2. Un changement de nom strictement encadré, par cohérence avec l'automaticité des règles de dévolution
Le principe de l'immutabilité du nom patronymique, déjà en vigueur sous l'ancien régime, a été clairement posé par la loi du 6 Fructidor an II après une brève période durant laquelle le changement de nom avait été largement ouvert 24 ( * ) . L'article premier de cette loi dispose qu' « aucun citoyen ne pourra porter de nom, ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. Ceux qui les auraient quittés sont tenus de les reprendre ». Certains assouplissements permettent néanmoins de tempérer la rigueur de cette règle.
a) Le nom d'usage, un assouplissement récent du principe d'immutabilité du nom
L'article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs a introduit le nom d'usage , en permettant à toute personne majeure d'« ajouter à son nom le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien » 25 ( * ) . Les enfants mineurs, par l'intermédiaire des titulaires de l'autorité parentale sont également autorisés à exercer cette faculté, leur consentement n'étant toutefois pas requis.
Ce nom d'usage doit donc obligatoirement comprendre le nom patronymique. Comme celui de l'homme marié 26 ( * ) ou de la femme mariée 27 ( * ) , il ne se substitue pas au nom patronymique et ne figure ni sur les registres de l'état civil, ni sur le livret de famille. A la différence du nom patronymique, il n'est pas transmissible, mais uniquement mentionné sur les documents administratifs (permis de conduire, carte de sécurité sociale). Il s'apparente à un nom d'emprunt utilisé dans la vie sociale, permettant, dans la vie quotidienne, de marquer sa double filiation, sans nécessairement recourir à un changement de nom officiel . Cette réforme n'a pas affecté l'organisation des services de l'état civil. L'ordre d'accolement des deux noms est libre. Le port du nom d'usage issu de la loi de 1985 est exclusif de l'usage du nom du conjoint 28 ( * ) . Sa portée reste limitée au pouvoir de la volonté.
Cette disposition introduite à l'initiative de Mme Denise Cacheux, rapporteure de la loi à l'Assemblée nationale, avait à l'époque constitué un des points d'achoppement des débats parlementaires. Il s'agissait avant tout de présenter une « mesure d'égalité et de justice [...] [et de] réaliser une première avancée dans [le] domaine [des règles de transmission du nom] 29 ( * ) ». Cependant au cours de la discussion, à l'instar des sénateurs, M. Robert Badinter, garde des Sceaux, tout en soulignant la légitimité d'une telle préoccupation avait soulevé un certain nombre d'objections et jugé préférable une solution plus souple ne bouleversant pas profondément le système en vigueur.
b) Les changements de nom autorisés, exceptions strictes au principe d'immutabilité du nom
• Le changement d'état d'un enfant autorise le changement de nom.
L'attribution du nom est étroitement liée à l'appartenance familiale. Le nom est un nom de famille. Une famille c'est notamment un nom. Le nom figure d'ailleurs au premier rang des éléments de la possession d'état 30 ( * ) , preuve générale de la filiation, comme le dispose l'article 311-2 du code civil. Cependant, afin de refléter le plus fidèlement possible chaque situation familiale, le nom d'un enfant peut être amené à changer automatiquement, à la suite d'une modification de son lien de filiation.
La transformation du lien de filiation peut entraîner une modification du nom de l'enfant. Elle peut être liée :
- à une destruction du lien de filiation à la suite d'une annulation de l'acte de reconnaissance d'un enfant naturel (reconnaissance mensongère) ou d'une contestation de la paternité légitime du mari de la mère 31 ( * ) ;
- à l'établissement d'un lien de filiation nouveau : la reconnaissance ultérieure d'un enfant pour lequel le secret de la naissance avait été demandé, provoque l'éviction du nom qui lui avait été donné par l'officier de l'état civil 32 ( * ) .
La loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales a néanmoins apporté un tempérament à ce principe en subordonnant le changement de nom au consentement des enfants majeurs en vertu du deuxième alinéa de l'article 61-3 du code civil 33 ( * ) .
• L'acquisition ou la réintégration de la nationalité française peut également autoriser une modification du nom de famille, en application de la loi n° 72-964 du 25 octobre 1972 relative à la francisation des noms et prénoms des personnes qui acquièrent ou recouvrent la nationalité française. La francisation du nom selon une procédure simplifiée vise à faciliter une meilleure intégration dans la communauté française des étrangers qui deviennent français.
