TROISIÈME PARTIE :
RÉFORMER LES FONDS
SPÉCIAUX
Les
fonds spéciaux, souvent appelés « fonds
secrets », nourrissent mythes et fantasmes. Pourtant, ils ne
représentent que 0,02 % du budget de l'Etat. Le décalage entre
leur perception par l'opinion et leur importance réelle a parfois
été critiqué. Ainsi, dans son
Dictionnaire des
idées reçues
, Gustave Flaubert les définit, avec
humour, de la manière suivante :
«
FONDS SECRETS. - Sommes incalculables avec lesquelles les
ministres achètent les consciences. - S'indigner
contre
».
Les fonds spéciaux sont pourtant indispensables à la
sécurité intérieure et extérieure de l'Etat, et
donc à la défense de la démocratie. Ainsi, que l'une des
plus grandes affaires de corruption depuis l'établissement de la
République, le scandale de Panama, découlait en partie de
l'insuffisance des fonds secrets : le ministre des finances, Rouvier,
avait en effet utilisé les subventions des financiers pour
compléter des fonds spéciaux insuffisants, afin de
défendre la République contre le péril boulangiste.
Il ne saurait donc être question de « supprimer les fonds
spéciaux », comme on l'entend parfois. Cependant, une
réforme semble nécessaire, afin de les rendre plus
transparents.
I. LE RÉGIME JURIDIQUE DES FONDS SPÉCIAUX
A. UN RÉGIME JURIDIQUE DATANT DU DÉBUT DE LA IVÈME RÉPUBLIQUE
Le régime juridique des fonds spéciaux obéit à une pratique ancienne formalisée au début de la IVème République et qui n'a pas été modifiée depuis. Les textes applicables sont la loi n° 46-854 du 27 avril 1946 portant ouvertures et annulations de crédits sur l'exercice 1946, et le décret n° 47-2234 du 19 novembre 1947.
1. Le cadre général : l'article 42 de la loi du 27 avril 1946
a) Un article autorisant l'existence de fonds spéciaux
Cet
article limite l'ouverture des crédits de fonds spéciaux au seul
budget du Premier ministre, ce dernier étant chargé de mettre
à la disposition des ministres les dotations nécessaires au
fonctionnement de leur département. Il rend les ministres responsables
devant le Premier ministre de l'emploi des sommes mises à leur
disposition, le chef du Gouvernement étant responsable devant
l'Assemblée.
« Art.42. - Il ne peut être ouvert de crédits de fonds
spéciaux qu'au budget de la présidence du Gouvernement. Le
Président du Gouvernement est responsable devant l'Assemblée de
l'emploi de ces fonds. Les ministres intéressés sont responsables
devant le Président du Gouvernement des sommes mises par ce dernier
à leur disposition.
Les crédits applicables aux dépenses imputées aux fonds
spéciaux ne peuvent être ordonnancées à l'avance que
pour une période de trois mois maximum. Des décrets pris en
conseil des ministres dans le délai d'un mois procéderont au
transfert à la présidence du Gouvernement des fonds
spéciaux actuellement inscrits dans les différents budgets tant
civils que militaires.
(...) »
b) Un article imposant des obligations de transparence, qui ne sont pas respectées
Il convient de souligner que cet article impose certaines obligations de transparence, qui ne sont pas respectées.
-
• Tout d'abord, son avant-dernier alinéa prévoit
l'établissement, au départ des ministres
intéressés, d'un décret de quitus mentionnant, pour chaque
ministre attributaire, les sommes reçues, les sommes
dépensées et le reliquat.
« La gestion des fonds spéciaux est sanctionnée au départ de chacun des ministres concernés, par un décret de quitus mentionnant explicitement :
1° Les provisions reçues ;
2° Les sommes dépensées au cours de la gestion ;
3° Les reliquats disponibles ».
(...) ».
En pratique, le Premier ministre « donne quitus » annuellement et à la fin de son mandat à ces personnes, et les pièces justificatives sont alors détruites.
Il semblerait que le formalisme soit limité au minimum, en vertu de la « tradition républicaine ». Selon la note récemment remise par M. François Logerot, premier président de la Cour des comptes, au Premier ministre 7( * ) , « Aucune règle particulière n'est établie quant à la forme et au contenu de la comptabilité tenue par les personnes habilitées à disposer des fonds. (...) Aucun compte rendu n'est fourni au Premier ministre par les ministres attributaires de fond, et il ne leur en est d'ailleurs pas demandé ».
Surtout, « les décrets donnant quitus aux membres du Gouvernement (...) « au départ de chacun des ministres », (...) qui devaient mentionner explicitement les provisions reçues, les sommes dépensées et les reliquats disponibles, n'ont jamais été établis depuis l'origine ».
• Ensuite, les fonds secrets n'ont pas vocation à échapper à la règle de l'annualité, comme l'indique le dernier alinéa de l'article 42 de la loi du 27 avril 1946 :
Comme dans le cas de l'alinéa précédent, les décrets donnant quitus aux membres du Gouvernement n'ont, selon la note de M. Logerot, « jamais été établis depuis l'origine ». Selon M. Logerot, il y a « absence d'un reversement des reliquats aux produits divers du budget, d'un rétablissement des crédits de même montant et d'une annulation en fin d'année des crédits demeurés sans emploi, contrairement à ce que prévoyait la loi de 1946 ».
Cette situation « a pour conséquence que l'apparence d'un emploi intégral des dotations du chapitre 37-91, tel que le reflète la loi de règlement, ne correspond pas au taux réel d'utilisation des fonds spéciaux, qui peut être bien inférieur ».
M. Logerot observe également que cela permet « la constitution de reliquats cumulés en cours d'année, reportés à l'année suivante jusqu'à la fin du mandat ministériel et éventuellement conservés après cette échéance ».
En pratique, sur la période étudiée par M. Logerot (1991-2000), il n'y a eu que quelques annulations de crédits. Celles-ci ont été peu significatives, sauf en 1999 (- 0,7 million d'euros) et en 2000 (- 0,29 million d'euros,). En outre, elles ont été prononcées par le collectif de fin d'année, et non par la loi de règlement.
2. Le cas particulier des fonds relevant de la sécurité extérieure : le décret du 19 novembre 1947
Le
décret du 19 novembre 1947 a instauré un dispositif particulier
pour les fonds spéciaux relevant de la sécurité
extérieure.
Il prévoit l'instauration d'une commission spéciale de
vérification qui, présidée par un président de
chambre à la Cour des comptes, vérifie l'utilisation des fonds,
remet au Premier ministre un rapport sur les conditions d'emploi des
crédits, et établit un procès-verbal permettant de
constater que les dépenses sont couvertes par des pièces
justificatives pour un montant égal.