE RÉPONSE FERME MAIS ÉQUILIBRÉE, FIDÈLE À NOTRE TRADITION
1. Une situation juridique clarifiée et sécurisée
Le projet de loi ne prétend pas refonder la laïcité, mais renouveler les moyens de la faire vivre, en réaffirmant avec clarté et solennité une règle simple : les signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse sont proscrits au sein des établissements d'enseignement publics.
Cette disposition est nécessaire. Elle permet de sortir de l'ambiguïté et renverse le rapport de force en faveur des chefs d'établissement et des équipes éducatives, en leur donnant, en renfort du dialogue, l'assise de la loi. Elle permet de sortir de l'appréciation au cas par cas, qui a conduit au développement d'une sorte de droit local, en refondant, au niveau national, le pacte laïque sur des principes clairs et intangibles.
Comme nous l'ont indiqué les représentants des chefs d'établissement lors de leur audition, le cadre que leur apporte la loi contribuera à restaurer et réaffirmer leur autorité, en mettant du côté du bon droit les règlements intérieurs proscrivant le port de signes religieux dans l'enceinte scolaire. Ils n'auront plus à se justifier du bien-fondé de leurs décisions, renversant ainsi la charge de la preuve.
La loi constitue un recours pour les chefs d'établissement et les équipes éducatives, en leur donnant une issue -la possibilité et la légalité de la sanction- après une véritable médiation.
Comme l'a rappelé le Président de la République lors de son discours du 17 décembre 2003, ce choix est « respectueux de notre histoire, de nos usages, de nos valeurs » : « Jusqu'à récemment, en vertu d'usages raisonnables et spontanément respectés, il n'avait jamais fait de doute pour personne que les élèves, naturellement libres de vivre leur foi, ne devaient pas pour autant venir à l'école, au collège ou au lycée en habit de religion. Il ne s'agit pas d'inventer de nouvelles règles ni de déplacer les frontières de la laïcité. Il s'agit d'énoncer avec respect mais clairement et fermement une règle qui est dans nos usages et dans nos pratiques depuis très longtemps . »
Pour la commission Stasi, la laïcité « repose sur un équilibre de droits et d'exigences ». La sérénité de l'espace scolaire exige un environnement neutre , afin que l'élévation des consciences par le savoir et l'éducation se fasse dans le respect égal de tous les élèves, quels que soient leurs convictions, leur origine ou leur sexe.
Ainsi qu'il est précisé dans l'exposé des motifs du projet de loi, conformément aux recommandations de la commission Stasi et au discours du Président de la République :
- sont interdits « les signes et tenues dont le port conduit à se faire reconnaître immédiatement par son appartenance religieuse » ;
- sont mentionnés, à titre indicatif, « le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ».
En revanche, l'affirmation intime et discrète de la foi, par le port de signes d'appartenance religieuse assimilables à un bijou, tels qu'une médaille, une petite croix, un pendentif représentant l'étoile de David, la main de Fatima, un petit coran ou tout autre signe, reste naturellement possible.
Il ne s'agit pas, en effet, de fermer la porte de l'école aux croyances religieuses, mais d'affirmer que le communautarisme et le prosélytisme religieux, dont les moyens sont « toujours impurs » selon Paul Valéry, n'ont pas leur place dans l'enceinte scolaire. La laïcité n'est pas le laïcisme, ce n'est pas un combat contre les religions. La laïcité à l'école exige que l'expression de la foi s'accompagne de pudeur, de retenue.
2. Un texte conforme à la Constitution et respectant nos engagements internationaux
Le choix du terme « ostensible » -dans sa forme adverbiale- plutôt que de l'adjectif « visible », qu'avait retenu la mission d'information de l'Assemblée nationale, permet de lever le doute sur la question de la conformité du projet de loi à notre Constitution et à nos engagements internationaux.
L'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Par ailleurs, la liberté de conscience, consacrée par l'article 1 er de la Constitution, est considérée, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République 26 ( * ) .
