III. LES GRANDES LIGNES DU PROJET DE LOI ORGANIQUE ET DU PROJET DE LOI LE COMPLÉTANT

Le présent projet de loi organique constitue la première application à une collectivité d'outre-mer des principes novateurs introduits par la révision constitutionnelle pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l'« autonomie ».

Par ailleurs, il s'inscrit dans la continuité des évolutions institutionnelles de la Polynésie française depuis 1984 en confortant les principaux acquis des statuts précédents : transfert accru des compétences et renforcement des institutions polynésiennes dans un cadre politique équilibré et dans le respect de l'appartenance à la République.

Enfin, le projet de loi statutaire est le premier à réunir l'ensemble des dispositions à caractère organique concernant l'organisation de la Polynésie française aujourd'hui dispersées dans plusieurs textes parfois anciens comme la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 relative à la composition et à la formation de l'assemblée territoriale de la Polynésie française. Le projet de loi ordinaire complète certaines des dispositions du texte organique relatives au haut-commissaire, à la fonction publique de l'Etat, aux communes, à la justice administrative. Il pose également le principe de l'institution d'un tribunal spécialement compétent pour les affaires foncières.

Le deux projets de loi ont été soumis à l' avis de l'assemblée de la Polynésie française et à celui du gouvernement de la Polynésie française le 20 juin dernier. L'avis des institutions polynésiennes ainsi que les contributions transmises par certains des groupes politiques représentés à l'assemblée de la Polynésie française ont utilement éclairé votre rapporteur sur les attentes et les souhaits de la collectivité dans les domaines couverts par le projet de statut.

A. LA MISE EN oeUVRE DES NOUVEAUX PRINCIPES CONSTITUTIFS DE L'AUTONOMIE D'UNE COLLECTIVITÉ D'OUTRE-MER

Les quatre apports principaux du projet de loi organique sont la traduction des nouvelles dispositions de l'article 74 de la Constitution que la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a réservées aux collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie.

1. Le contrôle du Conseil d'Etat sur les « lois du pays »

La faculté reconnue aux assemblées délibérantes des territoires d'outre-mer d'intervenir dans un champ de compétence qui, en métropole, relève du domaine de la loi a constitué, avec le principe de spécialité législative, l'un des traits spécifiques de cette catégorie de collectivité d'outre-mer.

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs estimé dans une décision du 2 juillet 1965 5 ( * ) que la répartition des compétences entre la loi et le règlement dans les territoires d'outre-mer pouvait différer de celle prévue en métropole.

Néanmoins, si les délibérations des assemblées délibérantes des territoires d'outre-mer -désormais collectivités d'outre-mer- sont législatives ratione materiae , elles demeurent formellement des actes administratifs et relèvent à ce titre du contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

Ainsi l'assemblée de la Polynésie française intervient de longue date dans le domaine de la loi et son champ d'initiative en la matière n'a cessé de s'accroître au fil des compétences transférées.

Ce n'est donc pas sur ce point que le projet de loi organique innove mais sur la désignation de ces actes et leur procédure d'adoption ainsi surtout que sur leur contrôle juridictionnel.

Les délibérations prises dans le domaine législatif sont dénommées « lois du pays ». Cette désignation n'est toutefois explicitement mentionnée qu'à l'article 139, les autres articles visant les lois du pays se bornant à renvoyer aux actes visés à l'article 139. Le projet de loi gouvernemental a ainsi délibérément manifesté une certaine prudence dans l'emploi d'une formule qui tend à les assimiler aux « lois du pays » de la Nouvelle-Calédonie alors même qu'elles n'en ont pas les caractéristiques.

Il n'en reste pas moins que la qualification -même sous la forme d'une seule occurrence- de « lois du pays » répond à une profonde attente des autorités polynésiennes et autorisera celle-ci à dénommer ainsi l'ensemble des actes pris en matière législative.

Les « lois du pays » en Nouvelle-Calédonie

Les lois du pays peuvent intervenir dans une douzaine de matières (principes fondamentaux du droit du travail, règles concernant le nickel...). Elles sont adoptées par le Congrès après avis du Conseil d'Etat. Elles peuvent donner lieu, dans un délai de quinze jours, à une deuxième délibération. Celle-ci conditionne une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel appelé à se prononcer dans un délai de trois mois. Au terme de cette procédure, elles sont promulguées par le Haut-commissaire. Elles acquièrent alors valeur législative , ne pouvant être contestées devant les tribunaux administratifs.

