B. DES CRITIQUES RÉCENTES D'UNE PERTINENCE PLUS INCERTAINE : LA MISE EN CAUSE DE LA LÉGITIMITÉ DE L'INSTITUTION CONSULAIRE
Au-delà de ces critiques qui rencontrent un assez large consensus, d'autres critiques plus récentes formulées dans le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale et dans le rapport conjoint des inspections générales des services judiciaires et des finances ont été avancées à l'encontre de l'institution consulaire, dont la pertinence paraît pour le moins incertaine.
1. Des critiques partiales et exagérées
Le constat d'une justice incapable de remplir les missions qui lui étaient dévolues a été dressé par ces deux rapports.
Le rapport publié par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a sévèrement mis en cause le rôle et la responsabilité des juges consulaires dans le déroulement des procédures collectives , relevant notamment :
- le caractère essentiellement liquidatif de ces procédures (qui représentent près de 89 % des suites données aux défaillances d'entreprises en 1996 103 ( * ) ), qui révélerait ainsi une certaine négligence, voire une incompétence des juges consulaires souvent dépassés par la complexité du droit ;
- la lenteur des procédures de liquidation, qui serait destinée à assurer des rémunérations plus avantageuses à certains auxiliaires de justice ;
- le caractère occulte du déroulement d'une procédure confisquée par des juges consulaires, qui refuseraient d'informer les administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs ;
- la soumission des juges-commissaires, peu présents et peu disponibles, aux mandataires de justice qu'ils sont censés contrôlés.
Sans remettre en cause les difficultés auxquelles sont confrontés les magistrats consulaires en matière de procédures collectives, difficultés d'ailleurs admises par l'ensemble des juges consulaires, en matière de valorisation et de commercialisation des actifs et de transparence à l'égard des débiteurs dès l'ouverture des procédures 104 ( * ) , il convient toutefois de relativiser de telles critiques, comme l'ont reconnu de nombreuses personnalités entendues par votre rapporteur.
La gestion des procédures collectives se situe au coeur de la pathologie économique , ainsi que le soulignait déjà M. Pierre Bézard en 1998 et que l'a réaffirmé Mme Perrette Rey lors de son audition par votre rapporteur, « par sa nature même liée à la mort de l'entreprise, la réglementation sur les procédures collectives ne peut amener que des déceptions ou des désespoirs, quelle que soit la manière dont elle est appliquée, même parfaitement 105 ( * ) ».
De plus, s'il a pu ou peut exister quelques affaires mettant en cause la responsabilité des juges consulaires, il ne peut s'agir que d'une responsabilité partagée par l'Etat , qui, par l'intermédiaire du parquet, dispose de moyens efficaces pour intervenir face aux éventuelles carences des juges consulaires 106 ( * ) .
Enfin, il convient d'ajouter que le nombre élevé de liquidations prononcées ne saurait d'ailleurs et surtout pas à lui seul constituer la preuve de l'incompétence des magistrats.
Bien souvent lorsqu'un jugement d'ouverture est prononcé, l'entreprise est déjà confrontée à de très grandes difficultés qui la condamnent par avance. Cette situation est corroborée par la grande proportion de liquidations immédiates prononcées par les tribunaux de commerce (en 2000, les jugements d'ouverture d'une procédure aboutissent à un redressement judiciaire dans 33,5% des cas et à une liquidation judiciaire immédiate dans 66,5% des cas), ce qui reflète l'absence de marge de manoeuvre des juges consulaires dans la grande majorité des procédures collectives. Notons à titre de comparaison que la proportion des liquidations immédiates prononcées par les tribunaux de grande instance à compétence commerciale est encore plus élevée (71% des jugements d'ouverture de procédures collectives en 2000).
Plus grave encore, les critiques formulées ont conduit à une condamnation sans appel d'une institution jugée par nature partiale et corrompue .
Une mise en cause « ontologique » de la justice consulaire a été formulée dans ces deux rapports, leurs auteurs ayant en effet estimé que l'origine du recrutement ne paraissait pas compatible avec un exercice indépendant des fonctions juridictionnelles, « l'apparence d'impartialité [n'étant] pas du tout respectée ». Les juges consulaires ont été jugés par essence sujets « à la confusion des genres 107 ( * ) », aux « conflits d'intérêts ».
A cet égard, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a dressé un inventaire des accusations qui pouvaient être portées à l'encontre des juges consulaires visant à démontrer leur « comportement douteux », relevant successivement « le trafic d'influence », « la collusion et le clientélisme avec les mandataires de justice ou les avocats », « la corruption active », « le favoritisme », généralisant ainsi les soupçons pesant sur l'institution.
Au final, ce rapport a conclu à l'idée selon laquelle « le tribunal de commerce [était] devenu un lieu où l'exercice de fonctions d'intérêt public, rendre la justice, se confond[ait] parfois avec les intérêts privés puisqu'il [s'agissait] d'intérêts financiers considérables », ajoutant même que « le tribunal de commerce plonge[ait] parfois dans la corruption la plus complète ».
* 103 88% en 2000.
* 104 Comme l'a reconnu M. Gilbert Costes dans son discours de rentrée prononcé le 12 janvier 2001.
* 105 Rapport de clôture du colloque sur les tribunaux de commerce - 22 octobre 1998.
* 106 Voir I - A - 1.
* 107 Rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale précité - p. 124.