Cette procédure est ouverte à toute personne acquérant ou recouvrant la nationalité française lorsque l'apparence, la consonance ou le caractère de son nom peut gêner son intégration dans la communauté française. Elle permet soit la traduction en langue française d'un nom, soit sa modification afin de lui faire perdre son caractère étranger, ou encore la reprise d'un nom porté par un ascendant français. La demande peut être présentée dans un délai d'un an à compter de l'acquisition de la nationalité ou de la réintégration dans la nationalité. Elle est accordée par un décret simple. Il peut être fait opposition dans un délai de deux mois, à compter de la publication de ce décret publié au Journal Officiel.
La mention du nom francisé sera portée d'office sur réquisition du procureur de la République du lieu de domicile du bénéficiaire en marge de ses actes de l'état civil, et le cas échéant de ceux de son conjoint et de ses enfants (article 12 de la loi du 25 octobre 1972). Ce nom francisé peut faire l'objet d'une procédure ultérieure de changement de nom (article 12-1). La francisation s'impose aux enfants mineurs de moins de treize ans. Au-delà de cet âge, leur consentement est requis, conformément à l'article 61-3 du code civil.
• Le changement de nom justifié par un intérêt légitime 34 ( * )
Le changement de nom, motivé par un intérêt légitime est régi par la procédure administrative prévue aux articles 61 à 61-4 du code civil, introduits par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 précitée ayant assoupli la loi du 11 Germinal an XI 35 ( * ) instaurant la possibilité pour un citoyen de changer de nom.
L'utilisation d'un nom d'usage ne saurait entraîner automatiquement une modification du nom patronymique. Malgré la réforme de 1993, la mise en oeuvre de cette procédure est strictement encadrée et se caractérise par un certain formalisme destiné à garantir le respect des règles de stabilité de l'état civil.
La demande motivée de l'intéressé est adressée au garde des Sceaux, en application du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 et instruite par le service du Sceau 36 ( * ) . Une enquête peut être demandée par le garde des Sceaux au procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de résidence de l'intéressé. En cas de difficulté, l'avis de Conseil d'État peut être recueilli 37 ( * ) . Ce changement autorisé par décret simple, en vertu de l'article 61, troisième alinéa du code civil, est rendu définitif à l'issue d'un délai de deux mois à compter de sa publication au Journal Officiel, pendant lequel une opposition peut être formée. Le refus d'admission est motivé et notifié par le garde des Sceaux au demandeur, ce qui n'exclut pas que la demande puisse être renouvelée ultérieurement.
L'autorisation du changement de nom relève donc d'une procédure discrétionnaire puisqu'il appartient au garde des Sceaux de définir ce qui constitue un intérêt légitime, sous le contrôle du Conseil d'État, compétent pour connaître en premier et en dernier ressort des oppositions aux changements de noms 38 ( * ) .
L'article 61 du code civil ne donne qu'une illustration de ce qui peut constituer un intérêt légitime, en disposant que « le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré ». En pratique, la Chancellerie fait généralement droit aux demandes de changement de nom motivées par le désir de franciser un nom à consonance étrangère, d'abandonner un nom grotesque ou criminel, d'obtenir l'accolement d'un autre nom pour éviter la confusion avec un autre nom ou de porter un pseudonyme sous lequel une réputation a été acquise. Les cas d'admission concernant une demande affective sont en revanche plus rares. On note néanmoins une différence d'appréciation entre les demandes affectives couplées avec une autre motivation qui font l'objet d'un traitement privilégié (66 % des requêtes acceptées en 1995) et les demandes purement affectives qui aboutissent plus difficilement (un quart de ces demandes a été accordé en 1995, contre 40 % en 1990).
1.038 requêtes ont été déposées en 1995, traduisant un accroissement de 30 % par rapport à 1991 (793 requêtes), parmi lesquelles 730 ont été accordées (soit 73 % des demandes), 266 ont été rejetées (soit 27 %), et 36 dossiers ont fait l'objet d'un désistement. Le nombre des requêtes accordées en 1995 39 ( * ) (73 %) a enregistré une baisse par rapport à 1991 (79 %).
Compte tenu de « l'effet collectif » qui s'attache au nom, reflet d'une appartenance familiale, le changement de nom s'impose de plein droit aux enfants du bénéficiaire âgés de moins de treize ans (article 61-2 du code civil) ; au-delà de cet âge leur consentement est requis. Ce changement de nom ne constitue qu'un effet secondaire de la demande des parents 40 ( * ) . Les enfants majeurs sont en revanche tenus de se joindre à la requête.
Les formes du changement de nom sont variables. En 1995, les demandes de substitution ont représenté 60 % du total des dossiers, les modifications de nom 30 %, les modifications par adjonction 11 % 41 ( * ) .
