INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Notre Haute assemblée est saisie d'un projet de loi portant autorisation de ratification d'un accord franco-ukrainien relatif à la coopération policière, et d'un échange de lettres des 7 mars et 2 août 2002 entre les ministres des affaires étrangères des deux pays. Cet accord a été signé à Kiev (Ukraine), lors de la visite d'État du Président de la République, M. Jacques Chirac. Il met ainsi en application l'une des dispositions du traité d'amitié franco-ukrainien du 16 juin 1992.
Cet accord a aussi pour objectif de coopérer plus étroitement avec un pays touché par une hausse très forte de la criminalité du fait des bouleversements provoqués par la dislocation de l'Union soviétique, et qui partagera dans les tous prochains mois une frontière commune avec l'Union européenne en raison de son élargissement à la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie. De tels accords de coopération policière ont d'ailleurs déjà été conclus avec d'autres États d'Europe centrale et orientale, tels que la Pologne en 1996, la Hongrie et la Roumanie en 1997, et la Slovaquie en 1998.
Votre rapporteur dressera un bref panorama de la situation intérieure de l'Ukraine, de ses forces de sécurité intérieure et de nos relations bilatérales avant de présenter les principales dispositions du présent accord.
I. LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE L'UKRAINE ET LES RELATIONS FRANCO-UKRAINIENNES
A. LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE L'UKRAINE
• La situation politique
Le régime politique ukrainien est marqué par la forte prépondérance de l'administration présidentielle. Le Président Koutchma exerce un pouvoir autoritaire, qui n'empêche pas une vie parlementaire dynamique même si le Parlement ne constitue pas un véritable contrepoids. Par ailleurs, il apparaît que la vie politique reste dominée par des groupes politico-financiers soutenant directement des partis politiques. Cette collusion s'est développée dans le cadre des privatisations du début des années 1990 où les actifs publics ont été cédés à bas prix à des intérêts économiques proches du pouvoir.
L'élection présidentielle d'octobre 2004 est aujourd'hui la principale échéance politique. Il n'est pas exclu qu'elle conduise à une alternance, l'exemple de la Géorgie étant présent dans les esprits. Le Président Koutchma, élu en 1994 et réélu en 1999, ne devrait pas se représenter en raison de la limitation à deux du nombre de mandats par la Constitution. La candidature du Premier ministre Yanoukovytch apparaît comme probable, mais une modification de la Constitution n'est pas non plus à exclure.
L'opposition continue d'être divisée, les communistes ne se ralliant pas aux forces « nationales-démocrates ». Celles-ci pourraient être rassemblées par l'ancien Premier ministre, M. Iouchtchenko, qui jouit d'une certaine popularité.
Cependant, les pressions exercées sur l'opposition et les conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections législatives de mars 2002, font craindre que l'administration présidentielle ne respecte pas pleinement le jeu démocratique.
• La situation économique et sociale
L'Ukraine a été l'un des pays de l'ex-URSS qui a été le plus frappé par la désorganisation de l'économie communiste. Son PIB a chuté de 65 % entre 1990 et 1999. Depuis cette date toutefois, le pays a renoué avec la croissance économique, sans permettre de retrouver les niveaux antérieurs. En 2003, le PIB a progressé de 7 %. Les secteurs les plus dynamiques sont les industries manufacturières et l'agriculture, base de l'économie ukrainienne. La demande intérieure joue également un rôle important.
En outre, grâce à la dévaluation de la monnaie en 1998, le solde extérieur est devenu positif. En 2002, l'excédent s'élevait à 980 millions de dollars. Les grands équilibres économiques sont également assurés par une politique monétaire et budgétaire prudente. L'inflation est maîtrisée, alors qu'elle s'élevait encore à plus de 25 % en 2000. L'économie est remonétisée après une période de prédominance du troc dans le courant des années 1990. Enfin, l'État a la capacité de faire face à sa dette extérieure, en raison notamment du rééchelonnement décidé par le Club de Paris le 13 juin 2001.
Ces résultats économiques encourageants ne permettent cependant pas de combler l'immense besoin de rattrapage de la population. Selon les estimations officielles, plus du quart de la population vivrait en dessous du seuil de pauvreté. Le revenu par habitant est évalué à 935 $ et la répartition des richesses est très inégale. L'Ukraine souffre également de perspectives démographiques peu favorables, le déficit des naissances se conjuguant à l'émigration et à la surmortalité masculine.
