II. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE : PARFAIRE LE DISPOSITIF VOTÉ PAR LE SÉNAT EN Y APPORTANT QUELQUES INNOVATIONS OPPORTUNES
On ne peut que se féliciter que l'Assemblée nationale ait retenu la quasi-totalité des modifications résultant des travaux du Sénat. Elle a en outre proposé d'importantes et opportunes innovations, afin d'améliorer les conditions d'exercice de plusieurs professions réglementées.
A. DE NOMBREUX POINTS D'ACCORD ENTRE LES DEUX ASSEMBLÉES
L'Assemblée nationale a approuvé l'économie du texte qui lui a été transmis tout en y apportant quelques opportunes modifications.
1. Plusieurs dispositions adoptées sans modification
Plusieurs volets du présent texte ont été adoptés par les députés dans la rédaction issue du Sénat . Il s'agit de la modernisation du régime disciplinaire des greffiers des tribunaux de commerce (titre IV), de l'amélioration du régime des experts en ventes aux enchères publiques (titre V bis ) et de l'assouplissement des conditions d'exercice des huissiers de justice (titre VI).
2. De nombreuses dispositions quasi-conformes
a) L'ouverture de la profession d'avocat aux ressortissants communautaires : le texte du Sénat modifié à la marge
Outre quelques améliorations rédactionnelles, les députés ont approuvé le texte issu du Sénat auquel ils n'ont apporté qu'une utile modification sur le fond. A l'initiative de Mme Brigitte Barèges, rapporteur de la commission des Lois, et avec l'avis favorable du gouvernement, l'Assemblée nationale a assoupli l'interdiction posée aux avocats communautaires d'exercer des activités juridictionnelles en France afin de leur permettre de poursuivre l'exercice de fonctions arbitrales ( article 10 ).
b) Des modifications d'ordre rédactionnel ou justifiées par des coordinations au dispositif relatif aux experts judiciaires
A l'initiative du rapporteur et avec l'avis favorable du gouvernement, les députés ont modifié les nouvelles règles applicables aux experts judiciaires pour procéder à des coordinations ou à des précisions rédactionnelles.
c) La clarification de la déontologie des conseils en propriété industrielle adoptée quasiment dans les mêmes termes
A l'exception d'un amendement de forme, l'Assemblée nationale a adopté le texte du Sénat relatif aux règles déontologiques applicables aux conseils en propriété industrielle.
3. D'utiles ajouts et clarifications pour parfaire techniquement le dispositif voté par le Sénat
a) Le régime disciplinaire des avocats : le texte du Sénat utilement complété
Sur la proposition du rapporteur et avec l'avis favorable du gouvernement, les députés ont adopté sans modification l'ensemble des nouvelles règles de discipline applicables aux avocats, à l'exception des dispositions consacrées à la suspension provisoire des fonctions d'un avocat faisant l'objet de poursuites pénales ou disciplinaires ( article 31 ). L'Assemblée nationale a opportunément précisé le dispositif du Sénat sur deux points. Elle a ajouté un motif relatif à la protection du public susceptible de justifier la mise en oeuvre d'une mesure de suspension provisoire. Elle a ensuite étendu aux formations disciplinaires du conseil de l'ordre de Paris l'incompatibilité introduite par le Sénat en vue d'assurer une stricte séparation entre l'autorité chargée de prononcer la suspension provisoire et celle chargée du jugement des affaires disciplinaires.
b) D'opportunes modifications à la réforme de la formation des avocats en vue d'assurer sa mise en oeuvre dans les meilleures conditions
L'Assemblée nationale a approuvé l'essentiel des amendements adoptés par le Sénat sur le volet consacré à la formation des avocats. A l'initiative du rapporteur et avec l'avis favorable du gouvernement, elle a toutefois apporté quelques modifications au dispositif pour garantir sa mise en oeuvre dans les meilleures conditions.
Elle a donc supprimé le tutorat 10 ( * ) ( article 12 ). Outre les réserves formulées par les professionnels eux-mêmes quant à l'efficacité de ce dispositif, le rapporteur a mis en avant qu'il comportait un risque de subordination du jeune avocat à son tuteur. Au cours des débats à l'Assemblée nationale le 6 janvier 2004, le garde des Sceaux a exprimé un point de vue convergent, craignant que ce dispositif ne cantonne le professionnel dans des tâches d'exécution.
En première lecture, votre commission s'était interrogée sur le bien-fondé de cette innovation, qu'elle n'avait pas cru devoir remettre en cause compte tenu du fait qu'elle s'inspirait d'une ancienne proposition du Conseil national des barreaux. Partageant l'ensemble des réserves exprimées, votre rapporteur considère la suppression du tutorat opportune.