La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'homme admet l'existence de « restrictions légales [qui] puissent se justifier dans l'intérêt public afin d'assurer un enregistrement exact de la population ou de sauvegarder les moyens d'une identification personnelle et de relier à une famille les porteurs d'un nom donné ». Elle reconnaît toutefois qu'il peut exister « de véritables raisons amenant un individu à changer de nom 42 ( * ) » .
• La procédure de relèvement du nom des citoyens morts pour la France en vertu de la loi du 2 juillet 1923 permet à un descendant du défunt dans l'ordre légal et jusqu'au sixième degré de demander l'adjonction du nom du défunt à son propre nom . Contrairement à la procédure de changement de nom, ce relèvement est de droit et ne relève pas d'une appréciation discrétionnaire du garde des Sceaux. Il n'est actuellement autorisé que dans le cas d'un défunt de sexe masculin.
Seul peut être relevé le nom d'un homme, civil ou militaire, dernier représentant mâle d'une famille dans l'ordre de la descendance , mort pour la France. Il peut s'agir, comme la loi en donne quelques exemples d'un citoyen « mort à l'ennemi », « tué à l'ennemi », « soldat mort pour la France ». Le défunt ne doit avoir laissé aucune postérité. Cette disposition fortement marquée par le contexte d'après-guerre reste toujours en vigueur et trouverait à s'appliquer dans l'hypothèse d'un conflit dirigé contre la France 43 ( * ) .
* 24 Le décret du 24 Brumaire an II donnait à chaque citoyen la possibilité de changer de nom sur simple déclaration à la municipalité, mais la Convention se ravisa pour imposer définitivement l'immutabilité du nom avec la loi du 6 Fructidor an II.
* 25 Cette disposition est entrée en vigueur le 1 er juillet 1986.
* 26 Cf. Circulaire du 26 juin 1986, l'homme marié peut avoir le droit d'user du nom patronymique de sa femme ou du nom dont elle fait usage (accolement du nom de ses deux parents) par adjonction à son patronyme. En revanche, contrairement à la femme mariée, la substitution n'est pas autorisée.
* 27 Cf. Arrêt de la cour de cassation chambre civile du 6 février 2001 qui précise qu'il est défendu à tout fonctionnaire public de désigner des citoyens dans les actes autrement que par leur nom de famille.
* 28 En revanche, la circulaire du 26 juin 1986 admet que le conjoint puisse utiliser le nom d'usage de son conjoint.
* 29 Cf. J.O Débats A.N séance publique du 6 mai 1985 - p. 571.
* 30 Aux termes de l'article 311-1 du code civil, « la présomption d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et sa famille à laquelle il est dit appartenir ».
* 31 Cf. Arrêt de la Cour de cassation 1 ère chambre civile du 13 février 1985, selon lequel l'effet déclaratif attaché au jugement qui accueille une contestation de paternité légitime prive l'enfant, depuis sa naissance de la qualité d'enfant légitime.
* 32 Conformément à l'article 58 sixième alinéa du code civil, l'acte provisoire de naissance est annulé à la requête du procureur de la République.
* 33 Selon lequel « l'établissement ou la modification du lien de filiation n'emporte cependant le changement du patronyme des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement ».
* 34 En Belgique, au Portugal et en Turquie, le changement de nom est accordé quel que soit le motif de la demande. En revanche, en Allemagne, comme au Luxembourg et en Suisse, des motifs convaincants sont exigés.
* 35 La loi du 8 janvier 1993 était destinée à mettre fin à la pratique trop restrictive du Conseil État dont l'avis était recueilli préalablement à chaque décret de changement de nom et à raccourcir les délais dans lesquels les changements de nom étaient autorisés.
* 36 Depuis 1994, les demandes sont adressées et traitées directement au service du Sceau.
* 37 Cf. Article 4 du décret précité.
* 38 Cf. Article L. 311-2 du code de justice administrative, issu de l'ordonnance n° 2000-387 du 7 mai 2000.
* 39 Sources Chancellerie.
* 40 Cf. Arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin 2000.
* 41 Cf. Rapport de l'Institut national d'études démographiques (INED) sur les requêtes adressées au ministère de la justice en 1991 et 1995.
* 42 Cf. Arrêt de la Cour européenne des Droits de l'homme Sterjna contre Finlande du 24 octobre 1994.
* 43 Il convient de souligner que le relèvement des noms des victimes de la seconde guerre mondiale a été autorisé grâce à la loi du 2 juillet 1923.