III. LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE EN MATIÈRE DE CONFLITS DE LOIS N'EST PAS UNIFIÉE
En dehors de l'application des conventions internationales, les conflits de loi en matière d'adoption internationale relèvent de la jurisprudence.
La première question à trancher est de savoir de manière générale s'il faut appliquer à l'adoption internationale la loi de l'adoptant ou celle de l'adopté. Les difficultés portent ensuite, d'une part, sur la possibilité d'assimiler une adoption prononcée à l'étranger à une adoption plénière, même dans le cas où ce type d'adoption n'existe pas dans le pays d'origine de l'adopté, et, d'autre part, sur la possibilité de prononcer en France une adoption d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution . Il en est ainsi des enfants soumis à un statut personnel de droit coranique.
Le droit français reconnaît en effet deux formes d'adoption , l'adoption plénière et l'adoption simple , qui présentent certains caractères communs mais diffèrent par leurs conditions et par leurs effets.
Dans les deux cas, l'adoption est réservée à des époux mariés depuis deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans ( art. 343 du code civil ) ou à des personnes seules âgées de plus de vingt-huit ans ( art. 343-1 ) ayant, sauf exception admise par le juge, reçu un agrément pour adopter, y compris pour l'adoption internationale ( art. 353-1 ). Sauf exception, la différence d'âge doit être de quinze ans entre l'adopté et les adoptants ( art. 344 ). L'adoption exige le consentement des père et mère ou du conseil de famille ( art. 347 à 349 ). Elle est prononcée par le tribunal de grande instance ( art. 353 ).
L'adoption plénière ( articles 343 à 359 du code civil ) ne s'adresse qu'à des enfants de moins de quinze ans accueillis au foyer des adoptants depuis au moins six mois ( art. 345 ). Sauf dans le cas où elle concerne l'enfant du conjoint, elle implique une rupture totale du lien de filiation préexistant , la nouvelle filiation se substituant à la filiation d'origine ( art. 356 ) et elle est irrévocable ( art. 359 ). L'adopté jouit dans sa famille adoptive des mêmes droits et obligations qu'un enfant légitime ( art. 356 ). Il prend le nom de l'adoptant ( art. 357 ). La nationalité française lui est attribuée de droit dans les mêmes conditions qu'à un enfant légitime ou naturel ( art. 20 ).
L'adoption simple ne pose pas de conditions d'âge de l'adopté ( art. 360 du code civil ). Les liens de filiation préexistants ne sont pas rompus , l'adopté conservant ses droits, notamment héréditaires, dans sa famille d'origine ( art. 364 ). Elle n'implique pas l'acquisition automatique de la nationalité française. L'enfant adopté peut cependant acquérir cette nationalité par déclaration jusqu'à sa majorité ( art. 21-12 ). Il ne porte pas de plein droit le nom de l'adoptant ( art. 363 ).
Plusieurs pays ne connaissent qu'une forme d'adoption se rapprochant de l'adoption simple en ce qu'elle n'opère pas une rupture totale et irrévocable des liens de filiation préexistants.
Les États de droit coranique, à l'exception de la Turquie, de l'Indonésie et de la Tunisie, appliquent, quant à eux, l'interdiction de l'adoption pouvant être déduite d'une interprétation d'un verset de la sourate XXXIII " les coalisés " : " Dieu ne loge pas deux coeurs au dedans de l'Homme, (...), non plus qu'il ne fait vos fils de ceux que vous adoptez ". La question se pose principalement pour la France à l'égard des enfants algériens et marocains. Dans certains États multi-confessionnels, comme le Liban ou l'Égypte, ne sont concernés que les enfants de statut personnel coranique.
Le droit coranique reconnaît cependant la kafala ou recueil légal qui ne crée pas de filiation mais se définit par l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur " au même titre que le ferait un père pour son fils ". En droit français, la kafala peut être assimilée à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle légale. Le tanzil prévoit quant à lui une gratification testamentaire permettant de placer une personne au rang d'héritier du premier degré, toujours sans constituer de lien de filiation.
A. L'ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION
Plusieurs règles peuvent être déduites de la jurisprudence de la Cour de cassation.
