II. EXPERTS, HUISSIERS, GREFFIERS DES TRIBUNAUX DE COMMERCE, CONSEILS EN PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE : UN TEXTE DE MODERNISATION

Si le présent projet de loi tend à réformer substantiellement les règles applicables à la profession d'avocat, il a également pour objet de moderniser, notamment en ce qui concerne la discipline et la déontologie, le statut des experts judiciaires, des huissiers, des greffiers des tribunaux de commerce et des conseils en propriété intellectuelle.

A. LES EXPERTS : DES CONDITIONS DE RECRUTEMENT RÉNOVÉES

Dans son rapport publié en juillet 2002, la mission d'information de votre commission des lois sur les métiers de la justice 71 ( * ) évoquait « des experts en quête de transparence ». Le projet de loi soumis au Sénat se fixe notamment pour objectif de rénover les procédures de recrutement des experts judiciaires, afin qu'elles ne les exposent plus à la critique.

1. Les experts critiqués

Dans un monde de plus en plus complexe, les experts jouent dans le procès un rôle de plus en plus important. Techniciens auxquels le juge demande leur avis sur des faits nécessitant des connaissances techniques et des investigations complexes, les experts ne forment pas une profession, mais sont des collaborateurs occasionnels du service public de la justice .

Si le juge est libre, au moins en matière civile 72 ( * ) , de désigner toute personne en qualité d'expert, le législateur a prévu en 1971 (loi n°71-498 du 29 juin 1971), pour l'information des juges, l'établissement d'une liste nationale d'experts dressée par le bureau de la Cour de cassation et de listes d'experts dressées par les cours d'appel. On compte aujourd'hui environ 13 000 experts près les cours d'appel et 400 experts près la Cour de cassation.

Les experts judiciaires doivent aujourd'hui faire face à des critiques fortes.

Le rôle de l'expertise dans la durée des procédures judiciaires est ainsi fréquemment stigmatisé. Le tableau suivant, issu d'une enquête sur le coût et les délais des expertises judiciaires montre que celles-ci contribuent pour une part importante à la durée des procédures civiles.

La part de l'expertise dans l'affaire civile devant le TGI

Effectif

Durée moyenne de l'affaire civile
(en mois)

Durée moyenne de l'expertise (en mois)

Part de l'expertise dans l'affaire civile

Ensemble

154

20,5

7,7

37,5 %

Famille

87

15,6

6,3

40,4 %

Responsabilité

24

26,5

9,2

34,6 %

Contrats

15

41,7

12,5

29,9 %

Affaires

12

29,1

11,6

39,8 %

Personnes

8

8,0

2,4

30,1 %

Biens

4

13,0

6,6

51,0 %

Procédures particulières

2

11,4

10,1

88,6 %

Social

1

31,1

16,8

54,0 %

Source : SDSED - enquête sur le coût et les délais des expertises judiciaires en 2001

Face à ces statistiques, les experts observent cependant que la longueur de la durée des expertises s'explique souvent par le comportement des parties plus que par l'inertie de l'expert.

Les conditions de recrutement des experts font également l'objet de critiques. A titre d'exemple, un rapport de 1999 sur la responsabilité et l'indemnisation de l'aléa médical présenté par l'Inspection générale des services judiciaires et l'Inspection générale des affaires sociales soulignait que « s'il faut se garder de toute généralisation, il est apparu à de nombreuses reprises, lors des auditions effectuées par la mission, que l'indépendance fonctionnelle ou la compétence technique des experts n'était pas toujours garantie par les modes actuels de sélection ni contrôlée avec une suffisante vigilance ».

Les experts sont parfaitement conscients de cette situation. Ainsi, devant la mission d'information de votre commission des lois sur les métiers de la justice, M. Jean-Bruno Kerisel, vice-président de la Fédération nationale des compagnies d'experts près les cours d'appel et les tribunaux administratifs, observait : « aujourd'hui, à Paris, on compte mille candidats pour quarante postes. Or, les juges ne connaissent pas ces futurs experts. En tant que président de l'ensemble des compagnies parisiennes d'experts, j'ai assisté durant six ans aux prestations de serment des experts. En de telles occasions, on se pose des questions sur la qualité des personnes destinées à représenter le juge dans les réunions d'expertise ! Le juge devrait rencontrer les experts stagiaires afin de pouvoir, ensuite, constituer un corps d'expertise de qualité ».