• Les relations extérieures de l'Ukraine
L'Ukraine est un pays charnière entre la Russie et l'Occident. Depuis l'indépendance ses dirigeants ont fait de l'intégration à l'Union européenne et à l'OTAN, ainsi que de leurs relations avec les Etats-Unis, leurs priorités, tout en préservant des liens nécessairement étroits avec leur partenaire principal, la Russie.
Vis-à-vis de la Russie, l'Ukraine est parvenue au cours des années 1990 à conforter son indépendance et à régler pacifiquement plusieurs contentieux. On peut citer la signature d'un traité d'amitié et de coopération et la conclusion d'un accord sur le partage de la flotte de la mer Noire et sur le statut de la ville de Sébastopol. L'Ukraine a également renoncé, peu après son indépendance, à son armement nucléaire. Elle reste cependant fortement dépendante de Moscou pour son approvisionnement énergétique et son commerce extérieur (28 %), même si progressivement celui-ci se développe avec l'Union européenne (33 %). Par ailleurs, le Président Poutine cherche à renforcer l'influence russe en Ukraine par des prises de participations dans les grandes entreprises, à préserver son contrôle sur les voies d'évacuation des hydrocarbures à travers l'Ukraine. Enfin, récemment la Russie a relancé le contentieux sur la mer Noire par ses prétentions sur le détroit de Kertch.
L'Ukraine reste une priorité américaine, même si les Etats-Unis se sont montrés plus attentifs au respect des normes démocratiques. Ils disposent d'un budget annuel de coopération de 135 millions de dollars. L'Ukraine a de ce fait décidé d'envoyer un contingent de 1 600 hommes en Irak.
Avec l'Union européenne, les relations sont régies par l'accord de partenariat et de coopération, entré en vigueur le 1er mars 1998. Cet accord a instauré un dialogue politique régulier, a permis l'octroi de la clause de la nation la plus favorisée, a prévu une clause de rendez-vous pour la création d'une zone de libre-échange et organise la coopération. L'Union européenne reste le premier bailleur international de l'Ukraine avec plus d'un milliard d'euros depuis 1991. L'Ukraine souhaite progresser vers la position d'État associé puis de candidat, mais ne reçoit pas un accueil favorable par la partie européenne. Celle-ci favorise plutôt une amélioration des relations de voisinage avec les nouveaux entrants.
En matière de sécurité et de justice, la Commission européenne a récemment présenté à Kiev le programme BUMAD (Biélorussie, Ukraine et Moldavie) visant à réduire le trafic et la consommation de drogue en provenance d'Afghanistan. Ce programme sur deux ans est doté d'une enveloppe totale de 5 millions d'euros financés à hauteur de 90 % par l'Union européenne et de 10 % par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui en assure la mise en oeuvre. La France y participe à hauteur de 765 000 euros, soit 17 % de la part de l'UE. Ce programme complète des interventions similaires en Asie centrale (programme CDAP - Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan) et dans le Caucase (programme SCAD - Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie).
Pour l'Ukraine, ce programme s'articule autour de quatre composantes : assistance juridique (renforcement législatif, harmonisation régionale), contrôle des frontières (surveillance des ports et des frontières terrestres), renseignement et information (système harmonisé d'échange d'informations et création d'un observatoire régional), prévention en vue de réduire la demande (formation de policiers et soutien aux ONG).
Par ailleurs, dans le cadre du programme TACIS, un plan d'action en matière de justice et d'affaires intérieures (JAI) a été adopté en décembre 2001. En 2003, des projets d'assistance à la gestion des frontières (gestion des flux migratoires et lutte contre les trafics d'êtres humains) et d'aide judiciaire et législative. 60 millions d'euros sont programmés sur la période 2004-2006 pour poursuivre ces projets.
• Les forces de sécurité intérieure
Les forces de sécurité intérieure ont en Ukraine une organisation assez différente de celle de la France.
Le ministère de l'intérieur réunit 324 000 fonctionnaires, dont 272 000 pour la Milice, qui a des missions de sécurité publique (lutte anti-mafia, criminalité organisée, police judiciaire).
Les « troupes de l'intérieur » sont rattachées au ministère du même nom et chargées du maintien de l'ordre, de la garde des bâtiments publics et des points sensibles. Ce service représenterait 30 000 personnes. C'est avec lui que la mission militaire française a développé des programmes de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure.
Le SBU, comparable par certains aspects à la DST, est un service responsable de la lutte contre le terrorisme, contre la corruption et le crime organisé et plus généralement du recueil du renseignement.
