B. À LA RECHERCHE DE L'" ESPRIT " DES INSTITUTIONS
Le principal, sinon l'unique argument employé par le Gouvernement pour justifier la modification de l'ordre des consultations électorales est la contrariété du calendrier actuellement prévu avec l' " esprit ", la " logique " de nos institutions.
Devant l'Assemblée nationale, Monsieur le Premier ministre a ainsi déclaré : " Nombreux sont ceux qui pensent (...) qu'une telle séquence, sans précédent, fait peu de cas de la logique de nos institutions et qu'elle est contraire au bon sens, qu'elle constitue (...) une anomalie ".
Notons que le calendrier électoral rejoint ainsi le Sénat parmi les " anomalies " institutionnelles recensées par le Premier ministre.
Malheureusement, lors du débat à l'Assemblée nationale, les références à l'" esprit " des institutions n'ont été accompagnées d'aucune définition de celui-ci.
La logique des institutions veut-elle que le Président soit élu avant les députés ? Implique-t-elle qu'il n'y ait pas discordance entre la majorité issue de l'élection présidentielle et la majorité issue des élections législatives ? Consiste-t-elle à faire en sorte que le Président de la République puisse exercer une influence déterminante sur le déroulement des élections législatives ?
1. Qu'est-ce que l'" esprit " de la Constitution ?
Face aux références enthousiastes des membres du Gouvernement et de l'Assemblée nationale à l'" esprit " des institutions, votre rapporteur a cru utile de se reporter aux propos de l'un des pères de nos institutions.
M. Michel Debré, exégète plus confirmé que d'autres de la Constitution de la V e République, a en effet consacré dans ses mémoires d'importants développements à l'esprit des institutions :
" Il y a deux " lectures " de la Constitution. L'une fait du Président de la République le " guide " -c'est ce qu'a entendu dire le Général de Gaulle dans sa conférence de presse de 1964- l'autre qui débouche sur un régime parlementaire " à la britannique ", c'est-à-dire assure l'autorité du Premier ministre, fait du Président un garant de la Constitution, ce qui, compte tenu de ses pouvoirs, revêt une importance déterminante en certaines circonstances. La première lecture est la règle (qui peut comporter des exceptions) quand Président de la République et Assemblée nationale tiennent leur légitimité de la même majorité. La deuxième lecture sera la règle, quasiment sans exception, en cas contraire (...) la valeur d'une Constitution n'est pas dans le fait qu'elle évite les crises, mais qu'elle permet de les trancher dans le respect des exigences de la démocratie, de l'Etat et de la Nation " 12 ( * ) .
Le même auteur précisait également :
" Mon expérience est venue compléter ma réflexion. Il n'est pas bon que le Président de la République soit l'homme à tout faire. La dualité de l'exécutif, dans les conditions où elle a été établie et où elle a fonctionné, a donné satisfaction. Il est vrai que la cohabitation d'un président et d'une majorité parlementaire qui ne serait point d'un même bord pose des problèmes et même peut provoquer une crise, mais quel régime fonctionne sans difficultés, quel régime ne connaît pas les crises ? L'opposition entre un président, élu d'une certaine majorité et la plus grande part d'une Assemblée élue d'une autre majorité, modifie certes le fonctionnement des pouvoirs publics. Mais la situation n'est pas sans issue. Si le Président est le dernier élu, il peut dissoudre l'Assemblée afin d'obtenir du peuple un appui nouveau. Si l'Assemblée est la dernière élue, le Président s'incline, à moins qu'il ne préfère en appeler au peuple par une dissolution. Le peuple lui donne tort ; il s'incline derechef, ou mieux se retire " 13 ( * ) .
Votre rapporteur constate que l'esprit des institutions ainsi défini n'implique pas un ordre spécifique des consultations électorales. Il est clair en revanche que M. Michel Debré et le général de Gaulle s'opposaient tous deux à la coïncidence des mandats respectifs des députés et du Président de la République et donc à la réduction de la durée du mandat présidentiel 14 ( * ) .
Les éminents constitutionnalistes entendus par votre commission n'ont pour leur part pas défini de manière homogène cet " esprit " des institutions, qui expliquerait la nécessité de modifier les dates des élections 15 ( * ) .
* 12 Trois Républiques pour une France, tome 2, 1988, p. 417.
* 13 Id, p. 431.
* 14 " (...) parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère et abrégerait la durée de sa fonction de chef de l'Etat " ; conférence de presse du général de Gaulle du 31 janvier 1964.
* 15 Cf annexe.