II. UNE EXTENSION CONTESTABLE DES RESPONSABILITÉS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Le DRR soulève une double objection : d'abord, la Commission européenne sera peut-être appelée à sortir de son champ normal d'attributions ; ensuite, la conception du DRR a précédé la réforme des instruments de l'aide extérieure communautaire engagée par ailleurs, de même qu'elle a quelque peu anticipé sur la mise en place progressive par les Etats membres d'un cadre général d'action en matière de gestion civile des crises. Les conditions nécessaires à une juste définition du contenu du DRR n'étaient donc sans doute pas réunies au moment où la Commission a présenté ce projet de règlement.

Compte tenu de ces limites et des réserves manifestées par les Quinze, la présidence française a cherché à mieux encadrer le DRR.

A. UN CHAMP D'ACTION EXCESSIF AU REGARD DES COMPÉTENCES COMMUNAUTAIRES

Sensée s'appuyer sur les instruments communautaires existants, le DRR poursuit cependant des objectifs qui n'entrent pas dans les domaines couverts par le premier pilier. Les buts recherchés par le DRR, définis par la Commission de manière trop imprécise, relèvent en effet, pour une large part, de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Dès lors, ce dispositif ne conduira-t-il pas à élargir les compétences de la Commission européenne au-delà de la lettre des traités ? Dans l'affirmative, l'efficacité et la cohérence de l'action de l'Union européenne pourraient en être affectées.

. Un cadre d'action trop imprécis

Le champ d'action ouvert par le DRR n'apparaît pas suffisamment délimité, qu'il s'agisse des conditions de déclenchement du DRR ou des opérations qui peuvent être menées dans ce cadre.

- Les conditions de déclenchement du DRR

Le texte précise que le DRR peut s'appliquer aux situations de crise réelle ou naissante. Il indique par ailleurs que le DRR peut également viser la prévention des conflits. Or la notion de " prévention " peut couvrir des situations très variées. En outre, la Commission ne s'est fixé aucune limite géographique alors même que l'intérêt d'un dispositif de réaction rapide est apparu lors de la crise du Kosovo et qu'un tel mécanisme semble se justifier avant tout pour la périphérie de l'Union européenne.

- Le domaine d'intervention

Les actions auxquelles la Commission peut recourir recouvrent l'ensemble des " activités non combattantes ". Cette formulation apparaît plus extensive que celle d' " activités non militaires " dans la mesure où elle peut viser des interventions militaires mais non combattantes.

. Le choix contestable de la base légale

La Commission peut-elle accroître ses pouvoirs d'action par le biais d'un nouvel instrument communautaire ? En principe, l'article 308 du traité instituant la Communauté européenne le lui permet, à condition toutefois que ces compétences restent dans le cadre communautaire. En effet, aux termes de cet article " si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées ". Dans un avis du 28 mars 1996 -rappelé par M. Hubert Haenel dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution- la Cour de justice a souligné que l'article 308 visait à " suppléer l'absence de pouvoirs d'action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques du traité, dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que la Communauté puisse exercer ses fonctions en vue d'atteindre l'un des objets fixés par le traité. "

La Commission a ainsi choisi pour fondement juridique du DRR, l'article 308. En effet, elle affirme ne pas chercher à accroître ses compétences mais seulement à assouplir les mécanismes actuels jugés inadaptés pour les situations de crise.

Le service juridique du Conseil, sollicité, a cependant conclu, pour sa part, que le DRR, dans sa forme actuelle, excédait les pouvoirs d'action de la communauté au titre de l'article 308. Les objectifs de la proposition relèvent en effet de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne, même si certains éléments contenus dans le DRR peuvent être reliés aux compétences actuelles de la Commission. Aussi, d'après le service juridique, le champ de la proposition devrait-il être réduit afin de le conformer aux objectifs qui peuvent être poursuivis par la Communauté.

. Les risques d'interférence entre le premier et le deuxième pilier

Les limites que le traité a fixées aux compétences communautaires repose sur un double principe de légitimité et d'efficacité. Principe de légitimité , d'abord. Dans le cadre du premier pilier communautaire, les Etats ont décidé de partager leur pouvoir de décision ; dans le cadre du second pilier, ils ont entendu conserver leur souveraineté sur les décisions prises. La logique communautaire ne saurait donc s'appliquer dans des domaines où doit prévaloir un mode de décision intergouvernemental. Principe d'efficacité , ensuite. Les compétences respectives de la Commission et des Etats doivent être distinctes. Dans le cas contraire, comment garantir la cohérence des politiques de l'Union européenne ? De ce point de vue le DRR peut entraîner des interférences entre les premier et deuxième piliers dont les conséquences seraient à rebours de l'objectif d'efficacité recherché.

En effet, dans le cadre du DRR, la Commission pourrait intervenir dans des domaines -l'organisation de forces de police par exemple- où les Etats agissent déjà, soit séparément, soit de concert au titre de le PESC. Ce risque présente d'autant plus de vraisemblance que le mécanisme proposé par la Commission ne prévoit pas de système de coordination convainquant. Le Comité de crises représentant les Etats, joue un rôle consultatif limité. Par ailleurs, la Commission ne rend compte au Conseil de ses actions au titre du DRR, qu'une fois par an.

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