C. QUELS MOYENS POUR CETTE RÉFORME ? DES CRÉATIONS DE POSTES DEMEURANT LARGEMENT THÉORIQUES

Votre commission des Lois a toujours porté une attention particulière à l'évaluation des moyens de la justice , comme en a témoigné la mission sur les moyens de la justice en 1996 152 ( * ) , ainsi que les avis budgétaires qu'elle publie chaque année 153 ( * ) .

L'année 2001 a été marquée par une vague de protestation sans précédent émanant de l'ensemble des acteurs de l'institution judiciaire (magistrats, avocats, personnels de la Chancellerie) destinée à exprimer leur sentiment de malaise à l'égard du manque chronique de moyens dont souffre la justice. L'entrée en vigueur des réformes nouvelles telles que la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence ou encore la mise en place des trente-cinq heures a en effet absorbé toutes les créations de poste au détriment du renforcement des juridictions pourtant profondément affectées par un encombrement persistant 154 ( * ) .

En outre, la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence malgré l'ampleur des moyens dégagés laisse craindre « une altération de la capacité de réponse des juridictions » comme l'a fort justement relevé un rapport de l'inspection des services judiciaires publié en juin 2001. La mise en place des trente-cinq heures n'a été accompagnée d'aucune création d'emplois. Dans un tel contexte, est-il raisonnable, est-il souhaitable d'accepter une réforme exigeant de nouvelles créations de postes alors même que la véritable priorité concerne le renforcement des juridictions dont les moyens ont été absorbés par les réformes nouvelles (40 % des emplois de magistrats ont été absorbés par la loi du 15 juin 2000 précitée).

A elle seule, la mise en oeuvre de la mixité induit nécessairement des besoins nouveaux qu'il paraît difficile de satisfaire en l'état actuel des effectifs et des besoins croissants et qui ne feront qu' amplifier les difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire , alors même que le parquet lui-même ne dispose pas des moyens suffisants pour exercer ses missions.

La Chancellerie a évalué que la mise en oeuvre de la présente réforme nécessiterait la création de 250 postes de magistrats professionnels.

D'après les informations fournies à votre rapporteur 186 postes ont à ce jour été créés : 100 par la loi de finances pour 2000, 40 par la loi de finances pour 2001, 46 par la loi de finances pour 2002.

Cette réalité demeure largement théorique .

90 postes restent à créer. De plus, si 101 postes ont été créés (par la loi de finances pour 2000) et déjà localisés par juridiction, ils n'ont toujours pas été pourvus . Les 40 postes créés par la loi de finances pour 2001 devraient être localisés en 2002, c'est-à-dire bien après l'entrée en vigueur de la réforme compte tenu des délais d'affectation nécessaires résultant de la procédure de transparence.

De plus, les postes actuellement créés et effectivement pourvus ont tous été affectés au renforcement des tribunaux de grande instance (traitement du contentieux général) dans l'attente de l'aboutissement de cette réforme . Comment ignorer dès lors le risque de pérennisation de ces affectations temporaires au sein des juridictions les plus encombrées ? Il est à craindre qu'une telle option conduise en pratique à réduire mécaniquement les créations d'emplois effectives initialement affichées par le Gouvernement.

Compte tenu de ces observations, le constat d'un manque de moyens n'a pu que s'imposer, le Gouvernement ayant d'ailleurs fait la démonstration que les nouveaux emplois de magistrats créés devaient être affectés aux vraies priorités : le désencombrement des juridictions civiles.

Rappelons que ce fut précisément le manque de moyens qui conduisit en 1985, M. Robert Badinter, à l'époque Garde des Sceaux, à renoncer à la mise en place de la mixité après la refonte du droit des procédures collectives : « Hélas, les perspectives budgétaires pour 1985 sont rigoureuses. Comme il me semble nécessaire de renforcer en priorité les effectifs de magistrats professionnels dans le domaine de l'instruction et afin de développer certaines juridictions, cela m'interdit de vous proposer la réalisation de la mesure que j'ai évoquée [la mixité] 155 ( * ) ».

Dès lors, comment ne pas voir dans l'inscription surprise à l'ordre du jour du Sénat une réponse purement politique et médiatique à la pression sans précédent des rapporteurs de l'Assemblée nationale ?

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission considère qu'il n'est pas possible de poursuivre la délibération sur le présent projet de loi. En conséquence, elle vous propose d'adopter une motion tendant à lui opposer la question préalable, dont les termes sont reproduits ci-après.

* 152 Rapport Sénat n°49 (1996-1997) : « Quels moyens pour quelle justice ? » - M. Charles Jolibois président, M. Pierre Fauchon, rapporteur.

* 153 Avis - Sénat - Lois de finances pour 2002 - n°92 - Tome IV de Mme Dinah Derycke (2001-2002).

* 154 Aucune amélioration significative des délais de jugement n'a pu être observée en 2000 .

* 155 J.O A.N Débats du 2 avril 1984 - p.1182.

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