B. UN RALLIEMENT COMPLET MAIS TROP TARDIF
1. Le ralliement complet
Tous les arbitrages de principe autour de la prime pour l'emploi ont été rendus en faveur de solutions déjà présentes dans le cadre du crédit d'impôt adopté par le Sénat.
Une seule différence importante distingue les deux dispositifs, qui explique le caractère globalement plus favorable de la prime pour l'emploi : celle-ci a un coût de 8,5 milliards de francs tandis que le crédit d'impôt ne représentait que 5 milliards de francs de pertes de recettes pour l'Etat 12 ( * ) . Cette différence ôte par avance toute pertinence à une comparaison des deux mécanismes du point de vue du bénéfice concret. Il n'est guère difficile d'être plus généreux quand on dépense 70 % de plus !
a) Le principe du crédit d'impôt
Déguisée sous un " faux-nez " sémantique destiné à calmer les inquiétudes de la majorité plurielle, la prime pour l'emploi prend la forme d'un crédit d'impôt remboursable.
Comme celui adopté pour le Sénat, le dispositif permet de calculer un crédit d'impôt qui s'impute sur la cotisation d'impôt sur le revenu. Si cette dernière lui est inférieure, l'administration fiscale retourne le trop perçu.
De ce point de vue, votre rapporteur a consulté avec intérêt la position du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, notre collègue député Henri Emmanuelli, s'agissant de la recevabilité des amendements relatifs à la prime pour l'emploi.
D'après ce dernier, ainsi qu'il l'a exposé devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 1 er février 2001 13 ( * ) , si la prime pour l'emploi doit " s'analyser, vis-à-vis de l'article 40 de la Constitution, comme une opération de recette et non pas de charge ", la dépense matérielle que pourrait représenter le reversement du trop perçu constitue bien une charge qui ne saurait, elle, être augmentée. Il en conclut que tout amendement sur le présent projet de loi doit être gagé et doit préciser qu'il ne saurait avoir pour conséquence d'augmenter ce reversement.
Votre rapporteur s'étonne de cette architecture complexe et quelque peu contradictoire. La restitution constitue non pas une dépense de l'Etat, constitutive d'une charge au sens de l'article 40 de la Constitution, mais un dégrèvement d'impôt d'Etat, traité comptablement comme une atténuation de recette brute et donc, à ce titre, gageable sur une autre recette de l'Etat, sans besoin d'autre précision.
Le droit d'amendement s'agissant de ce projet de loi devrait donc pouvoir s'appliquer dans les mêmes conditions que les autres opérations portant sur les recettes de l'Etat.
b) Les variables
Outre le mécanisme de base, chacune des variables susceptibles de déterminer le montant du crédit d'impôt s'inspire de la solution adoptée par le Sénat. Il s'agit du revenu d'activité et du nombre d'heures travaillées dans le mois, converties, pour certaines professions, en jours. Les renseignements demandés aux contribuables dans le cadre de la déclaration des revenus pour la prime pour l'emploi ne se distinguent pas de ceux qu'aurait nécessité le crédit d'impôt en faveur des revenus d'activité.
Certaines différences, que le commentaire de l'article détaillera, affectent cependant la prise en considération de ces revenus d'activité. La prime est ainsi calculée selon un double plafond, apprécié au niveau du foyer fiscal et du revenu de chacune de ses composantes.
c) La prise en considération familiale
Enfin, tout comme le crédit d'impôt, la prime prend en considération la composition du foyer fiscal en majorant son montant selon le nombre de personnes à charge.
Là aussi, quelques différences concernent à la fois le mode de calcul (forfaitaire s'agissant de la prime, proportionnel pour le crédit d'impôt remboursable) ou les personnes prises en compte (toute personne à charge pour la prime, seulement les enfants dans le cadre du mécanisme adopté par le Sénat). Cependant, le principe de la modulation familiale, contesté lors des débats, a été repris par le gouvernement.
2. Les conséquences des hésitations
Le délai mis par le gouvernement à rejoindre la position affirmée par le Sénat les 14 et 24 novembre 2000, puis renouvelée le 21 décembre 2000, emporte des conséquences lourdes, de nature à compromettre la réussite de cette mesure et à accroître la méfiance des Français envers l'administration fiscale qui ne saurait pourtant être comptable des hésitations gouvernementales.
a) Un débat théorique stérile
Les hésitations du gouvernement se sont focalisées autour d'une assimilation du crédit d'impôt remboursable à un terme lourd de sens aux yeux de ses détracteurs : l'impôt négatif.
Pour l'avoir, en novembre, proposé au Sénat, votre rapporteur s'estime autorisé à expliquer le sens de la démarche du crédit d'impôt devenu prime pour l'emploi. A aucun moment à ses yeux, ce dispositif lui a paru assimilable à l'impôt négatif. Celui-ci correspond à une doctrine libérale aux fondements précisément établis qui entend regrouper au sein du système fiscal l'ensemble des prestations servies par la puissance publique. Dans le cadre du seul impôt sur le revenu, les plus pauvres recevraient tandis que les plus favorisés acquitteraient un impôt, sans autre forme de redistribution. Ce principe peut se décliner de plusieurs manières, notamment avec l'idée d'une allocation universelle, plus ou moins dégressive, à laquelle chaque citoyen aurait droit et qui viendrait s'imputer au montant de son impôt.
