2. Des justifications plus incertaines
a) Une demande « frémissante » en faveur du nom de la mère
Selon M. Gérard Gouzes, rapporteur à l'Assemblée nationale, la discrimination qui résulte de nos principes de transmission du nom patronymique semble « de moins en moins bien acceptée 68 ( * ) ». La prééminence du nom du père apparaît comme « une forme moderne de la loi salique, apparue sous l'époque mérovingienne ». Votre commission estime qu'un frémissement en faveur d'une évolution des règles de dévolution du nom est perceptible, tout en jugeant toutefois exagéré de faire état d'une demande massive. Il a été démontré que la transmission du nom du père est une pratique majoritaire en France, même lorsque les parents d'un enfant naturel peuvent jouer sur l'ordre des reconnaissances (cf. I-B-1-a).
Votre commission n'entend pas minimiser l'accroissement en chiffre absolu du nombre d'enfants portant le nom de leur mère (500 en 1965 contre 6.500 en 1994). Elle estime néanmoins, que ce chiffre doit être apprécié au regard de l'augmentation du nombre de naissances hors mariages (51.000 en 1965 contre 257.000 en 1994) soit 0,9 % des enfants nés hors mariage en 1965 contre 2,5 % seulement en 1994. Il demeure donc assez rare qu'un enfant reconnu par son père porte le nom maternel, mais on ne peut nier l'émergence d'une telle pratique.
Plutôt qu'une aspiration très forte à transmettre à l'enfant le nom maternel, votre commission a constaté la manifestation d' une demande frémissante. Les officiers de l'état civil entendus par votre rapporteur ont confirmé cette analyse 69 ( * ) . D'après eux, la transmission du nom de la mère à l'enfant se limiterait à des situations familiales très particulières (le plus souvent dans le cas de familles monoparentales). Ils ont toutefois fait état auprès de votre rapporteur du regret éprouvé par certains parents de ne pouvoir afficher leur double parenté en transmettant un double nom, au moment de la déclaration de naissance de leur enfant.
De plus, votre commission n'a pu rester insensible à l'accroissement notable des demandes de changement de nom 70 ( * ) visant à reprendre le nom maternel. Ceci confirme l'existence d'une certaine insatisfaction à l'égard des règles de dévolution du nom actuellement en vigueur . L'analyse des requêtes de changement de nom 71 ( * ) fait ressortir ce trait dominant. Quels que soient les motifs invoqués, les demandes de reprise du nom de la mère (par substitution ou par accolement) sont en augmentation (près de 400 requérants en 1995, soit quatre requêtes sur dix ).
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Source : Chancellerie
Le trop modeste succès des dispositions de la loi de 1985 relatives au nom d'usage confirme toutefois le constat d'une absence de demande massive quant à la modification des règles de dévolution du nom, même si le manque de publicité et la confidentialité de la mise en oeuvre de cette mesure comptent également parmi les raisons de cet échec. Entre le 1 er janvier et le 8 juin 2001, sur 2.533.000 cartes d'identité délivrées par le ministère de l'intérieur, 27.190 font état d'un nom d'usage, soit à peine 1 % 72 ( * ) .
b) La menace d'un appauvrissement du patrimoine onomastique français, une hypothèse erronée
Votre commission tient également à relativiser la menace selon laquelle la transmission automatique du seul nom du père aboutirait « à un appauvrissement du stock de noms [...] et une disparition plus rapide des patronymes les moins fréquents », comme l'a avancé M. Gouzes, rapporteur de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale 73 ( * ) . Selon lui, « il est certain que la transmissibilité du nom de la mère enrichirait le patrimoine onomastique 74 ( * ) ».
Après avoir entendu plusieurs spécialistes de l'histoire des noms, votre commission n'a pu que constater la faiblesse de cet argument. Selon une étude de M. Jacques Dupâquier, spécialiste démographique 75 ( * ) , on dénombrerait actuellement près de 900.000 noms, ce qui constitue un record mondial. Il semblerait qu'on assiste, au contraire, à un renouvellement du stock de noms grâce à l'immigration. La distribution des noms présente en revanche une grande irrégularité, 106 noms seraient portés plus de 10.000 fois 76 ( * ) contre 300.232 noms une seule fois.
* 68 Rapport n° 2911 A.N précité - p. 17.
* 69 Voir liste des auditions en annexe.
* 70 On rappellera qu'entre 1991 et 1995 on observe un accroissement de près de 30 % du nombre de requêtes (cf. I - A - 2).
* 71 D'après une étude de l'INED, publiée en janvier 1999.
* 72 D'après les statistiques fournies par le bureau de la nationalité (Ministère de l'intérieur).
* 73 Cf. Rapport n° 2911 A.N - p.11-12.
* 74 L'onomastie désigne la science des noms.
* 75 Cette étude contredit une autre étude plus ancienne de M. Michel Tesnière, publiée en 1973, fondée sur des hypothèses erronées, selon lesquelles le système onomastique français conduirait à une disparition de tous les noms de familles au profit des seuls noms les plus courants.
* 76 D'après une enquête menée par le service national des enquêtes téléphoniques Martin, puis Bernard seraient les noms les plus fréquemment portés.