II. LE RALLIEMENT CONTRAINT DU GOUVERNEMENT AU DISPOSITIF ADOPTÉ PAR LE SÉNAT
A. UN RALLIEMENT TARDIF A LA PROPOSITION DU SÉNAT
1. Le dispositif adopté par le Sénat
Le 24 novembre dernier, au cours de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2001, sur l'initiative conjointe de ses commissions des finances et des affaires sociales, le Sénat a adopté, à la place de la ristourne dégressive de CSG, un crédit d'impôt remboursable en faveur des revenus d'activité.
Ce dispositif respectait un certain nombre de principes :
• il s'intégrait à l'impôt sur le revenu et donc préservait la CSG ;
• il considérait non pas le revenu cédulaire mais l'ensemble des revenus d'activité du foyer fiscal considéré ;
• il tenait compte des situations de famille ;
• il " lissait " au maximum les effets de seuil pour éviter les risques de " trappe à pauvreté " ;
• il restait à l'intérieur du budget de l'Etat.
Pour ce faire, le Sénat avait adopté un mécanisme novateur relié à l'impôt sur le revenu. Le crédit d'impôt destiné à favoriser la reprise d'activité était assis sur deux variables : le revenu d'activité du ménage et le temps de travail dans l'année. Il donnait lieu à majoration en fonction du nombre d'enfants à charge et était adapté aux situations particulières des professions non salariées. D'un coût de 5 milliards de francs contre 8,5 milliards de francs pour celui du gouvernement, le dispositif du Sénat était surtout moins favorable aux célibataires sans enfants. Cela se justifiait par une raison économique : ce sont eux pour lesquels l'écart entre les revenus d'activité et ceux tirés de l'inactivité est déjà le plus grand. En cas de crédit d'impôt supérieur à l'impôt sur le revenu à acquitter, le Trésor aurait remboursé la différence. Ce système était compatible avec les règles de recevabilité financière des amendements dans la mesure où il s'agissait d'un remboursement d'impôt, considéré comme un dégrèvement.
2. Le dispositif proposé par le gouvernement
La prime pour l'emploi proposée par le gouvernement apparaît comme le décalque presque parfait du crédit d'impôt adopté, contre l'avis du même gouvernement, par le Sénat.
Le gouvernement a rencontré quelques difficultés avant de retenir cette formule. Un débat dont il reste à écrire l'histoire semble avoir opposé les tenants de cette sage solution aux promoteurs soit d'une baisse des cotisations de retraite, soit d'une hausse du SMIC.
Votre rapporteur ne saurait entrer dans cette discussion aujourd'hui tranchée en faveur de la solution adoptée deux mois auparavant par le Sénat. Il relève cependant que le crédit d'impôt demeure à ses yeux le meilleur choix entre les trois options ouvertes au gouvernement. Réduire les cotisations retraite serait apparu comme irresponsable à l'heure où chacun doit prendre conscience des efforts financiers à venir en matière de retraites. Quant à une hausse du SMIC, elle aurait probablement eu des effets contre-productifs en risquant de déclencher un effet d'enchaînement sur le reste de la grille des salaires et en complexifiant davantage le dossier déjà difficile de la cohabitation de deux salaires minimum en raison du passage aux 35 heures.
Cependant, son ralliement au mécanisme adopté par le Sénat ne saurait faire oublier les contradictions du gouvernement et de la majorité plurielle qui est réputée le soutenir tout au long de la discussion.
3. Les contradictions du gouvernement
Une fois passée la discussion sur le caractère constitutionnel de la ristourne dégressive de CSG, le gouvernement a, à plusieurs reprises, engagé le débat sur la proposition du Sénat.
Il a ainsi contesté l'utilisation d'un crédit d'impôt remboursable en s'appuyant sur plusieurs arguments.
Le premier portait sur la lourdeur du système. Mme Elisabeth Guigou indiquait ainsi au Sénat, le 14 novembre 2000, que cette technique " aurait été trop lourde à gérer. La réduction dégressive, que nous avons choisie, sera gérée par les employeurs pour les salariés et par les organismes de recouvrement, URSSAF ou caisse de MSA. Entreprises et organismes ont depuis longtemps l'habitude d'appliquer des dispositifs d'allégement de charges sociales. Ils ont une longue expérience liée à la réduction des cotisations patronales qui sont très diversifiées et très développées. En revanche, la mise en place d'un impôt négatif aurait été beaucoup plus lourde et beaucoup plus coûteuse. Elle aurait nécessité, de notre point de vue, la mise en place de procédures et de moyens administratifs nouveaux " 7 ( * ) .
Votre rapporteur a eu l'occasion de répondre à cet argument que d'ailleurs, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, n'a pas repris le 24 novembre 2000 à l'occasion de l'examen, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001 du crédit d'impôt. Il a ainsi indiqué : " Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité préfère que le coût de la gestion de cette complexité repose sur les entreprises et les partenaires sociaux alors que, dans notre système, ce sont les services fiscaux qui l'assument. Il est assez choquant de constater qu'une mesure technique, complexe, considérée par ailleurs comme de nature à conduire au développement de l'activité est jugée trop complexe pour les services fiscaux, mais pas pour les entreprises et les partenaires sociaux " 8 ( * ) .