2. Le projet de loi : améliorer les conditions de recrutement des experts

Actuellement, les experts judiciaires sont inscrits pour un an sur une liste de cour d'appel ou sur la liste nationale dressée par le bureau de la Cour de cassation. La procédure d'inscription sur une liste de cour d'appel implique une candidature auprès du procureur de la République. Celui-ci, après avoir instruit les demandes et consulté les assemblées générales des juridictions du ressort (tribunal de grande instance, tribunal de commerce, conseil des prud'hommes) transmet les dossiers au procureur général près la cour d'appel. La liste est dressée par l'assemblée générale de la cour d'appel.

L'inscription sur la liste nationale n'est possible qu'après une durée d'inscription de trois ans sur une liste de cour d'appel, mais des exceptions sont possibles. Une fois inscrit sur la liste nationale, un expert n'est plus tenu de figurer concomitamment sur une liste de cour d'appel.

En principe, la situation de chaque expert est réexaminée chaque année sans qu'il ait besoin de déposer une nouvelle candidature. Le contrôle opéré à cette occasion est en réalité très formel et la réinscription quasi-automatique.

Le projet de loi vise à mettre fin à cette situation en instaurant un véritable examen périodique de la situation des experts judiciaires.

Il prévoit ainsi ( article 40 ) que les experts désirant figurer sur une liste de cour d'appel seront, dans un premier temps, inscrits pour une période probatoire de deux ans dans une rubrique particulière de la liste.

A l'issue de cette période, leur réinscription serait décidée pour une période de cinq ans après évaluation de leur expérience et de leur connaissance des règles du procès. Tous les cinq ans, la situation de l'expert serait réexaminée.

En ce qui concerne la liste nationale, le texte prévoit que seuls les experts ayant figuré sur une liste de cour d'appel pendant une durée minimale fixée par décret en Conseil d'Etat pourront être inscrits sur cette liste. L'inscription serait faite pour une période de dix ans renouvelable .

Le projet de loi tend également à améliorer les règles de discipline applicables aux experts ( articles 41 et 43 ). Il prévoit ainsi que la radiation de l'expert peut être prononcée à la demande de celui-ci, en cas d'incapacité légale ou en cas de faute disciplinaire. Il étend la liste des peines disciplinaires applicables aux experts : avertissement, radiation temporaire, radiation avec privation définitive du droit d'être inscrit sur une liste ou retrait de l'honorariat.

3. Les propositions de votre commission des lois : renforcer le dispositif

Votre commission approuve pleinement les dispositions proposées par le projet de loi. Il est particulièrement souhaitable de renforcer la crédibilité des experts judiciaires alors que leur rôle est de plus en plus important.

Votre commission vous propose d'apporter des améliorations au dispositif :

- afin de donner une pleine efficacité aux dispositions prévoyant une évaluation de l'expérience des experts et des connaissances qu'ils ont acquis des principes directeurs du procès, elle propose la création, dans chaque cour d'appel, d'une commission composée de représentants des juridictions et d'experts , chargée de donner un avis sur les candidatures avant que l'assemblée générale de la cour d'appel statue. L'association de magistrats et d'experts paraît particulièrement nécessaire pour exercer un véritable contrôle sur la compétence des candidats ;

- elle propose de préciser explicitement que chaque réinscription sur une liste de cour d'appel ou sur une liste nationale devra donner lieu à une nouvelle candidature de la part de l'expert ;

- elle propose de ramener de dix à sept ans la durée d'inscription sur la liste nationale, afin que la situation d'un expert puisse être réexaminée sans attendre un délai trop long ;

- elle propose de distinguer le retrait d'une liste volontaire ou lié à une maladie de la radiation pour cause disciplinaire, afin d'éviter des confusions ;

- elle propose enfin qu'un expert radié à titre temporaire soit tenu de prêter de nouveau serment et de subir de nouveau une période probatoire s'il souhaite être à nouveau inscrit sur une liste d'experts .

* 71 « Quels métiers pour quelle justice ? » - Rapport n° 345 (Sénat, 2001-2002) précité.

* 72 En matière pénale, les experts doivent être choisis sur les listes dressées par le bureau de la Cour de cassation et les cours d'appel. Il ne peut être dérogé à cette règle qu'à titre exceptionnel et par une décision motivée.

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