B. UNE RÉFORME COURAGEUSE APRÈS DES ANNÉES D'IMMOBILISME

Depuis la parution en avril 1991, à l'initiative de M. Michel Rocard alors Premier ministre, du « Livre blanc sur les retraites », le diagnostic d'ensemble et les perspectives d'avenir de notre régime de retraite par répartition étaient connus. De nombreux autres rapports ont suivi et confirmé l'analyse. Les retraites constituent ainsi le domaine sans doute le mieux expertisé de l'action publique. Il en résultait que l'équilibre de l'assurance vieillesse était condamné, à échéance 2010-2020, par le statu quo et que les seules mesures possibles consistaient ou bien à augmenter significativement l'âge de départ effectif en retraite, ou bien à augmenter fortement les cotisations, ou bien à diminuer le montant des retraites, ou encore à combiner entre elles de la meilleure façon possible ces différentes solutions.

S'appuyant sur l'expertise des travaux du conseil d'orientation des retraites (COR) et sur une longue concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement a fait le choix de viser un haut niveau de pension. Pour le reste, la réforme des retraites nécessitera effectivement des efforts de la population. Ces décisions difficiles sont justifiées par l'importance de l'enjeu : sauvegarder notre pacte social.

a) Un diagnostic connu depuis 1991


Les principaux rapports officiels sur la question des retraites

Avril 1991 : « Livre blanc » sur les retraites.

Octobre 1995 : Rapport du Commissariat général du plan, Perspectives à long terme des retraites.

Juillet 1998 : Rapport de M. François Morin « Retraite et épargne » , Conseil d'analyse économique.

Mars 1999 : Rapport de M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan « L'avenir de nos retraites ».

Janvier 2000 : Avis du Conseil économique social « L'avenir des systèmes de retraites » , présenté par M. René Teulade.

Rapport de M. Dominique Taddei, « Retraites choisies et programmées » , Conseil d'analyse économique.

Janvier 2001 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur les retraites agricoles

Décembre 2001 : Premier rapport du Conseil d'orientation des retraites : « Retraites : renouveler le contrat social entre les générations ».

Mars 2002 : Rapport de M. Michel Aglietta « Démographie et économie », Conseil d'analyse économique.

Avril 2003 : Rapport particulier de la Cour des comptes « Les pensions des fonctionnaires civils de l'État ».

Outre les travaux du COR, la synthèse d'ensemble la plus récente et la plus complète de la problématique des retraites a été fournie par le rapport Charpin de 1999. Quelles que soient les hypothèses retenues, ce rapport faisait apparaître que les besoins de financement de l'ensemble des régimes allaient s'accroître entre 2000 et 2040. Cette progression devrait être la plus forte entre 2005 et 2020 et continuerait au-delà de cette date.

La situation reste cependant contrastée et il est possible de distinguer trois catégories de régimes :

•  ceux qui ont actuellement de fortes ressources de compensation démographique, et qui apparaissent de fait comme ayant un déséquilibre initial (CANCAVA, ORGANIC, régimes agricoles, régime des marins, régime des mines, régime des ouvriers de l'État et SNCF), verraient leurs besoins de financement évoluer le plus faiblement. Ces régimes devraient cependant perdre les ressources de compensation qui assurent actuellement en partie leur équilibre financier global ;

•  ceux, tels l'AGIRC, l'ARRCO, la CNAVPL ou les régimes complémentaires des professions libérales, dont la situation démographique se dégrade rapidement mais qui, grâce à la stabilité de leur pension moyenne liée aux hypothèses d'indexation, parviendraient à limiter la dégradation de leur solde ;

•  ceux (en particulier le régime général, le régime des fonctionnaires de l'État, la CNRACL, l'IRCANTEC et le régime EDF-GDF) dont la situation démographique initiale est favorable. Ces régimes subissent une forte dégradation démographique qui n'est pas compensée par un écart important d'évolution entre salaire moyen et pension moyenne. Leurs besoins de financement (ou la hausse relative de la contribution d'équilibre de l'employeur) s'accroissent fortement.

Dans ce contexte, le rapport Charpin examinait plusieurs pistes de réformes susceptibles d'assurer la viabilité du système de retraite par répartition : l'allongement à cent soixante dix trimestres de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein, la constitution de réserves permettant d'amortir le choc démographique, l'élargissement de l'assiette des cotisations et l'aménagement de différents dispositifs susceptibles d'avoir un impact sur le besoin de financement des régimes.

L'orientation retenue par le rapport visait à inciter au décalage de l'âge de départ à la retraite entre soixante et soixante-cinq ans et non à contraindre au travail au-delà de soixante-cinq ans. Dans l'hypothèse où les actifs feraient le choix de reporter leur départ en retraite afin d'obtenir une liquidation à taux plein, la population active serait majorée de 420.000 personnes en 2010, 920.000 personnes en 2020 et d'environ 1,4 million en 2040. Les cotisations supplémentaires résultant de l'augmentation de la population active avaient limité, mais pas supprimé, les besoins de financement du système.

