2. La définition de nouvelles relations entre l'Etat et les musées
Sur cet aspect du projet de loi, l'appréciation portée par votre rapporteur sera plus sévère.
En effet, le texte présenté par le gouvernement, au prétexte de fédérer et de rééquilibrer les relations entre l'Etat et les musées, favorise une uniformisation administrative qui ignore les acquis de la décentralisation.
Abrogeant les dispositions de l'ordonnance du 13 juillet 1945, le projet de loi substitue aux catégories qu'elles prévoyaient une appellation unique « musée de France », qui aura vocation à s'appliquer à l'ensemble des institutions muséographiques dont les collections présentent un intérêt public.
• Un régime fondé sur la libre adhésion ?
Cette appellation sera attribuée à la demande de la personne morale propriétaire des collections par le ministre de la culture, après avis d'une instance consultative nouvelle, le Conseil des musées de France.
Reprenant en cela à son compte la pratique administrative mais également la définition donnée par le Conseil international des musées (ICOM 3 ( * ) ) du musée en tant qu'« institution sans but lucratif », le projet de loi réserve cette appellation aux collections appartenant à l'Etat, à une personne morale de droit public ou à une personne morale de droit privé à but non lucratif.
Ce régime se veut en rupture avec la logique de l'ordonnance de 1945 selon laquelle c'était l'Etat qui définissait le champ de son contrôle. En effet, l'article 3 fonde l'application du régime prévu par le projet de loi sur la libre adhésion de la personne morale propriétaire des collections.
Toutefois, il convient de souligner que la procédure prévue par l'article 3 n'aura vocation à s'appliquer qu'à un petit nombre d'institutions, à savoir celles qui ne sont aujourd'hui ni classées ni contrôlées ou celles qui seront créées après l'entrée en vigueur de la loi.
En effet, par le jeu des dispositions transitoires prévues à l'article 14, les musées nationaux, les musées de l'Etat créés par décret ainsi que les musées actuellement classés recevront l'appellation dès la publication de la loi. S'agissant des musées contrôlés -soit plus de 1 100 institutions- ils deviendront « musées de France » à l'issue d'un délai d'un an à compter de la publication de la loi, ce délai permettant au ministre ou au propriétaire des collections de s'opposer, dans des conditions strictement encadrées, à l'attribution du label. Cependant, ces cas d'opposition seront très rares. En conséquence, le régime prévu par le projet de loi devrait s'appliquer automatiquement à l'ensemble des musées actuellement soumis au contrôle de l'Etat.
Faut-il en conclure, pour cette raison, que le texte ne modifie guère le droit existant ? Votre rapporteur ne le pense pas. En effet, l'appellation « musée de France » soumet les institutions à qui elle est octroyée à un contrôle de l'Etat plus contraignant que celui prévu par l'ordonnance de 1945, qui avait été largement écorné par les lois de décentralisation.
A cet égard, le statut proposé aux musées par le projet de loi apparaît comme le moyen pour l'Etat, et plus particulièrement pour les services du ministère de la culture, de restaurer une autorité mise à mal.
Le projet de loi permet, en effet, aux services du ministère de la culture d'exercer un contrôle très minutieux, voire tatillon, sur les musées des collectivités territoriales et les musées privés.
Ce contrôle n'est plus seulement qualifié de « technique » comme le prévoyait l'article L. 1423-1 du code général des collectivités territoriales mais également de « scientifique ». Les dispositions de l'ordonnance de 1945 encore en vigueur sont reprises. Ainsi, dans l'esprit de son article 13, l'article 5 du projet de loi prévoit que les compétences exigées des responsables scientifiques des musées de France seront définies par décret en Conseil d'Etat. A l'image de ce que prévoyait l'article 9 de l'ordonnance de 1945 pour les musées classés et contrôlés, les acquisitions des musées de France devront être précédées d'un avis de l'Etat, avis qui ne sera plus formellement émis par le ministre mais par les services du ministère de la culture.