Pour reprendre la formule de Jean Zay, alors ministre de l'éducation, dans la circulaire du 1 er juillet 1936 portant interdiction du port des insignes politiques dans les établissements scolaires, les signes « ostensibles » visent ceux dont « le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ». Ce sont les signes qui s'affichent comme des emblèmes, et, dès lors, suscitent soit l'adhésion soit la réprobation.
Par ailleurs, l'usage du verbe « manifester », de même que le recours à la forme adverbiale « ostensiblement », traduisent une intention de l'élève , une volonté d'être remarqué et distingué pour ses croyances religieuses.
Proscrire tout signe visible serait faire un pas de trop, en pénétrant dans la sphère de l'intime sur laquelle l'Etat n'a aucun droit. C'est pourquoi les signes discrets, qui ne s'inscrivent pas dans l'espace scolaire comme la revendication d'une appartenance religieuse, sont autorisés. Les interdire serait prendre le risque de l'incompatibilité de la loi avec la Constitution, mais aussi avec nos engagements internationaux.
En effet, l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 garantit à toute personne le « droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement de rites. »
Néanmoins, ce même article prévoit que des restrictions peuvent être apportées à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, dès lors qu'elles sont prévues par la loi et qu'elles constituent « des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'homme admet, dans sa jurisprudence, que des limites puissent être apportées à l'exercice d'une liberté fondamentale dès lors qu'elles répondent aux trois conditions suivantes :
- être prévues par la loi,
- poursuivre un but légitime,
- être nécessaires et proportionnées au but poursuivi.
Dans l'arrêt du 15 février 2001, Mme Dahlab c/Suisse , la Cour a validé l'exclusion d'une enseignante d'une école primaire publique du canton de Genève qui avait refusé de retirer son foulard. La Cour a reconnu explicitement le caractère prosélyte du port de tout « attribut vestimentaire distinctif », qui plus est du voile, estimant que son port résulte d'une prescription religieuse. Elle a considéré celui-ci comme étant « difficilement conciliable avec le message de tolérance, de respect d'autrui, d'égalité et de non-discrimination que, dans une démocratie, tout enseignant doit transmettre à ses élèves », a fortiori quand il s'agit de très jeunes enfants (de 4 à 8 ans), plus facilement influençables.
De surcroît, la Cour adopte une position prudente et reconnaît les traditions propres à chaque Etat, ce dernier devant être « l'organisateur neutre et impartial de l'exercice des diverses religions, cultes et croyances » qui se manifestent au sein d'une société. Elle laisse ainsi à chacun une « marge d'appréciation », « notamment pour ce qui est de l'établissement des délicats rapports entre les Eglises et l'Etat » 27 ( * ) .
De plus, dans des jugements concernant la Turquie, la Cour, à plusieurs reprises, a fait expressément référence au « principe de laïcité ». Dans l'arrêt du 13 février 2003, Refah Partisi et autres c/Turquie , concernant la dissolution du Refah, parti islamique, elle a estimé que ce principe « était assurément l'un des principes fondateurs de l'Etat, qui cadre avec la prééminence du droit et le respect des droits de l'homme et de la démocratie. Une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion et ne bénéficiera pas de la protection qu'assure l'article 9 de la Convention ».
Comme le relève le rapport de la commission Stasi, la jurisprudence de la Cour « montre que la liberté religieuse trouve ainsi des limites dans la confrontation avec les impératifs de la laïcité ».
Enfin, la Cour prend en compte l'environnement global dans lequel la liberté religieuse peut trouver à s'exprimer. Dans l'arrêt Karadum c/Turquie du 3 mai 1993, elle a admis l'interdiction du port de signes religieux dans les universités publiques turques, après avoir relevé l'existence d'un enseignement privé parallèle à l'enseignement public.
* 26 Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977
* 27 Arrêt du 27 juin 2000, Cha'are Shalom ve Tsedek c/France