En conclusion, ce rapport recommandait d'engager sans attendre la réforme du système de retraite, avant que le choc démographique ne fasse sentir ses effets, c'est-à-dire avant 2006.

Bref, à l'exception du rapport Teulade, dont votre commission avait souligné les erreurs de construction et les hypothèses irréalistes, tous les rapports publiés depuis 1991 avaient confirmé la nécessité et l'urgence de réformer notre système de retraite. Ils ont, en fait, largement inspiré la « loi Fillon ».

b) L'aboutissement des travaux du COR et du dialogue social

La loi du 21 août 2003 constitue le résultat d'une longue concertation avec les partenaires sociaux. Cette réforme n'a pas été imposée « d'en haut », comme avait pu l'être, en son temps, la réforme des trente-cinq heures.


Chronologie de la réforme des retraites

15-16 mars 2002 - Conclusions de la présidence du Conseil européen de Barcelone : les États membres sont invités à mettre en oeuvre la stratégie pour l'emploi de Luxembourg en faisant en sorte que l'âge moyen effectif de cessation de l'activité professionnelle augmente progressivement, dans les pays de l'Union, de cinq ans d'ici à 2010.

3 juillet 2002 - Déclaration de politique générale du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin.

3 septembre 2002 - Prolongation de l'accord sur le financement à taux plein de la retraite complémentaire des salariés du secteur privé à 60 ans jusqu'au 1 er octobre 2003.

3 février 2003 - Le Premier ministre lance, devant le Conseil économique et social, un débat national sur la réforme des retraites.

6 février 2003 - Le ministre des Affaires sociales, François Fillon, entame une série d'entretiens avec les partenaires sociaux.

28 février 2003 - Première réunion du « groupe confédéral » composé de représentants des syndicats et du patronat, ainsi que de conseillers ministériels afin de définir les principes généraux de la réforme des retraites.

29 mars 2003 - Les membres du « groupe confédéral » sont invités à présenter leur avis avant le 8 avril 2003 sur les principes, les objectifs et les moyens de la réforme des retraites.

11 avril 2003 - Présentation des « principes généraux de la réforme des retraites ».

18 avril 2003 - Remise aux partenaires sociaux de deux documents « propositions soumises à concertation » et « mobilisation nationale pour l'emploi des plus de 55 ans ».

7 mai 2003 - Présentation en Conseil des ministres d'une communication sur l'avant-projet de loi sur les retraites.

14 mai 2003 - Annonce par le Gouvernement des modifications à l'avant-projet de loi.

15 mai 2003 - Relevé de décisions des nouvelles adaptations à l'avant-projet de loi.

28 mai 2003 - Adoption du projet de loi en Conseil des ministres.

10 juin 2003 - Début de l'examen du projet de loi portant réforme des retraites par l'Assemblée nationale.

3 juillet 2003 - Adoption du projet de loi par l'Assemblée nationale.

18 juillet 2003 - Adoption du projet de loi par le Sénat.

23 juillet 2003 - Réunion de la commission mixte paritaire.

24 juillet 2003 - Adoption par l'Assemblée nationale et le Sénat du texte proposé par la commission mixte paritaire.

14 août 2003 - Décision n° 2003-483 DC du Conseil constitutionnel

22 août 2003 - Publication au Journal Officiel de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

Autant que les rapports mentionnés ci-dessus, les travaux du COR ont largement inspiré la rédaction des dispositions de la loi du 21 août 2003. Dans le cadre de cette structure consultative a été débattue, en effet, la plus grande partie des options finalement retenues.

A bien des égards, le COR avait pu être considéré, lors de sa création, comme une nouvelle commission destinée à masquer une absence de décision et à gagner du temps jusqu'aux échéances électorales suivantes. Mais, à l'évidence, il a acquis au fil du temps une véritable crédibilité. Il est devenu en définitive une « boîte à idée » indispensable pour la réforme.

En témoigne son premier rapport, du 6 décembre 2001, qui a présenté un ensemble d'éléments chiffrés et d'analyses, largement diffusé et qui s'est accompagné de l'organisation de colloques à l'adresse d'un large public, soulignant ainsi la nécessité d'une véritable pédagogie de la réforme des retraites.


