INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs années déjà, le Sénat affirme la nécessité d'accélérer la création de l'espace judiciaire européen . Dans un ensemble comme l'Union européenne, caractérisé par la libre circulation des personnes, chaque Etat ne peut prétendre lutter seul contre une criminalité de plus en plus souvent transnationale. Le « compartimentage » judiciaire et juridique entrave la prévention et la répression de cette criminalité .
Or, de multiples réticences, d'ordre tant juridique que politique, ont jusqu'à présent limité à peu de choses les réalisations concrètes dans le sens de la réalisation d'un véritable espace européen de sécurité.
Les attentats terroristes du 11 septembre dernier ont montré le caractère dérisoire d'une certaine forme de protectionnisme judiciaire et ont conduit à une série d'initiatives susceptibles de permettre des progrès substantiels dans la lutte contre la criminalité.
Dans ce contexte, votre commission des Lois est saisie, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de résolution, adoptée par la délégation pour l'Union européenne du Sénat, portant sur deux propositions de décision-cadre respectivement relatives à la création d'un mandat d'arrêt européen et à la lutte contre le terrorisme . Présentées par la Commission européenne le 24 septembre dernier à la suite des recommandations des chefs d'Etat et de Gouvernement, ces propositions devraient faire l'objet d'un accord politique le 7 décembre prochain.
Après avoir rappelé les débuts hésitants de la coopération judiciaire en matière pénale, votre rapporteur présentera l'économie des deux propositions de décision-cadre, avant d'évoquer le contenu de la proposition de résolution que votre commission a adoptée.
I. L'ESPACE JUDICIAIRE EUROPÉEN : UNE URGENCE ENFIN RECONNUE
Les institutions européennes débattent de l'espace judiciaire européen depuis des années sinon des décennies. Les réalisations concrètes tardent pourtant, même s'il semble qu'une prise de conscience se fasse jour après les attentats meurtriers du 11 septembre.
A. LES DÉBUTS LABORIEUX DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE
La coopération judiciaire en matière pénale s'est véritablement développée après la signature du traité de Maastricht, même si des initiatives avaient déjà été prises auparavant. Jusqu'alors, les textes fondant la coopération en matière pénale étaient, pour l'essentiel, les conventions du Conseil de l'Europe sur l'extradition (1957) et l'entraide judiciaire en matière pénale (1959). Le traité de Maastricht a fait de la coopération judiciaire en matière pénale un domaine d'intérêt commun des pays de l'Union européenne.
Sur la base de ce traité, de nombreuses actions ont été entreprises sans que des progrès décisifs aient été accomplis. Ainsi, de nombreuses conventions ont été adoptées, par exemple sur l'extradition, le fonctionnement d'Europol, la protection des intérêts financiers, mais la plupart ne sont toujours pas entrés en vigueur. En effet, le traité de Maastricht a prévu qu'une convention ne pouvait entrer en vigueur qu'après ratification par tous les Etats membres de l'Union européenne .
Les deux conventions sur l'extradition signées dans le cadre de l'Union européenne en 1995 et 1996 n'ont été ratifiées respectivement que par 9 et 8 Etats membres, dont la France ne fait pas partie...
Des actions communes ont également été lancées. L'une d'entre elles permettant l'échange de magistrats de liaison afin d'améliorer la coopération judiciaire, la France a rapidement fait usage de la possibilité d'envoyer des magistrats de liaison dans les pays de l'Union européenne et cet instrument souple de coopération semble être très utile.
En juin 1998, le Conseil a également adopté une action commune concernant la création d'un réseau judiciaire européen destiné à rendre l'entraide judiciaire bilatérale plus rapide et plus efficace.
Le traité d'Amsterdam a notamment apporté des modifications aux règles d'adoption des textes de coopération en matière pénale. Il a ainsi prévu un droit d'initiative de la Commission européenne qui était jusqu'alors exclu. Il a en outre limité le nombre de ratifications nécessaires pour qu'une convention puisse entrer en vigueur. Il a enfin donné compétence à la Cour de justice des Communautés européennes pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation des décisions-cadres, décisions ou conventions adoptées dans le cadre du troisième pilier de l'Union européenne.
Les 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen, réuni à Tampere , a pour la première fois, consacré l'essentiel de ses travaux à la réalisation de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
Au cours de cette réunion, le Conseil a notamment décidé :
- de travailler à la mise en place d'un régime d'asile européen commun devant aboutir à terme à une procédure d'asile commune et à un statut uniforme pour les personnes qui se voient accorder l'asile ;
- de rapprocher les législations nationales relatives aux conditions d'admission et de séjour des ressortissants de pays tiers et de lutter contre ceux qui se livrent à la traite des êtres humains et à l'exploitation économique des migrants ;
- de définir des normes minimales garantissant un niveau approprié d' aide juridique pour les affaires transfrontalières dans l'ensemble de l'Union ;
- d'établir des normes minimales communes pour simplifier le règlement de certains litiges transfrontaliers ou protéger les victimes de la criminalité ;
- de renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires , le principe de reconnaissance mutuelle devant « devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union » .
- de réaliser une étude générale sur la nécessité de rapprocher les législations des Etats membres en matière civile .
En matière de lutte contre la criminalité, le Conseil européen a souhaité une intensification de la coopération dans ce domaine, marquée jusqu'alors pour l'essentiel par la création d'Europol, demandant en particulier la mise en place sans délai des équipes communes d'enquête prévues par le traité sur l'Union européenne, notamment pour lutter contre le trafic de drogue, la traite des êtres humains et le terrorisme. Il a également demandé la création d'une académie européenne de police.
Enfin, le Conseil a décidé la création d'Eurojust , unité chargée de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée 1 ( * ) . Les négociations sur la création de cet instrument sont en cours d'achèvement et une unité provisoire a commencé à fonctionner en mars 2001.
* 1 Le Sénat a adopté en mars 2001 une résolution sur les propositions tendant à créer Eurojust ; rapport n° 235 (2000-2001) présenté par M. Pierre Fauchon au nom de la commission des Lois.