Par ailleurs, le projet de loi va au delà, en conférant à l'Etat la responsabilité de définir les qualifications exigées des professionnels auxquels seront confiés les travaux de restauration des biens appartenant aux musées de France (article 11) ou encore les conditions de prêt et de dépôt de leurs collections (article 10). De même, il pose de nouvelles contraintes administratives en soumettant les restaurations, comme les acquisitions, à un avis des services de l'Etat dont on perçoit au demeurant mal le fondement dans la mesure où il ne lie pas le propriétaire et où il sera émis par les directions régionales des affaires culturelles, qui ne disposent pas des compétences qui auraient pu justifier leur consultation.
La création d'une nouvelle instance consultative, le Conseil de musées de France, dont l'objet est, selon les termes de l'exposé des motifs, de « fédérer les différentes familles de musées », ne constitue pas un moyen de se prémunir contre les risques d'un renforcement des prérogatives de l'Etat, le projet de loi ne lui permettant guère d'affirmer son indépendance.
Le Conseil consulté essentiellement dans le cadre des procédures d'octroi de l'appellation, mais dont les avis ne lient pas l'autorité administrative, devrait compter, selon les informations fournies à votre rapporteur, entre 30 et 40 membres, au sein desquels les responsables scientifiques des musées occuperont une place prépondérante. Cette composition en alourdissant son fonctionnement et en conférant un caractère largement formel à ses délibérations, risque fort d'en faire un alibi commode destiné à conférer une plus grande légitimité aux décisions des services.
La volonté de fédérer l'ensemble des musées de France se traduit en pratique par un statut uniforme et contraignant, mal adapté à la diversité des institutions muséographiques. On voit mal quel profit pourront tirer les musées de ce label. Le texte se borne à définir les obligations des musées sans préciser celles de l'Etat. Tout au plus, peut-on imaginer que le ministère de la culture n'apportera son soutien qu'aux musées ayant obtenu l'appellation ? A cet égard, ce système risque de reproduire les dérives auxquelles a donné lieu l'application de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. En effet, aujourd'hui, si l'Etat multiplie les décisions de classement, les moyens budgétaires dont il dispose ne lui permettent plus de subventionner les travaux comme par le passé et le classement se résume aujourd'hui à imposer aux propriétaires des charges financières et des contraintes administratives.
En effet, au-delà des réticences de principe qu'appelle un dispositif qui opère une « recentralisation » de la politique des musées, votre rapporteur s'est interrogé sur les moyens dont disposera le ministère de la culture pour réaliser ses ambitions en ce domaine en l'absence d'un renforcement de ses effectifs et de ses crédits budgétaires, d'autant plus qu'en l'état actuel des textes, la direction des musées de France peine déjà à assurer sa mission de contrôle.
A cet égard, la disposition la plus édifiante du projet de loi consiste sans doute dans le régime de protection des oeuvres menacées de péril prévu par l'article 12 qui confie à l'Etat la responsabilité de veiller à l'intégrité des collections des musées de France. Compte tenu de la situation particulièrement alarmante de certains musées de l'Etat, à l'image du Muséum national d'histoire naturelle ou encore du musée des monuments français, on voit mal comment un tel mécanisme pourra être mis en oeuvre.
Ce souci de conforter les prérogatives de l'Etat est d'autant plus contestable que le projet de loi n'ébauche aucune évolution s'agissant de la gestion des musées nationaux, dont les lacunes ont pourtant été soulignées à maintes reprises, et notamment par la Cour des comptes dans le cadre d'un rapport public particulier publié en février 1997 4 ( * ) .
Par ailleurs, il ne confère pas non plus à la direction des musées de France les moyens d'exercer un rôle de direction et d'impulsion sur les musées de l'Etat, autres que les musées nationaux. En effet, le projet de loi sur ce point ne modifie guère l'organisation administrative résultant de l'ordonnance de 1945 dans la mesure où il maintient ces musées sous leurs tutelles ministérielles spécifiques.
* 3 Article 9 des statuts du Conseil international des musées
* 4 Les musées nationaux et les collections nationales d'oeuvres d'art.