Les députés ont également précisé les modalités de la formation continue obligatoire des avocats ( article 18 bis ) en définissant les attributions respectives du pouvoir réglementaire et du Conseil national des barreaux en la matière. Au cours des débats au Sénat le 2 avril 2003, le garde des Sceaux avait souhaité que le principe général de la formation obligatoire introduit par le Sénat soit complété au cours de la navette. L'initiative des députés répond à cette préoccupation. Aussi mérite-t-elle d'être approuvée.
c) Le régime disciplinaire des notaires : le texte du Sénat utilement précisé
L'Assemblée nationale a adopté sans modification les dispositions introduites par le Sénat réformant le régime disciplinaire des notaires ( articles 38 bis et 38 ter ). Sur proposition du rapporteur et avec l'avis favorable du gouvernement, elle a complété le texte du Sénat par un ajout technique pour prendre en compte la spécificité de la chambre interdépartementale des notaires de Paris ( article 38 quinquies ).
En marge des règles disciplinaires, elle a introduit un article additionnel ( article 38 quater ) pour renforcer les garanties de la responsabilité civile des notaires. Ainsi, une obligation pour l'ensemble des membres de la profession d'adhérer à un contrat national souscrit par le Conseil supérieur du notariat serait prévue. Cet ajout, qui permettra de renforcer la protection des clients en leur assurant la meilleure couverture possible contre les défaillances des professionnels, paraît donc opportun.
B. LES INNOVATIONS PROPOSÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
A l'instar du Sénat, l'Assemblée nationale a proposé d'importantes innovations pour moderniser le statut des professions réglementées.
1. Une première ébauche de réglementation en matière d'affiliation des avocats aux réseaux pluridisciplinaires : une déontologie renforcée
A l'initiative de Mme Brigitte Barèges, rapporteur, et avec l'avis favorable du gouvernement, l'Assemblée nationale a introduit un article additionnel ( article 32 ter ) pour clarifier les règles d'affiliation des avocats aux réseaux pluridisciplinaires. Ainsi, les avocats seraient soumis à l'obligation de mentionner leur appartenance au réseau auquel ils sont affiliés .
Actuellement, hormis une disposition de nature transitoire ayant épuisé ses effets 11 ( * ) , aucune règle ne figure dans la loi du 31 décembre 1971. Seul le règlement intérieur harmonisé du Conseil national des barreaux (article 16) 12 ( * ) énonce des recommandations en la matière.
Le développement des réseaux constitue une chance pour l'avenir de la profession d'avocat. Plutôt que d'interdire toute affiliation à ces structures, il convient davantage d'éviter des dérives et de préserver la déontologie des avocats en encadrant les pratiques en la matière. L'obligation de transparence prévue par les députés apporte une réponse équilibrée aux problèmes déontologiques soulevés par la participation aux réseaux pluridisciplinaires.
2. Une extension de la portée du texte à d'autres professions réglementées
L'Assemblée nationale a adopté plusieurs articles additionnels pour étendre la portée du texte à d'autres professions réglementées.
Sur proposition du rapporteur et avec l'avis favorable du gouvernement, elle a proposé de faciliter l'installation de certains officiers publics et ministériels (notaire, avoué près une cour d'appel, greffier de tribunal de commerce, huissier de justice ou commissaire-priseur judiciaire) ( article 51 bis A ).
A l'initiative du rapporteur et de M. Philippe Houillon et avec l'avis favorable du gouvernement, elle a complété la réforme du régime disciplinaire des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation et au redressement des entreprises mise en place depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2003-7 du 3 janvier 2003 modifiant le livre VIII du code de commerce. Ainsi, une stricte séparation serait prévue entre l'autorité compétente pour ordonner la suspension provisoire et celle chargée de prononcer une sanction disciplinaire ( article 51 ter ).
Sur proposition du rapporteur et de M. Emile Blessig, les députés ont modifié les nouvelles règles d'accès au livre foncier prévues par la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002 appelées à entrer en vigueur à compter du 1 er janvier 2006. Soucieux de faciliter l'accomplissement des missions des géomètres-experts , ils ont souhaité élargir à ces professionnels l'accès libre aux données du livre foncier, à condition que la consultation s'effectue dans le cadre de leur mandat légal, à l'instar de ce qui prévaut pour d'autres professions ( article 51 quinquies ).
Afin de moderniser les règles d'exercice en groupe des professions libérales , l'Assemblée nationale, sur proposition du rapporteur et de M. Philippe Houillon, a proposé des retouches au régime récemment créé 13 ( * ) des sociétés de participations financières de professions libérales . Ces sociétés pourraient désormais exercer des activités accessoires sous certaines conditions et détenir des participations dans des groupements étrangers ayant pour objet l'exercice de la même profession ( article 51 sexies ).
A l'initiative de M. Pierre Lellouche et avec l'avis favorable tant de la commission des Lois que du gouvernement, les députés ont comblé une lacune de la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Le législateur ayant omis de limiter dans le temps la faculté pour les huissiers de justice et les notaires ayant subi un « préjudice anormal et spécial » lié à l'entrée en vigueur de la réforme de présenter leur demande d'indemnisation 14 ( * ) , les députés ont, à juste titre, jugé opportun de fixer un délai limite au 30 juin 2005 ( article 51 octies ).