A ce jour, vingt-neuf lois du pays ont été adoptées, le Conseil constitutionnel ayant été saisi une fois, en janvier 2000, à propos de la loi du pays instituant une taxe générale sur les services.

Par ailleurs, ces actes seront soumis à une procédure législative plus rigoureuse, voire plus solennelle (désignation d'un rapporteur par l'assemblée de la Polynésie française dans son ensemble, adoption au scrutin public à la majorité des membres de cette assemblée, promulgation par le président de la Polynésie française).

Surtout ces actes sont soumis à un contrôle juridictionnel spécifique .

En effet, le caractère hybride de ces actes a motivé leur soumission à un contrôle juridictionnel spécifique exercé par le Conseil d'Etat comme le prévoit l'article 74, huitième alinéa, de la Constitution. Le contrôle par le Conseil constitutionnel n'a pas été retenu contrairement à ce qu'il en est pour les lois du pays en Nouvelle-Calédonie. Celles-ci sont en effet généralement considérées comme ayant valeur législative, ce qui peut être le cas des lois du pays de la Polynésie française.

Les articles 176 à 180 définissent les modalités de ce contrôle juridictionnel spécifique. Elles présentent plusieurs traits originaux.

Tout d'abord, seul le Conseil d'Etat peut connaître de ces actes. Ainsi, si une juridiction est saisie par voie d'exception, elle surseoit à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé.

Ensuite, les lois du pays ne peuvent plus être contestées par voie d'action après leur publication au Journal officiel de la Polynésie française. Le but est de conférer une plus grande sécurité juridique à des actes intervenant dans le domaine de la loi. Il justifie certaines restrictions au droit de recours. En lieu et place d'un recours pour excès de pouvoir, le projet de loi met en place un contrôle a priori, avant la promulgation 6 ( * ) .

A l'expiration du délai de huit jours pendant lequel un projet de « loi du pays » adopté par l'assemblée de la Polynésie française peut faire l'objet d'une nouvelle lecture, le haut commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six membres de cette dernière disposent de quinze jours pour déférer le projet au Conseil d'Etat. A l'évidence, la procédure est inspirée de l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution relatif à la saisine du Conseil constitutionnel sur les lois avant leur promulgation. Toutefois, une différence importante est la possibilité pour un particulier de déférer le projet d'acte au Conseil d'Etat dans le délai d'un mois à compter de l'expiration de la même période de huit jours. Comme pour un recours en excès de pouvoir, il n'aura pas à se prévaloir d'un intérêt à agir particulier.

La suite de la procédure est très proche également de celle des articles 61 et 62 de la Constitution. Le Conseil d'Etat se prononce dans les trois mois sur le projet de « loi du pays » quant à sa conformité totale ou partielle, voire à sa contrariété totale aux normes qui lui sont supérieurs. L'acte, finalement promulgué, doit être conforme à ces normes et le président de la Polynésie peut demander une nouvelle délibération de l'assemblée, afin d'en assurer la conformité. Une fois promulguée, la « loi du pays » n'est susceptible d'aucun recours par voie d'action.

Après la promulgation, deux voies de recours sont ouvertes. D'une part, par voie d'exception, il est possible d'exciper l'illégalité de la « loi du pays ». La juridiction doit alors transmettre sans délai la question au Conseil d'Etat qui peut seul apprécier la validité de la loi du pays. Ainsi, contrairement à l'article L. 111-5 du code pénal, même le juge répressif ne pourrait en apprécier la légalité. D'autre part, l'article 180 crée une procédure permettant le déclassement d'une « loi de pays » intervenue, soit dans le domaine réglementaire, soit dans les compétences de l'Etat. La procédure est fortement inspirée de celle de l'article 37, deuxième alinéa, de la Constitution et constitue le pendant de l'article 12 du projet de statut (voir supra ). Le Conseil d'Etat est saisi par le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou le ministre chargé de l'outre-mer. Il statue dans un délai de trois mois.

