5. Industries d'armement : la France face aux risques de désintégration européenne
La loi de programmation 2003-2008 consacre une fiche aux enjeux industriels de la défense nationale. Celle-ci rappelle que l'existence de l'industrie performante est un enjeu majeur dans la mesure où la France doit asseoir son effort de défense sur un appareil industriel « capable de concevoir, réaliser et maintenir » les équipements de nos armées. La fiche relève également l'importance du secteur tant sur le plan stratégique du point de vue de la maîtrise de la technologie-clé qu'économique car les industries nationales représentent un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 14 Mds € et fournit 170.000 emplois directs.
Toutefois, les formules sont un peu générales et se contentent d'évoquer la nécessité de fonder cette industrie sur un effort de recherche conséquent et sur la nécessité de coopération à l'échelle européenne face à la domination américaine.
Des efforts de rationalisation appréciables ont été, votre rapporteur spécial le reconnaît volontiers, accomplis par le précédent gouvernement, qui a, notamment, restructuré la direction des centres d'expérimentation et d'essais. Les effectifs de ce service, qui ont atteint plus de 12 000, n'en compte plus que 8400 aujourd'hui.
Dans la même perspectives, des réductions de coûts appréciables, ont été obtenues sur certains matériels de 10 à 20%.
Comme l'a souligné Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, devant votre commission, la situation des deux piliers publics de notre industrie de défense est très différente.
DCN qui, issue de l'ancienne direction des constructions navales, doit se transformer en société d'ici à 2003, se trouve dans une situation relativement favorable à moyen terme , en dépit de la perte de 61 M € qu'elle a enregistrée en 2001 pour 1,5 Mds € de chiffre d'affaires.
L'importance de la marine dans les conflits récents laisse en effet prévoir un renforcement des forces de tous les pays et peut faire espérer des commandes substantielles à condition que l'entreprise trouve les moyens d'améliorer sa productivité.
L'entreprise traverse donc une période de transition, sans doute délicate, mais dont on a toutes les raisons de croire qu'elle va déboucher sur un ensemble industriel cohérent et compétitif, d'autant plus qu'elle peut s'appuyer sur une association avec Thalès, ainsi que sur une réelle volonté de rapprochement chez certains partenaires : des pourparlers sont en cours avec Rolls-Royce 2 ( * ) pour la conclusion d'un gentleman's agreement en vue de la constitution d'offres coordonnées dans le secteur de la propulsion des navires.
En revanche, il n'en est pas de même pour GIAT industries qui doit faire face à l'effondrement de son marché. La chute du Mur de Berlin a conduit presque tous les pays à redimensionner leurs besoins d'armement terrestre.
GIAT industries, qui est une société nationale depuis 1991, a dégagé plus de 3,3 Mds € de pertes depuis sa création, soit à peu près le coût du porte-avions Charles de Gaulle. Quatre plans « d'adaptation » se sont succédés depuis 1988, qui se sont traduits par la fermeture de quatre sites et la suppression de plus de 8.600 emplois entre 1988 et 1996.
Le dernier plan stratégique, économique et social, doit ramener les effectifs à 6.700 salariés fin 2002 contre 10.350 fin 1998.
Alors qu'elle ne fait qu'un peu plus de 10 % de son chiffre d'affaires à l'exportation, l'entreprise va devoir gérer la fin du programme de construction de chars Leclerc.
Certes, au cours des prochaines années, le programme de véhicules blindés de combats d'infanterie va se traduire par la commande de 700 unités, dont 260 doivent être livrées au cours de la prochaine loi de programmation. Mais ce programme représente, à l'unité, à peine 25 % de celui du nombre d'heures exigées par la fabrication du char Leclerc et ne saurait donc suffire à assurer le plan de charge de l'entreprise.
En 2001, l'entreprise a dégagé une marge opérationnelle négative de 189 millions d'euros. Sur ce montant, 91 millions d'euros correspondent à des surdimensionnements des capacités de production et le reste à des surcoûts, en général, identifiables. Dans la mesure où une faible partie seulement de ces pertes est consécutive au contrat passé avec les émirats arabes unis, il est clair que l'entreprise est loin de fonctionner dans des conditions économiquement viables.
