II. UNE RÉFORME AUX JUSTIFICATIONS D'UNE INÉGALE PERTINENCE BOULEVERSANT LES RÈGLES DE DÉVOLUTION DU NOM

A. DES JUSTIFICATIONS D'UNE INÉGALE PERTINENCE

1. Des justifications légitimes

a) La recherche d'une plus grande égalité juridique entre les hommes et les femmes

Force est de constater que le principe d'immutabilité qui fonde le système français de dévolution du nom connaît un affaiblissement face à l'affirmation d'une plus grande égalité entre les hommes et les femmes . L'introduction du nom d'usage avait à l'époque constitué une première réponse à ce dilemme.

Le préambule de 1946 affirme à l'article 3 que « la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme ». Cependant, seule l'égalité d'accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux est actuellement mentionnée par l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Si les normes constitutionnelles françaises ne remettent pas directement en cause le régime actuel de dévolution du nom patronymique, les normes et la jurisprudence internationale suscitent plus d'interrogations.

Le droit au nom constitue une caractéristique fondamentale de l'identité d'une personne, comme l'a consacré l'article 24-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. De même, la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée le 20 novembre 1989 précise-t-elle que l'enfant dès sa naissance a « droit au nom » 60 ( * ) . Le Conseil de l'Europe, tout en admettant « les moeurs et les traditions locales » des régimes propres à chaque pays, a également adopté, dès 1978, de nombreuses recommandations à l'intention des États signataires afin de faire disparaître toute disposition « sexiste » dans le droit du nom 61 ( * ) , d'établir une égalité stricte entre le père et la mère pour la transmission du nom.

Malgré l'absence de disposition relative au nom figurant dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH), la Cour européenne dans sa décision du 22 février 1994 Burghartz contre Suisse 62 ( * ) , concernant le nom des époux et non celui de l'enfant, a constaté que la liberté de choix du nom était protégée par le droit au respect de la vie privée consacré à l'article 8 de la CEDH, ainsi que par le droit à la non discrimination consacré à l'article 14 de la CEDH 63 ( * ) . Elle a estimé qu' « en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, le nom d'une personne n'en concerne pas moins la vie privée et familiale de celle-ci. »

La Cour européenne a tenu à rappeler que « la progression vers l'égalité des sexes est aujourd'hui un but important des États membres du Conseil de l'Europe ; partant, seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme une différence de traitement se fondant exclusivement sur le sexe. ». En conséquence, la Cour n'a pas jugé légitime « le souci du législateur suisse de manifester l'unité de la famille à travers celle du nom ».

Le système français de dévolution du nom n'a pas à ce jour fait l'objet d'un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. Cependant, il ressort de la jurisprudence que la possibilité de porter « d'autres types de noms, tels le nom composé ou toute autre forme privée » ne saurait passer pour équivalent au nom patronymique 64 ( * ) ». Ainsi l'utilisation d'un nom d'usage introduit par la loi précitée du 23 décembre 1985 ne saurait gommer la prééminence paternelle caractérisant les règles de dévolution du nom. Votre commission partage pleinement le souci des députés de faire évoluer le droit français en conformité avec la jurisprudence européenne afin d'autoriser chacun des parents quel que soit son sexe à transmettre son nom à son enfant selon les modalités qui sembleront les plus appropriées.

b) La recherche d'une meilleure adéquation des règles de dévolution du nom avec la réalité sociologique

Les mutations du modèle familial sur lequel le droit au nom s'est fondé rendent légitime une adaptation des règles actuellement en vigueur. La société française se caractérise par une grande diversité des situations familiales.

L'unité du nom au sein d'une même famille ne s'impose plus comme une évidence. La montée en puissance des naissances hors mariage constitue une tendance lourde. En 1998, 738.080 naissances ont été enregistrées, dont 300.546, soit 40,7 % survenues hors mariage. Dès lors que les parents ne porte plus le même nom, il devient plus difficile d'imposer systématiquement l'un des deux noms.

Erreur ! Liaison incorrecte. Source : Rapport de l'INED - juillet 1999.

Même au sein de la famille légitime, l'unité du nom marque un certain recul. Un nombre non négligeable de femmes mariées (9 % d'entre elles) conserve son nom de naissance soit à titre exclusif, soit par accolement au nom du mari. En parallèle, un nombre croissant d'entre elles souhaite conserver son nom de naissance sur son lieu de travail ou dans sa vie sociale. Bien qu'une très grande majorité d'entre elles porte le nom de leur mari, il ressort d'un sondage publié par l'INED l'aspiration contraire, 48 % des personnes interrogées n'étant pas satisfaites par cette pratique.