Thèmes des réunions du COR depuis son rapport de décembre 2001

- Contributivité et redistribution dans les régimes de retraites (24 janvier 2002)

- Cycle de vie et retraite, critères déterminant le choix du moment du départ en retraite (6 mars 2002)

- Prospective des retraites et inégalités : régime général, indexation, prélèvements sociaux et fiscaux des actifs et retraités (4 avril 2002)

- Avantages familiaux et conjugaux (2 mai 2002)

- Les assouplissements possibles des conditions de départ à la retraite (11 juin 2002)

- Retraite par répartition et compléments de retraite (12 septembre 2002)

- Egalité de traitement entre hommes et femmes (2 octobre 2002)

- Egalité de traitement entre générations (7 novembre 2002)

- Quelques réformes récentes à l'étranger : premiers bilans (5 décembre 2002)

- Articulation des questions d'emploi et de retraite dans les réformes étrangères (23 janvier 2003)

- Parcours de vie : problématique générale (13 février 2003)

- Droit à l'information (1 er avril 2003)

c) Des décisions politiques éternellement reportées

Le Gouvernement Jospin, comme avant lui les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy, a fait « l'impasse » sur la question des retraites et plus encore sur celles du secteur public et des régimes spéciaux.

Aucune mesure n'a été prise entre 1990 et 1993, à la suite de la publication du Livre blanc commandé par M. Michel Rocard.

Le bilan de la législature 1997-2002 apparaît presque aussi maigre. Il se borne en fait à deux initiatives qui ont surtout servi à faire patienter jusqu'aux échéances suivantes : la mise en place du conseil d'orientation sur les retraites et la création du fonds de réserve des retraites (F2R) qui a vocation à lisser, sur plusieurs générations, l'effort d'adaptation de notre régime d'assurance vieillesse entre 2020 et 2040.

Le 19 juin 1997 pourtant, dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement, M. Lionel Jospin, Premier ministre, avait affirmé « la volonté de défendre la retraite des Français et, pour cela, de garantir les régimes par répartition » 1 ( * ) .

« Il est du devoir du Gouvernement d'attirer l'attention des partenaires sociaux et de l'ensemble des citoyens sur le caractère brutal de ce choc démographique inéluctable, et de les appeler à débattre des conséquences de cette évolution pour nos régimes de retraite » ajoutait-il moins d'un an plus tard 2 ( * ) , avant de conclure : « Ne pas l'anticiper conduirait à prendre, dans l'urgence, des mesures douloureuses ».

Rapproché de ce discours déterminé et de cette lucidité incontestable, le bilan de la précédente législature est très limité. Il s'apparente en réalité à la perte d'un temps précieux qui rend aujourd'hui douloureux les ajustements nécessaires en particulier pour assurer plus d'équité entre le secteur privé et le secteur public.

d) L'expression d'une vraie détermination en 2003

Le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, et particulièrement ses ministres des affaires sociales et de la fonction publique ont eu le courage d'élaborer et de mener à bien une réforme nécessairement difficile car elle supposait de choisir entre plusieurs options toutes défavorables. Les travaux du COR avaient en effet mis en évidence qu'en cas de maintien du statu quo, il faudrait, à l'horizon 2040, ou bien augmenter les cotisations de 60 % ou bien repousser de neuf ans l'âge de la retraite ou bien encore accepter une chute du taux de remplacement de 45 % .

Le Gouvernement a fait le choix de viser un haut niveau de retraite et de préserver la compétitivité de notre économie en limitant la hausse des taux de cotisation. La plus grande partie de l'ajustement repose donc sur l'augmentation de la durée de cotisation afin d'enrayer la dégradation du rapport entre cotisants et retraités.

De façon générale, plus une réforme est tardive, plus elle apparaît douloureuse. La « décennie perdue » 1993-2003 a creusé de fortes inégalités entre les salariés des secteurs privé et public dont les conséquences seront durables. Ainsi, l'alignement de la durée de cotisation du secteur public sur quarante années ne sera pas atteint avant 2008, ce qui retarde jusqu'à cette date la reprise de l'augmentation de la durée de cotisation dans le secteur privé.

La réforme du régime de base des retraites intervient donc juste avant le choc démographique attendu de 2006 mais elle est tardive. Le statu quo passé l'a conduite à être brutale.


Il n'y a pas de solution miracle :
l'équation d'équilibre de la retraite par répartition

Un calcul basique permet d'apprécier la situation :

- autrefois, chacun arrivait à l'âge de la retraite avec une espérance de vie (réversion comprise) de 18 ans. Il avait alors travaillé quarante ans.

Pour bénéficier d'un revenu équivalent à 70 % de son revenu d'activité, il lui fallait donc répartir l'équivalent de 12 ou 13 ans de salaires (18 x 70 %) sur l'ensemble de sa carrière professionnelle. Sur les 40 années de travail, cet effort correspondait à 30 % du salaire (12,5/40 = 30 %).

- aujourd'hui, le départ en retraite se fait avec une espérance de vie (réversion comprise) de 25 ans alors même que la période active s'est réduite dans les faits à trente-sept ans. Il faudrait mettre de côté 48 % du salaire pour conserver le même taux de remplacement.

* 1 Selon le rappel qu'il en faisait lui-même le 21 mars 2000 dans sa « déclaration sur l'avenir des retraites ».

* 2 Lettre de mission à M. Jean-Michel Charpin - 29 mai 1998.

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