B. L'APPEL DES PARTENAIRES SOCIAUX : L'ACCORD DU 10 FÉVRIER 2001 PEUT SERVIR DE BASE À UNE RÉFORME DES RETRAITES
L'accord du 10 février 2001 portant sur les régimes de retraite complémentaire, arraché dans la douleur, est finalement passé quelque peu inaperçu, alors qu'il comprend un premier volet consacré à la réforme des régimes de base.
1. Les « principes » de l'accord du 10 février 2001
L'adaptation des régimes complémentaires est effectivement indissociable de la réforme du régime de base.
L'adaptation des régimes de retraite
complémentaire doit être articulée
Considérant le rôle et la mission d'intérêt général des régimes de retraite complémentaire dans le cadre de la protection sociale en France ; Considérant l'importance de la retraite par répartition (régime général et régimes complémentaires) et la nécessité d'en préserver la place dans respect de l'équilibre entre les générations, qui est l'une des conditions de la cohésion sociale ; Considérant la nécessité de pérenniser et d'assurer la solvabilité à moyen et long termes de la retraite par répartition dans le cadre d'une cohérence d'ensemble ; Considérant les conséquences des évolutions démographiques - allongement de l'espérance de vie et arrivée à la retraite des générations pleines d'après-guerre - sur les équilibres financiers de l'ensemble des régimes de retraite par répartition ; Considérant la nécessité de rechercher un traitement équitable en matière de retraite entre tous les salariés ; Considérant la nécessité de maintenir la compétitivité des entreprises françaises ; Considérant que l'adaptation des régimes de retraite complémentaire doit être articulée avec la réforme du régime de base d'assurance vieillesse. Source : Accord du 10 février 2001 |
La nouveauté de l'accord du 10 février 2001 tient à ce que les partenaires sociaux ont pu aller au-delà de ces constats, pour esquisser un certain nombre de principes sur lesquels cette « réforme du régime de base par le législateur devrait reposer pour équilibrer le régime de retraite » .
Six principes ont ainsi été définis :
- premièrement : « Définir et garantir un niveau de pension pour les dix ans à venir, supposant l'arrêt de la dégradation du taux de remplacement ; définir une perspective de l'évolution du système de retraite à vingt ans, de façon à ce que les salariés et les employeurs disposent d'une bonne visibilité » ; votre rapporteur estime également nécessaire de rassurer les retraités à un horizon suffisamment éloigné, afin d'améliorer la « lisibilité » ou la « visibilité » du système ;
- deuxièmement : « Stabiliser les taux de cotisation pour les dix ans à venir - sans exclure des redéploiements d'autres prélèvements connexes - afin de préserver les équilibres entre les générations et de ne pas reporter la charge sur les actifs tout en maintenant la compétitivité des entreprises » ; votre rapporteur souhaite que la réforme des retraites ne se traduise pas par une augmentation globale des prélèvements obligatoires, dont le niveau ne peut raisonnablement être dépassé ;
- troisièmement : « Privilégier la variable de la durée de cotisation pour l'accès à la retraite à taux plein » ; votre rapporteur estime que le « couperet » de l'âge de la retraite à soixante ans n'a pas fini de peser sur les régimes de retraite ;
- quatrièmement : « Mettre en place un dispositif favorisant la liberté de choix pour le départ à la retraite du salarié à partir de l'âge de 60 ans » ; votre rapporteur considère que les « décotes » prévues en cas d'absence de validation des 160 trimestres requis devront être revues à la baisse, afin de permettre aux salariés de partir à l'âge de 60 ans, sans que ce choix ne pèse trop sur leur pension 48 ( * ) ;
- cinquièmement : « Introduire la possibilité de liquidation avant 60 ans des pensions des salariés ayant commencé à travailler tôt et/ou ayant accompli des travaux particulièrement pénibles, sous des conditions à définir » ; votre rapporteur constate qu'il existe un consensus sur cette question : définir des conditions uniques, pour tous les régimes et pour toutes les professions, est absurde et aujourd'hui inégalitaire, puisqu'un ouvrier dispose d'une espérance de vie à 60 ans bien moindre que celle d'un cadre.
- sixièmement : « Mettre en place un groupe de travail chargé d'étudier l'articulation entre les différents régimes d'assurance vieillesse » ; votre rapporteur estime que cette question rejoint celle des transferts de compensation, pour lesquelles il a formulé des propositions.
Ces principes montrent que les partenaires sociaux, et tous les partenaires sociaux, sont tout à fait en mesure de « dialoguer », de se « concerter » et de présenter des propositions sans recourir à l'instrument du COR.
2. Les questions fondamentales du taux de remplacement et de la durée de cotisation
La conduite de la réforme des retraites en Allemagne, comme la déclaration des partenaires sociaux du 10 février 2001, montre que la question du taux de remplacement, et de sa garantie dans les années à venir, est particulièrement fondamentale.
Ce taux de remplacement doit être, dans la mesure du possible, égal dans tous les régimes. Cependant, la question des « primes » dans la fonction publique, qui ne sont pas incluses dans l'assiette des cotisations, fausse les comparaisons.