Enfin, le projet de loi organique dispose que le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des lois du pays au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. L'ajout de la mention des principes généraux du droit à valeur législative est dû au Conseil d'Etat. Toutefois, l'avant-dernier alinéa de l'article 139 précise que les « lois du pays » peuvent être applicables, lorsque l'intérêt général le justifie, aux contrats en cours. Le principe général de non-rétroactivité des actes administratifs n'est donc que partiellement applicable. Notons également que nombre de principes généraux du droit ont un contenu équivalent aux principes à valeur constitutionnelle.

2. La mise en oeuvre d'une procédure de « déclassement » des lois intervenues dans un domaine de compétence de la collectivité postérieurement à l'entrée en vigueur du statut

La sauvegarde des compétences propres de la collectivité apparaît comme une condition essentielle d'une autonomie effective. Sans doute a-t-il été reconnu à la Polynésie française la possibilité de modifier des lois intervenues antérieurement à l'attribution de compétences à la collectivité. En revanche, les collectivités ultramarines se sont longtemps trouvés démunies face au risque d'empiètement du législateur postérieurement à la dévolution de compétences. La réforme constitutionnelle de 1992 obligeant le législateur à emprunter la voie de la loi organique pour toute modification relative à l'organisation particulière de ces collectivités a marqué un évident progrès dans le sens d'une meilleure protection des compétences propres de la collectivité. Il n'en reste pas moins que la pratique institutionnelle n'est pas exempte d'exemples d'empiètement de la loi ordinaire, voire de l'ordonnance, dans les domaines de compétence de la Polynésie française 7 ( * ) .

Sans doute de telles dispositions pourraient-elles être censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu'elles relèvent de la loi organique. Cependant, faute d'une saisine du Conseil constitutionnel, les lois entrant dans le champ de compétence de la Polynésie française s'imposent à cette collectivité. Comme l'a indiqué le Conseil d'Etat, « Une fois intervenue une loi postérieure à la loi organique fixant le statut du territoire, le territoire n'a pas le pouvoir de la modifier » 8 ( * ) . Il reste aux conseillers territoriaux la faculté, en vertu de l'article 70 du statut, de présenter des voeux pour obtenir des autorités de la République l'abrogation des dispositions méconnaissant la compétence de la collectivité.

Parallèlement, l'Etat a toujours, quant à lui, la faculté d'imposer le respect des compétences régaliennes par la Polynésie française : les actes de la collectivité qui ont valeur réglementaire sont soumis au contrôle de légalité -le Conseil d'Etat étant appelé à rendre un avis en la matière sur la base des articles 113 et 114 du statut.

Sur le fondement de l'article 74 de la Constitution, l'article 12 du projet de statut introduit une procédure de « déclassement » devant le Conseil constitutionnel des dispositions législatives intervenant dans le champ de compétence de la Polynésie française.

Ainsi les « institutions compétentes » de la Polynésie française pourraient modifier ou abroger une loi postérieure à l'entrée en vigueur du statut à condition que le Conseil constitutionnel -saisi par le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée ou le premier ministre- ait déclaré qu'elle est intervenue dans le domaine de compétence de la Polynésie française.

Cette nouvelle disposition est en quelque sorte le pendant de l'article 37 de la Constitution qui permet au gouvernement de modifier par décret des textes de forme législative intervenus dans le domaine du règlement à condition que le Conseil constitutionnel en ait reconnu le caractère réglementaire.

3. La préférence locale : protéger l'emploi et le patrimoine foncier

Le projet de loi organique rend possible, comme en Nouvelle-Calédonie, l'adoption par la Polynésie française de mesures dites de « préférence locale ».

Conformément à l'article 74, dixième alinéa, de la Constitution, de telles mesures justifiées par les nécessités locales pourraient intervenir en deux domaines.

L'article 18 concerne l'accès à l'emploi et le droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle . Sur le modèle de l'accord de Nouméa, la Polynésie française par la voie de lois du pays fixerait pour chaque type d'activité professionnelle et secteur d'activité des mesures favorisant la population locale dans le respect de critères objectifs en relation directe avec les nécessités du soutien ou de la promotion de l'emploi local. Pour cerner la notion de « population » bénéficiant de ces mesures, le critère retenu est la durée suffisante de résidence . Cette durée serait fixée par les lois du pays. L'équilibre global du dispositif est donc très proche de celui en place en Nouvelle-Calédonie. Une différence est néanmoins apportée en matière d'accès à la fonction publique . La préférence locale ne pourrait s'appliquer qu'à égalité de mérites .