3. La mise en oeuvre d'une directive communautaire sur le blanchiment des capitaux
A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel destiné à transposer la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001 modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ( article 51 quater) .
En 1990, avant même l'adoption d'une directive communautaire sur cette question, la France a mis en place un système de lutte contre le blanchiment imposant à certaines personnes, notamment aux organismes financiers, de déclarer auprès d'un service spécialisé du ministère de l'Economie dénommé TRACFIN les sommes ou opérations portant sur des sommes qui pourraient provenir d'activités criminelles.
Progressivement, la liste des personnes soumises à l'obligation de déclaration a été étendue pour concerner notamment les assureurs et réassureurs, les dirigeants de casinos, les professionnels de l'immobilier...
La directive communautaire de 2001 impose aux Etats membres de soumettre aux obligations de vigilance en matière de blanchiment certaines professions qui ne sont actuellement pas concernées par ces obligations : experts-comptables, commissaires aux comptes, professions juridiques indépendantes, en particulier les avocats. Cette directive devait être transposée avant le 15 juin 2003.
La soumission des avocats à l'obligation de déclaration de soupçon soulève naturellement la question de la compatibilité d'une telle déclaration avec le secret professionnel. Aussi, la directive permet-elle aux Etats de prévoir des dispositions spécifiques pour concilier la lutte contre le blanchiment et la préservation du secret professionnel.
Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale tend donc à soumettre les avocats à l'obligation de déclaration sous les restrictions suivantes :
- seule la rédaction d'actes juridiques pourrait constituer l'occasion d'une déclaration de soupçon, uniquement dans des matières limitativement énumérées, notamment l'achat et la vente de biens ou la gestion de fonds ;
- la déclaration de soupçon ne s'appliquerait pas aux informations obtenues dans le cadre de l'activité judiciaire de l'avocat ;
- les informations obtenues dans le cadre d'une consultation juridique seraient exclues de la déclaration de soupçon sauf si le professionnel concerné avait la volonté d'aider à l'opération de blanchiment ;
- les déclarations seraient transmises au bâtonnier de l'ordre, à charge pour lui de les transmettre à TRACFIN, sauf s'il estimait qu'il n'existait pas de soupçon de blanchiment ;
- enfin, contrairement aux autres professionnels, les avocats et les avoués ne seraient pas tenus, sous peine de sanctions pénales, de ne pas révéler à leurs clients qu'ils ont procédé à une déclaration de soupçon.
C. LA SUPPRESSION D'UNE DISPOSITION INTRODUITE PAR LE SÉNAT CERTES LÉGITIME MAIS DIFFICILE À METTRE EN oeUVRE
Les députés suivant la proposition de leur commission des Lois ont supprimé l'article 51 bis du projet de loi tendant à généraliser à l'ensemble des jugements de première instance le principe de l'exécution immédiate.
Tout en comprenant les motivations de l'auteur de l'amendement, les députés ont souligné les inconvénients soulevés par ce dispositif. Outre le mécontentement des organisations professionnelles représentant les avocats, ils ont en particulier estimé que cette réforme était prématurée compte tenu des bouleversements de l'organisation judiciaire engendrés.
Votre commission est convaincue de la nécessité de rechercher des moyens adaptés pour lutter efficacement contre les pourvois dilatoires et alléger les flux contentieux des cours d'appel. Il n'en demeure pas moins qu'il convient avant tout de proposer une réforme acceptée par tous les acteurs participant au fonctionnement de la justice (magistrats, avocats, justiciables).
Or, tel ne semble pas être le cas aujourd'hui et votre commission vous propose donc de vous rallier à la position des députés.
Toutefois, elle ne souhaite pas éluder le débat sur la nécessaire rationalisation de la procédure civile . Bien au contraire, la position retenue dans le cadre du présent projet de loi constitue une solution de compromis dans l'attente de pistes de réforme en la matière émanant du ministère de la justice. A défaut, l'avenir de l'institution judiciaire pourrait être hypothéqué et sa crédibilité fragilisée.
*
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi sans modification.
* 10 Pour mémoire, le projet de loi dans sa rédaction issue du Sénat prévoyait, en contrepartie de la suppression du stage, de confier à des tuteurs pendant dix-huit mois l'encadrement des avocats titulaires du certificat d'aptitude à la profession d'avocat et exerçant à titre individuel.
* 11 Article 67 de la loi du 31 décembre 1971 précitée.
* 12 Partiellement censuré par la Cour de cassation et par le Conseil d'Etat (voir commentaire de l'article 32 quater).
* 13 A l'initiative de notre collègue M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des Finances (article 32 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier).
* 14 Contrairement aux règles prévues par la loi du 10 juillet 2000 pour l'indemnisation des commissaires-priseurs et de leurs salariés licenciés.