En effet, si la pension représente chez les fonctionnaires 75 % du dernier salaire, le taux de remplacement « réel » sera bien inférieur. Ce constat est bien évidemment variable selon les catégories de fonctionnaires.
Le taux de remplacement chez les fonctionnaires
Taux de prime |
Taux de remplacement réel |
|
Cadres |
36 % |
55,1 % |
Professeurs certifiés |
12 % |
67,0 % |
Professeurs des écoles |
4 % |
72,1 % |
Instituteurs |
8 % |
69,4 % |
Employés et agents de service |
14 % |
65,8 % |
Ouvriers |
16 % |
64,7 % |
Infirmiers |
21 % |
62,0 % |
Source : Conseil d'orientation des retraites.
La deuxième question fondamentale est celle de l'équité entre les régimes. Aujourd'hui, les salariés travaillant dans le secteur privé cotisent quarante ans, alors que les salariés du secteur public sont « restés » à trente-sept années et demie.
Si l'on se fie au sondage Liaisons sociales/CSA de septembre 2001, l'opinion publique est « mûre » pour un alignement des conditions de départ de retraite des salariés du secteur public, ce qui ne peut que nourrir des regrets compte tenu de l'inaction du Gouvernement, depuis 1997, sur cette question.
A la question : « Vous savez que depuis 1993, les salariés travaillant dans le secteur privé cotisent plus d'années (40 années) que ceux qui travaillent dans le secteur public (37 années et demi). Pensez-vous qu'il faut aligner les conditions de départ de retraite des salariés du secteur public sur ceux du privé ? », les Français répondent oui à une grande majorité, y compris dans le secteur public. Fait encore plus marquant, cette majorité se retrouve chez les sympathisants de tous les partis politiques, y compris le Parti communiste (51 % de « oui » contre 46 % de « non »).
Les Français favorables aux 40 ans de cotisations pour les fonctionnaires
Ensemble des salariés |
Salariés du privé |
Salariés du privé |
|
Oui |
77 % |
87 % |
59 % |
Non |
22 % |
13 % |
39 % |
Ne se prononcent pas |
1 % |
- |
2 % |
TOTAL |
100 % |
100 % |
100 % |
Source : site Internet de CSA.
L'inclusion éventuelle des primes des fonctionnaires, sous réserve d'un plafond, dans l'assiette des cotisations, en contrepartie d'un allongement de la durée de cotisation, permettant d'aboutir à des « taux de remplacement » équivalents au secteur privé pourrait être l'un des éléments de la négociation.
Ces deux questions, étroitement imbriquées, montrent que les régimes publics sont concernés au premier chef, le régime général ayant fait l'objet d'une réforme courageuse en 1993. Les projections financières ne font que confirmer ce constat.
3. La question des régimes publics est au coeur de cette réforme
Les projections présentées au COR ont confirmé que la question centrale demeurait celle des régimes publics.
En termes de besoins de financement, la question ne se pose avec acuité, pour les régimes privés, et hors charges de compensation, qu'à partir de 2010-2015 : les effets de la réforme « Balladur » se font sentir.
En revanche, le besoin de financement des régimes du secteur public atteint dès 2005 environ 70 milliards de francs et 129 milliards de francs en 2010.
En 2020, le besoin de financement global du régime de base (hors régimes complémentaires) est chiffré à 383,5 milliards de francs. Les deux tiers seraient imputables aux régimes du secteur public.
Le déficit du régime de base (hors régimes complémentaires) est chiffré en 2040 à 761 milliards de francs, dont la moitié est constituée par le déficit du « régime » des fonctionnaires civils et militaires et par la CNRACL.
Les besoins annuels de financement :
régimes du secteur privé
et régimes du secteur
public
(en millions de francs)
2005 |
2010 |
2015 |
2020 |
2040 |
|
Régimes du secteur privé |
- 30.990 |
- 49.023 |
- 86.682 |
- 125.835 |
- 304.546 |
Régimes publics et spéciaux |
- 69.867 |
- 82.200 |
- 143.226 |
- 257.674 |
- 456.538 |
TOTAL |
- 100.227 |
- 131.223 |
- 229.908 |
- 383.509 |
- 761.084 |
Source : commission des Affaires sociales du Sénat, d'après les projections du COR.
4. La capitalisation est un complément utile
Enfin, toutes les réformes menées à l'étranger montrent l'importance de prévoir la possibilité de compléter sa pension issue du mécanisme de répartition par une rente ou un capital représentant ses efforts d'épargne.
En opposant capitalisation et répartition , en faisant croire que l'ancienne majorité avait souhaité remplacé l'une par l'autre, alors que la capitalisation ne peut intervenir que sous la forme d'un « complément » utile, le Gouvernement porte une lourde responsabilité.
*
* *
Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle propose dans le tome IV du présent rapport, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 pour ses dispositions relatives à l'assurance vieillesse.
* 48 Mme Yannick Moreau, présidente du Conseil d'orientation des retraites, a abordé cette question, cf. infra.