L'article 19 concerne la protection du patrimoine foncier. Il subordonnerait à déclaration le transfert entre vifs de propriétés foncières . Ceci permettrait d'en informer les autorités polynésiennes lesquelles pourraient exercer dans un délai de deux mois un droit de préemption . La décision de préemption serait prise par le conseil des ministres. Mais il reviendrait aux « lois du pays » de fixer les conditions d'application de cet article, notamment la durée suffisante de résidence exigée pour être dispensé de la déclaration du transfert. En effet, ni la déclaration, ni la préemption ne sont applicables aux transferts réalisés au profit des personnes justifiant d'une durée suffisante de résidence. Les dons dans le cercle familial en sont aussi dispensés.

Le principe d'un mécanisme de préférence locale se justifie par l'étroitesse du marché du travail du territoire de la Polynésie française. La préservation des équilibres sociaux, économiques et culturels peut exiger des mesures de ce type, contraires au principe d'égalité. Toutefois, le projet de loi organique n'est pas directement applicable. Il laisse la possibilité à la Polynésie française de mettre en oeuvre ou non ces articles 18 et 19. A cet égard, il convient de souligner que la Nouvelle-Calédonie n'a pas encore pris de lois du pays favorisant l'emploi local.

4. La possibilité de participer sous le contrôle de l'Etat à des compétences régaliennes

Le principe de la participation aux compétences de l'Etat reconnu à l'article 74 de la Constitution a été substitué à la simple « association » qui figurait dans le projet initial de loi constitutionnelle à la suite d'un amendement adopté par la Haute Assemblée à l'initiative de M. Gaston Flosse. Comme l'expliquait alors l'auteur de l'amendement, « Fréquemment (...) les compétences des collectivités sont limitées par celles de l'Etat en raison de l'imbrication des matières. Cette intervention du territoire dans la sphère de la compétence de l'Etat se révèle également nécessaire lorsqu'il s'agit de prendre des mesures limitées, afin d'assurer la cohérence et la bonne exécution de la réglementation territoriale » 9 ( * ) .

Le projet de loi organique met en oeuvre le principe de participation. L'intervention de la collectivité dans le domaine de compétence de l'Etat est encadrée à un double titre.

D'une part, le champ des matières ouvertes à la participation de la Polynésie française est strictement délimité . Il recouvre : le droit civil ; la recherche et la constatation des infractions et les dispositions de droit pénal en matière de jeux de hasard ; certains aspects de l'entrée et du séjour des étrangers (à l'exclusion du droit d'asile) ; la communication audiovisuelle ; les services financiers des établissements postaux (article 31).

D'autre part, l'initiative de la collectivité en la matière est soumise au contrôle préalable de l'Etat : qu'il s'agisse en effet d'un acte intervenant dans le domaine de la loi (projet ou proposition de « loi du pays ») ou d'un acte relevant du domaine de règlement, son adoption est subordonnée à un décret d'approbation . Par ailleurs, ces actes peuvent être modifiés à tout moment par une loi ou un décret sous réserve qu'ils comportent une mention expresse d'application en Polynésie française. Enfin, les décisions individuelles prises en application de ces actes sont soumis au contrôle hiérarchique du haut commissaire et peuvent être à ce titre annulées par celui-ci (article 32). Le contrôle de l'Etat s'exerce donc a priori et a posteriori et les autorités de la République peuvent reprendre la plénitude de leur compétence sur les matières susceptibles de donner lieu à la participation de la Polynésie française.

* 5 Conseil constitutionnel, décision n° 65-34 L du 2 juillet 1965 relative à l'examen des articles 1 er , 5 et 6 de l'ordonnance n° 58-1383 du 31 décembre 1958 portant modification de certaines dispositions du régime de retraite des marins de commerce.

* 6 Si d'un point de vue symbolique et théorique la différence est importante, pratiquement la portée est moindre. Le recours pour excès de pouvoir est en effet enfermé dans des délais assez courts afin d'assurer de la même manière la sécurité juridique des actes administratifs.

* 7 Alain Moyrand, Les institutions de la Polynésie française, ministère de l'éducation de la Polynésie française, CTRDP, 2003, pp. 46 et 47.

* 8 Conseil d'Etat, avis n° 363-633 du 5 octobre 1999.

* 9 Sénat, débats parlementaires, compte-rendu intégral, séance du mercredi 6 novembre 2002, p. 3508.

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