L'avenir de l'entreprise est également en question, parce qu'aux difficultés des activités « armement », s'ajoutent celles des activités « munition ». A cet égard, on ne peut guère être optimiste pour l'avenir. L'alignement progressif des munitions sur les standards OTAN va accroître la concurrence sur ces marchés. Des pays comme les États-Unis, du fait de leur marché intérieur, et à certains égards, pour les mêmes raisons, comme Israël, pourront proposer des prix très inférieurs à ceux de GIAT Industries.
GIAT Industries qui était la deuxième entreprise spécialisée dans l'armement terrestre il y a quelques années vient de passer au cinquième rang européen par les faits des regroupements intervenus chez nos principaux partenaires.
A moyen et long termes, il est clair qu'il faudra redimensionner l'entreprise compte tenu de l'importance de ses marchés. 591 millions d'euros ont été accordés à l'entreprise en 2001, à titre de recapitalisation. La moitié seulement de cette somme a été libérée, le reste doit l'être prochainement en 2003, en fonction des pertes d'exploitation.
Le gouvernement, par la voix de Mme Michèle Alliot-Marie, semble disposé à se saisir du dossier pour chercher « une solution qui soit une solution d'avenir », tout en tenant un « langage de vérité ».
En tout état de cause, il faudra très vite songer à une nouvelle opération de recapitalisation. Le Gouvernement aura à arbitrer, dès lors qu'il ne réussira pas à faire aboutir des projets de rapprochements industriels au niveau européen, entre des considérations de coûts et d'indépendance nationale, car il est difficilement pensable que la France se prive du socle que constitue un pôle industriel d'armement terrestre.
Les contacts pris avec les Anglais en vue d'une coopération pour la construction d'un deuxième porte-avions pourraient non seulement apporter des économies d'échelle appréciables mais encore introduire un nouvel état d'esprit.
On pourrait en effet s'inspirer des méthodes appliquées en Grande-Bretagne pour la commande de nouveaux équipements. Plutôt que de définir des caractéristiques a priori, les responsables britanniques ont une approche bien différente : ils commencent par s'informer auprès des industriels de ce qu'il est possible de fabriquer, puis, ils font un tour du marché pour étudier les différentes voies possibles et c'est seulement dans un deuxième temps qu'ils en viennent à la définition de l'appareil et à sa construction.
Le déséquilibre s'accentue d'autant plus entre les deux côtés de l'Atlantique, que, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont, sous l'impulsion de George W. Bush, considérablement accru leur effort de défense : Il y a trois ans, les États-Unis dépensaient deux fois plus pour leur défense que tous les Européens réunis. Aujourd'hui, les budgets européens et américains sont dans le rapport de 1 à trois, demain ce sera sans doute encore plus disproportionné.
Un embryon d'agence européenne de l'Armement existe avec l'OCCAR, l'Organisation conjointe en matière d'armement. Mais il lui manque l'impulsion politique indispensable si l'on veut redonner de l'allant à une industrie européenne de la défense aujourd'hui éclatée .
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La France, puissance moyenne, s'efforce dans des conditions difficiles, de relever quatre défis :
1. L'achèvement de la professionnalisation qu'elle a menée à bien avec diligence, détermination, courage et efficacité, ce qui n'était pas évident, même si cela s'est s'avéré une réussite coûteuse ;
2. La poursuite de la production des armements classiques , qu'il s'agisse du char Leclerc, du Rafale ou du deuxième porte-avions, ainsi que la modernisation de l'arme nucléaire ;
3. La mise sur pied d'une force de projection lui permettant de mener à la fois les opérations que lui dictent ses intérêts nationaux, et participer à la force d'action rapide européenne d'intervention de l'ordre de cinquante à soixante mille hommes, déployable en 60 jours, décidée lors du sommet européen à Helsinki de décembre 1999 ;
4. Le renforcement d'une capacité technologique et opérationnelle dans les domaines du renseignement et des télécommunications , en s'appliquant à faire, seule en Europe ou presque, les efforts nécessaires pour ne pas être trop dépendant des Américains.
La difficulté vient de ce que notre pays, qui s'applique à relever simultanément ces quatre défis, est bien isolé dans une Europe manifestement moins soucieuse de son autonomie face au partenaire américain.
* 2 On peut rappeler que c'est à Rolls-Royce que DCN a commandé les deux hélices destinées au porte-avions Charles-De-Gaulle, qui sont fabriquées par sa filiale la société Bird Johnson, installée dans le Mississipi aux États-Unis.