1. Les conditions et les effets de l'adoption sont soumis à la loi nationale de l'adoptant
Depuis l'arrêt Torlet du 7 novembre1984, les conditions et les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale de l'adoptant. La loi de l'adopté doit simplement déterminer les conditions du consentement à l'adoption et les formes dans lesquelles il doit être recueilli.
2. L'adoption plénière est possible même si la loi nationale de l'adopté ignore cette forme d'adoption
La Cour de cassation a ensuite détaché le consentement à l'adoption de la loi nationale de l'adopté régissant l'adoption, transformant ce consentement en une simple règle matérielle.
L'arrêt Pistre du 31 janvier 1990 précise que le contenu du consentement, à savoir s'il a été donné en vue d'une adoption simple ou d'une adoption plénière, doit être apprécié indépendamment des dispositions de la loi nationale de l'adopté prohibant l'adoption plénière.
Un consentement donné en vue d'une rupture complète et irrévocable des liens avec la famille d'origine permet donc de prononcer une adoption plénière , même si la loi de l'adopté ne connaît pas cette forme d'adoption.
Cette jurisprudence est constante, elle vient d'être réaffirmée par la 1 ère chambre civile le 24 octobre 2000.
3. L'adoption semble possible même si la loi nationale de l'adopté prohibe cette institution
Adoptant un raisonnement comparable au précédent à l'égard de législations qui prohibent l'adoption , l'arrêt Fanthou du 10 mai 1995 autorise deux époux français à procéder à l'adoption d'un enfant dont la loi personnelle n'autorise pas cette institution à la condition, qu'indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant légal du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance de cause des effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de son pays d'origine.
Dans l'arrêt Lorre du 1 er juillet 1997, la Cour de cassation a cependant considéré que l'autorité publique étrangère, représentant légal du mineur, n'avait pas le pouvoir de consentir à l'adoption au mépris de l'interdiction de l'adoption faite par sa propre législation.
A la suite de cet arrêt, on a pu se demander si les principes posés dans l'arrêt Fanthou étaient remis en cause. Certains commentateurs ont pensé que la Cour de cassation s'orientait vers une distinction entre les personnes privées qui pourraient donner un consentement au mépris de la loi personnelle de l'adopté et les personnes publiques qui ne le pourraient pas.
La Cour de cassation ne s'est pas depuis lors prononcée sur des cas d'adoption plénière d'enfants de statut personnel prohibitif.
Mais dans l'arrêt Lenoir du 16 décembre 1997, elle a validé une adoption simple au vu d'un consentement donné par un tribunal marocain " indépendamment des dispositions prohibitives de la loi personnelle de l'enfant ". Elle a semblé ainsi revenir à sa position adoptée dans l'arrêt Fanthou.
Il est cependant difficile d'affirmer ce que serait aujourd'hui sa position à l'égard du prononcé d'une adoption plénière d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution.
4. Les personnes dont le statut personnel prohibe l'adoption ne peuvent pas adopter
En revanche, appliquant la loi nationale des adoptants aux conditions de l'adoption, la Cour de cassation refuse systématiquement le prononcé de l'adoption au bénéfice de personnes dont le statut personnel interdit cette institution. Elle a plusieurs fois considéré que cette prohibition à l'adoption n'était pas contraire à l'ordre public international (voir dernièrement, 1 ère chambre civile, 19 octobre 1999).
B. UN PREMIER ESSAI DE DÉFINITION LÉGISLATIVE DU CONFLIT DE LOIS N'A PAS ABOUTI EN 1996
La proposition de loi de M. Jean-François Matteï à l'origine de la loi du 5 juillet 1996 sur l'adoption contenait dans son article 15 une règle de conflit de loi. Cet article, une fois amendé sur proposition de Mme Véronique Neiertz, énonçait une règle de conflit permettant l'adoption d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution. Sur le rapport de M. Luc Dejoie, le Sénat avait refusé, en première comme en deuxième lecture, de suivre l'Assemblée nationale sur ce terrain.