Le deuxième argument avait trait au délai de mise en place du crédit d'impôt. Arguant de l'indisponibilité des renseignements nécessaires, Mme Elisabeth Guigou estimait, tout comme Mme Florence Parly, à quinze mois le temps nécessaire pour que les bénéficiaires reçoivent le reversement de leur trop perçu. Votre rapporteur objectait alors que, dès la déclaration de revenus remise, il serait possible de la calculer, permettant le versement rapide d'un acompte. Il semble que la position du gouvernement ait sensiblement évolué depuis le mois de novembre 2000 et qu'il ait trouvé les moyens techniques nécessaires pour permettre un premier versement au mois de septembre. Les quinze mois annoncés sont ainsi désormais invalidés par les faits.
Mme Florence Parly ajoutait à cet argument une autre dimension en notant que, si la mesure était destinée à favoriser l'emploi, il y aurait contradiction à l'asseoir sur des revenus déjà perçus. Votre rapporteur ne conteste pas cette objection mais tient à faire remarquer, d'une part que le système de la prime pour l'emploi l'encourt de la même manière, d'autre part que les objectifs de retour à l'emploi et de réduction des prélèvements étant conjoints, le second serait ainsi privilégié la première année, avant que le premier ne le rejoigne l'année suivante.
Le troisième argument avait trait à la prime accordée aux familles. Mme Florence Parly a expliqué que le gouvernement n'avait pas souhaité mêler l'objectif d'encouragement de l'emploi à celui de promotion de la politique familiale : " nous voulons que cette mesure soit efficace pour l'emploi. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas poursuivi plusieurs objectifs en même temps, considérant que, pour ce qui concerne la politique familiale, la France est dotée d'un système de protection familiale important, étoffé " 9 ( * ) . Là aussi, les faits ont démenti les propos du gouvernement puisque ce dernier a retenu un mécanisme augmentant la prime en fonction du nombre de personnes à charge. S'il l'a fait et a donc rejoint la position du Sénat, ce n'est pas seulement pour des raisons familiales, mais parce que cela est constitutionnel et économiquement juste. Le Conseil constitutionnel a en effet indiqué que la mesure devait prendre en compte le nombre de personnes à charge. Par ailleurs, étant donné que l'écart entre les revenus d'activité et ceux de l'inactivité est plus faible pour des foyers ayant des personnes à charge que pour ceux sans personne à charge, favoriser le retour à l'emploi exige d'avantager plus les premiers que les seconds.
Après l'annulation de la ristourne dégressive de CSG par le Conseil constitutionnel, le 19 décembre 2000, le Sénat a profité de l'examen en nouvelle lecture du collectif budgétaire, le 21 décembre 2000, pour réaffirmer son attachement au crédit d'impôt en réadoptant le dispositif adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001 mais rejeté définitivement par l'Assemblée nationale. A nouveau, le gouvernement a refusé de prendre à son compte la solution du Sénat, mettant cette fois en avant des raisons de procédure liées à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les dispositions entièrement nouvelles qui semblait interdire, après la réunion de la commission mixte paritaire, l'adoption de dispositions sans lien direct avec d'autres articles du texte ou non " dictés par la nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement " 10 ( * ) . Or, en l'espèce, tel semblait être le cas suite à l'annulation par le Conseil de la précédente disposition.
*
Au total, le gouvernement a fait preuve d'imprudence en ne considérant pas plus sérieusement la proposition du Sénat à laquelle il doit aujourd'hui, tardivement et dans l'urgence se rallier.
Ce faisant, il montre aussi les faiblesses de ses convictions les plus politiques. Au Sénat, le 24 novembre 2000, Mme Florence Parly indiquait, après avoir salué l'initiative du Sénat, que le désaccord avec le gouvernement relevait " non pas seulement d'un débat d'ordre technique, mais également d'un débat d'ordre politique " 11 ( * ) . Ce projet de loi constitue donc bien un ralliement non pas seulement d'ordre technique mais d'ordre politique du gouvernement à la position du Sénat. Votre rapporteur s'en réjouit, regrettant seulement qu'il ne soit pas plus fréquent et qu'il n'ait pas été plus précoce.
* 7 Journal officiel des débats , Sénat, séance du 14 novembre 2000, page 6012.
* 8 Journal officiel des débats , Sénat, séance du 24 novembre 2000, page 6523.
* 9 Journal officiel des débats , Sénat, séance du 24 novembre 2000, pages 6524.
* 10 Décision n° 98-402 DC du 25 juin 1998.
* 11 Journal officiel des débats , Sénat, séance du 24 novembre 2000, page 6521.