Le Comité d'État de contrôle aux frontières rassemble toutes les unités ayant cette activité. C'est une création récente (2003). L'Ukraine est notamment confrontée à une immigration asiatique, à destination de l'Union européenne, mais qui pourrait rester sur place si elle était repoussée aux frontières de l'Union. Elle vient essentiellement de Chine (37 %), d'Inde (21 %), d'Afghanistan et du Vietnam.
Le Comité d'État des minorités ethniques et des migrations a la responsabilité de la gestion des centres de rétention et de la gestion des immigrés clandestins.
Les Douanes sont un ministère indépendant. Elles disposent de 18 000 fonctionnaires.
Le Parquet, au-delà de son rôle judiciaire, dispose de groupes d'enquêteurs chargés notamment de mener à bien les enquêtes à l'encontre des membres des services de sécurité. En 2002, 76 000 plaintes ont été déposées contre les agents de sécurité de l'État, 12 000 infractions auraient été découvertes contre les membres de la Milice, le plus souvent pour des motifs de corruption. 5 500 dossiers auraient abouti à des sanctions disciplinaires, dont 236 sanctions pénales.
B. LES RELATIONS FRANCO-UKRAINIENNES
• Le cadre juridique des relations franco-ukrainiennes, le traité du 16 juin 1992
Peu après la reconnaissance de l'Ukraine comme État indépendant et successeur de l'Union soviétique, la France et l'Ukraine ont signé, le 16 juin 1992, un traité d'entente et de coopération. Il est en vigueur depuis le 19 janvier 1997.
Ce traité d'entente et de coopération fixe le cadre général de la coopération franco-ukrainienne. Par l'article 1er, la France et l'Ukraine « s'engagent à développer entre elles, dans tous les domaines, des relations de coopération fondées sur la compréhension et la confiance réciproques [...]. Les deux Parties concluent, en tant que de besoin, d'autres accords et arrangements pour mettre en application les dispositions du présent Traité » .
Le traité prévoit également des consultations régulières aux niveaux appropriés et notamment, deux réunions par an des ministres des affaires étrangères (article 3).
S'engageant à développer leurs relations aussi bien dans un cadre bilatéral que multilatéral, le traité énumère l'ensemble des secteurs futurs de coopération et les thèmes d'intérêt commun, pouvant donner lieu à des accords ultérieurs.
Jusqu'à présent un seul accord avait été conclu : l'accord sur la coopération et les échanges dans le domaine du sport et de la jeunesse, signé à Paris le 16 juin 1992 et entré en vigueur le 3 mai 1994.
L'accord de coopération policière sera le second accord. Il découle de l'article 20 du traité de 1992 qui dispose : « La République française et l'Ukraine favorisent la coopération entre institutions judiciaires des États, en particulier en matière d'entraide judiciaire civile. Les Parties organisent une coopération entre organismes compétents chargés de la sécurité publique, notamment pour la lutte contre le crime organisé, le trafic illicite de stupéfiants et la contrebande, y compris le trafic illégal d'objets d'art. Elles s'efforcent de mettre en oeuvre une coopération appropriée dans le domaine de la lutte contre le terrorisme international ».
• Une présence française encore faible
Au niveau politique, les relations franco-ukrainiennes ne répondent pas aux attentes formulées après l'indépendance. Si les personnalités politiques ukrainiennes font de nombreux déplacements à Paris, l'inverse n'est pas vrai. Le Président Koutchma s'est rendu à Paris en 1997, 1999 et 2000, le Président Chirac à Kiev en 1998. En 2003, le Premier ministre ukrainien, le ministre des finances, le ministre de l'énergie, le ministre de l'agriculture et le ministre des affaires étrangères se sont rendus en France.
Par ailleurs, le budget de coopération français s'élevait en 2003 à 1,9 millions d'euros, soit un niveau inférieur à celui des autres pays occidentaux : Etats-Unis : 135, Canada : 10, Royaume-Uni : 9,2, Allemagne : 6,5, Suède : 6,2, Pays-Bas : 2. Notre réseau comprend l'Institut français d'Ukraine, cinq centres français de documentation et de formation (Kharkov, Dnipropetrovsk, Donetsk, Lviv, Odessa), dix alliances françaises, ainsi que l'école française de Kiev. S'y ajoutent 4,3 millions de dollars d'aide publique au développement (chiffres 2001).
Enfin, les échanges commerciaux entre la France et l'Ukraine sont en progression. La France se place au 8e rang avec 2,2 % de parts de marché. Les investissements français représentent 0,5 % du stock d'investissements directs étrangers, se plaçant au 20e rang.