La fragilisation des liens au sein du couple doit également être prise en considération. Les divorces concernent actuellement un couple marié sur trois (158.795 divorces en 1999) 65 ( * ) . Compte tenu de l'ampleur de ce phénomène, auquel se conjuguent des ruptures d'unions informelles, les séparations conduisent à une multiplication des formes familiales dites « monoparentales » , qui représentent en 1999 7,1 % du total des ménages français (dont 6 % de femmes et 1,1 % d'hommes). La possibilité d'afficher un double lien de parenté pourrait donc constituer une réponse appropriée et un bon compromis face à des situations familiales difficiles et appelées à évoluer. Il peut apparaître choquant qu'un enfant n'ayant plus aucune relation avec son père, ne puisse pas afficher officiellement un lien de filiation avec le parent le plus proche qui l'élève et le nourrit, sans pour autant éliminer toute trace du lien paternel.

Le législateur n'est d'ailleurs pas resté sourd à ces évolutions puisqu'il a, d'une part, permis l'accolement du nom de chaque parent à titre d'usage (loi du 23 décembre 1985) et, d'autre part, consacré l'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale, en substituant l'autorité parentale conjointe du père et de la mère sur leur enfant à la puissance paternelle. La loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale a en effet affiché le principe de la co-parentalité en vertu duquel l'enfant devait être élevé par ses deux parents, dans la famille fondée sur le mariage, comme dans la famille créée hors mariage, que le couple soit uni ou désuni. La proposition de loi relative à l'autorité parentale, actuellement en cours de navette, va plus loin en prévoyant un renforcement de l'exercice en commun de l'autorité parentale ainsi que la mise en place de nouveaux outils destinés à permettre un exercice consensuel de l'autorité parentale partagée 66 ( * ) . Une telle évolution ne peut donc rester sans effet sur le régime de transmission du nom.

Le Haut Conseil de la population 67 ( * ) s'est d'ailleurs fait l'écho de ces mutations dans son avis rendu le 11 mai 2001 sur le nom de famille. « Cette hétérogénéité et les transformations de la vie privée et des familles qui se sont fait jour dans les premières décennies, marquées notamment par le rééquilibrage entre les sexes, peuvent expliquer que l'on recherche une adaptation du régime ancien ».

* 60 Cf. Article 7 alinéa 1.

* 61 Cf. Résolution 37 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe adoptée le 27 septembre 1978 sur l'égalité des époux en droit civil  ; recommandation 2 du Comité des ministres adoptée le 5 février 1985 relative à la protection juridique contre la discrimination fondée sur le sexe, recommandations de l'Assemblée parlementaire 1271, adoptée le 28 avril 1995 et 1362 de l'Assemblée parlementaire, adoptée le 18 mars 1998 relatives aux discriminations entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants.

* 62 Les requérants Suzanne Burghartz et Albert Schnyder, de nationalité suisse se marièrent en Allemagne, pays dont Mme Burghartz possédait également la nationalité. Ils choisirent comme nom conjugal celui de l'épouse, comme la loi allemande les y autorisait. Résidant à Bâle, ils demandèrent à l'état civil suisse d'enregistrer ce nom. Les services de l'état civil autorisèrent les intéressés à porter ce nom après les avoir déboutés une première fois. En revanche, l'époux se vit refuser la possibilité de faire précéder son nom conjugal de son nom de naissance, alors que la loi suisse autorisait l'épouse à exercer une telle faculté.

* 63 L'applicabilité de ces articles a été confirmée quelques mois plus tard par un arrêt Sternja contre Finlande du 24 octobre 1994.

* 64 Cf. Arrêts Burghartz contre Suisse du 22 février 1994 et Sternja contre Finlande du 24 octobre 1994.

* 65 Le taux moyen des divorces en France s'élevait en 1997 à 2,1 pour 1.000 habitants, contre 1,8 dans l'Union européenne à la même date (Source Eurostat).

* 66 Rapport n° 71 (2000-2001) de notre excellent collègue M. Laurent Béteille - p. 16 et 17.

* 67 En vertu d'un décret du 23 octobre 1985, cette instance de réflexion, présidée par le Président de la République a pour mission d'éclairer ce dernier ainsi que le Gouvernement sur les problèmes démographiques et leurs conséquences à moyen et long terme, ainsi que sur les questions relatives à la famille.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page