Le crédit d'impôt en faveur des revenus d'activité n'est en aucune manière assimilable à cet impôt négatif. Certes, il prend le même véhicule technique d'un reversement calculé à partir de l'impôt sur le revenu. Cependant, il n'a jamais été envisagé de supprimer des allocations afin de les intégrer à ce crédit d'impôt. La prime pour l'emploi est limitée à l'objectif double de favoriser l'activité et de baisser les prélèvements. Elle ne vise pas à remplacer, à terme, l'ensemble du système social français.
Mme Elisabeth Guigou confondant impôt négatif et crédit d'impôt La ministre de l'emploi et de la solidarité, lors du débat du 14 novembre 2000 sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, a pratiqué la confusion entre le crédit d'impôt remboursable et l'impôt négatif, se démarquant de ce point de vue, du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. " Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité . Vous parlez de crédit d'impôt, mais il est plus juste de parler d'impôt négatif, car la plupart des bénéficiaires d'un tel crédit d'impôt n'auraient jamais été amenés à acquitter l'impôt puisqu'ils ne paient pas l'impôt sur le revenu. Donc, cela ne pourrait pas les concerner. Aussi, parlons, si vous le voulez bien, d'impôt négatif plutôt que de crédit d'impôt. M. Charles Descours, rapporteur . C'est l'expression retenue par le ministère des finances. Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Lui, c'est lui ; moi, c'est moi ! " Source : Journal officiel des débats , Sénat, séance du 14 novembre 2000, page 6012. |
C'est donc dans ce contexte confus que le débat a pris corps quant à la solution de remplacement que le gouvernement devait élaborer suite à l'annulation de la ristourne dégressive par le Conseil constitutionnel.
Cette charge symbolique et théorique et les malentendus qu'elle a entraînés ont été dommageables dans la mesure où ils ont conduit le gouvernement d'une part à adopter un nom trompeur, d'autre part à perdre un temps précieux de peur de se voir accusé de promouvoir l'impôt négatif en France.
b) Un débat parlementaire confisqué
Présenté à la presse le 16 janvier 2001, adopté en Conseil des ministres le 31 janvier, examiné par la commission des finances de l'Assemblée nationale le lendemain, et adopté en première lecture par celle-ci le 6 février, le projet de loi portant création de la prime pour l'emploi ne vient en discussion au Sénat que le 3 avril prochain.
Ce n'est pas la première fois qu'il se passe ainsi deux mois entre l'examen d'un texte dans une assemblée et son examen dans l'autre. Cependant, dans le cas présent, le débat parlementaire se retrouve confisqué par les impératifs de la mise en place pratique et technique de la mesure.
Le 3 avril prochain, la plupart des Français auront renvoyé leur déclaration de revenus en ayant respecté, pour ceux qui auront rempli les cadres nécessaires, les indications portées dans la notice jointe à ladite déclaration. Ainsi, avant qu'un texte soit définitivement adopté, avant même qu'il ait été vu par les deux assemblées pour une première lecture, tout aura été mis en place pour son application, sans tenir compte des éventuelles observations qui pourraient être formulées, ou des amendements que les parlementaires souhaiteraient voir adoptés.
Le débat parlementaire se retrouve ainsi confisqué par les contraintes du calendrier. La faute en incombe au gouvernement qui a refusé la solution proposée par le Sénat en novembre puis en décembre.
c) Une opération de communication gouvernementale manquée
A l'évidence, nonobstant les assurances données par le gouvernement, l'information fournie aux contribuables est loin d'être parfaite ainsi qu'en témoignent tant les encarts publicitaires expliquant, bien tardivement, que la procédure à suivre, les craintes et interrogations des agents de l'administration fiscale face à des contribuables quelque peu déroutés par la complexité du système.
Le report de dernière minute de la date limite de retour des déclaration de revenus ne changera guère la situation.
Le gouvernement porte là aussi une grande responsabilité dans le mesure où un examen de la proposition du Sénat lui aurait donné le temps dès décembre 2000 de préparer les explications nécessaires.
Du début du feuilleton durant l'été 2000 à son dénouement au printemps 2001, le gouvernement aura eu " tout faux ", alors qu'une oreille attentive en novembre 2000 au Sénat lui aurait probablement évité bien des déconvenues. Mais il est vrai que l'on a du mal à changer ses habitudes.
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Au total, votre rapporteur vous proposera de mettre les faits en accord avec le droit et de rebaptiser crédit d'impôt en faveur de l'activité cette prime pour l'emploi qui s'y assimile en entier, tout en déplorant les conséquences actuelles de " l'autisme " automnal et hivernal du gouvernement.
* 12 Votre rapporteur tient à rappeler que l'enveloppe de 5 milliards de francs que représentait le crédit d'impôt du Sénat ne constituait pas un choix délibéré. Ce n'est que le 27 novembre, au moment de l'adoption de l'état A annexé à la première partie du projet de loi de finances pour 2001, que le gouvernement a livré cette évaluation demandé depuis longtemps.
* 13 Le compte-rendu de cette réunion figure dans le rapport de notre collègue député Didier Migaud, rapporteur du présent projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, n° 2916 (XIème législature).