Le Sénat n'avait en effet pas souhaité introduire dans le code civil des dispositions imposant unilatéralement l'application du droit français au moment où était envisagée la ratification de la convention de La Haye. Quelques mois après l'intervention de l'arrêt Fanthou par lequel la Cour de cassation avait admis la validité de l'adoption d'un enfant étranger dont la loi personnelle prohibe cette institution, il avait préféré s'en remettre à la jurisprudence.
Cette disposition n'avait pas été reprise en commission mixte paritaire.
C. LA CIRCULAIRE TRÈS CONTROVERSÉE DU 16 FÉVRIER 1999
La circulaire du garde des sceaux en date du 16 février 1999 adressée aux parquets annonce pour objectif de susciter une unification de la jurisprudence en matière de conflits de lois. Ce faisant elle pose des règles nouvelles plus restrictives que celles généralement mises en oeuvre par les juridictions.
D'emblée, elle énonce que " l'adoption ne saurait être présumée dans tous les cas favorable à l'enfant étranger au seul motif qu'il a été recueilli en France, cette institution ne constituant pas le seul cadre juridique susceptible de lui offrir la stabilité dont il a besoin ".
La circulaire semble avoir pour principal objectif d'empêcher le prononcé par les tribunaux français de l'adoption d'un mineur dont le statut personnel prohibe cette institution. Elle essaie donc de contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation en donnant des instructions aux parquets. Elle ne s'impose cependant pas aux juges judiciaires, dont plusieurs ont depuis prononcé des adoptions d'enfants algériens ou marocains.
Pour limiter les trafics d'enfants, la circulaire énonce en outre que la validité du consentement donné à l'étranger impose le respect de l'article 348-5 du code civil selon lequel les enfants de moins de deux ans doivent obligatoirement être remis préalablement au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour l'adoption . Cette disposition a été très contestée.
La circulaire reste en outre muette sur les conditions de la transformation en adoption plénière d'une adoption simple prononcée hors du cadre de la convention de La Haye. Elle ne semble pas s'y opposer, mais ce silence contraste avec son caractère très détaillé par ailleurs, d'autant plus qu'elle donne en annexe une liste des États connaissant une adoption pouvant être assimilée d'emblée à une adoption plénière française, sans préciser explicitement que, dans les autres cas, s'applique la règle de conversion définie par la jurisprudence. Le garde des sceaux a par la suite indiqué en réponse à plusieurs questions parlementaires, dont, le 25 octobre 1999, à une question posée en juillet 1999 par M. Jean-François Matteï, que la jurisprudence n'était pas remise en cause sur ce point.
Très contestée, cette circulaire a fait l'objet d'un recours actuellement pendant devant le Conseil d'État.
D. UN MANQUE D'UNITÉ DES DÉCISONS DES JURIDICTIONS DE PREMIER RESSORT ET DES COURS D'APPEL
D'une manière générale, il semblerait que cette circulaire ait modifié l'attitude des parquets et des juges du premier ressort en les incitant à une grande méfiance à l'égard de l'adoption. Certaines juridictions refusent systématiquement aux familles le prononcé d'adoptions plénières. D'autres juridictions ont écarté, comme les y incitait la circulaire, le prononcé de l'adoption d'enfants de moins de deux ans non remis préalablement à un organisme habilité.
S'agissant du prononcé de l'adoption d'enfants dont le statut personnel prohibe cette institution, certaines juridictions s'y opposent systématiquement, alors que d'autres acceptent de prononcer des adoptions simples, même sans consentement exprès, au vu d'une simple kafala, au motif de l'équivalence de résultat entre les deux institutions. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 25 mars 1999, a même accepté de déduire la possibilité d'une adoption plénière d'une kafala assortie d'un changement de nom. La Cour d'Appel de Paris a en revanche récemment considéré (27 avril 2000) que les autorités algériennes n'avaient pas le pouvoir de consentir une adoption alors que leur loi personnelle prohibe cette institution.
La jurisprudence, qui manquait déjà d'unité avant la circulaire, s'est trouvée encore plus erratique après sa publication, plongeant les familles dans une incertitude et une détresse rendant nécessaire l'intervention du législateur.