Rapport n° 160 (2000-2001) de M. Serge VINÇON , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 20 décembre 2000
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INTRODUCTION
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EXAMEN EN COMMISSION
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PROJET DE PROPOSITION DE RÉSOLUTION
N° 160
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2000 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Hubert HAENEL, sur la proposition de règlement du Conseil portant création du dispositif de réaction rapide (n° E 1465),
Par M. Serge VINÇON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.
Voir le numéro :
Sénat : 41 (2000-2001)
Union européenne |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Notre commission est saisie d'une proposition de résolution, présentée par M. Hubert Haenel, au nom de la délégation pour l'Union européenne, relative à une proposition de règlement portant création d'un dispositif de réaction rapide .
Ce nouveau mécanisme a pour objet d'assurer le financement plus rapide d'opérations dans le cadre de la gestion non militaire des crises. Il vise spécifiquement les actions conduites à l'initiative de la Commission européenne , au titre des compétences qui lui sont reconnues par le premier pilier communautaire.
Le dispositif de réaction rapide représente ainsi la contribution de la Commission au renforcement des moyens d'action en matière de gestion civile de crises, décidé par le Conseil européen d'Helsinki de décembre 1999, parallèlement à la mise en place d'une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense.
Les Quinze avaient alors adopté le " rapport de la présidence sur la gestion non militaire des crises ". Ce document présentait quatre séries de recommandations, afin de mettre au point un " dispositif de réaction rapide dans le domaine de la gestion des crises au moyen d'instruments non militaires " :
- l'inventaire des moyens nationaux et collectifs dans des domaines tels que la police civile, l'aide humanitaire, la remise en place de structures administratives et juridiques, la surveillance des élections et du respect des droits de l'homme ;
- l'étude d' objectifs concrets pour des réponses collectives non militaires aux situations de crise (le support mentionnait, à cet égard, la capacité de déployer rapidement une force de police ou une force combinée de recherche et de sauvetage) ;
- la création, au sein du secrétariat du Conseil, d'un dispositif chargé, en liaison avec la Commission, de coordonner les contributions des Etats membres ;
- enfin, la mise en place de mécanismes de financement rapide, " par exemple la création par la commission d'un Fonds de réaction rapide ", afin de permettre un financement accéléré des activités de l'Union.
Le mécanisme proposé par la Commission répond précisément à ce dernier point. De ce point de vue, le nom qui lui a été donné introduit une certaine confusion, car il reproduit les termes mêmes retenus par le Conseil pour désigner le dispositif global qu'entend mettre en place l'Union européenne en matière de gestion civile des crises. Or, ce dispositif repose certes, répétons-le, sur des moyens communautaires, mais il s'appuie aussi, et peut-être surtout, sur la mise en commun des moyens nationaux. Au-delà de cette maladresse de forme, le contenu même du mécanisme proposé pourrait élargir les compétences de la Commission au-delà de son champ d'attribution normal. C'est pourquoi, il a suscité de nombreuses réserves de la part des Etats membres et nourrit les objections, justifiées, de notre délégation pour l'Union européenne.
Votre rapporteur, après avoir évoqué le dispositif de réaction rapide tel que le propose la Commission européenne, analysera les principales objections que ce mécanisme soulève et les correctifs proposés par la France, dans l'exercice de sa présidence de l'Union européenne. Il présentera ensuite la proposition de résolution que votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d'adopter.
I. LE DISPOSITIF DE RÉACTION RAPIDE : UNE NOUVELLE CAPACITÉ D'INITIATIVE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE GESTION CIVILE DES CRISES
A. LA " PLUS-VALUE " ATTENDUE DU DISPOSITIF DE RÉACTION RAPIDE PAR RAPPORT AUX INSTRUMENTS EXISTANTS
Si le contenu de la proposition de la Commission soulève des objections, le principe même de l'intervention de la Commission européenne dans le cadre de la gestion civile des crises apparaît, quant à lui, incontestable. En effet, plusieurs types d'action prévus au titre du pilier communautaire dans les domaines économiques, financiers et civils peuvent se révéler très utiles pour répondre aux situations de crises.
Cependant, selon la Commission, si la nature même de ces actions répond aux besoins d'une gestion civile des crises, leur condition de mise en oeuvre n'apparaît pas, en revanche, adaptée. En premier lieu, à l'exception du règlement " Echo ", seul instrument transversal dont est dotée la Commission pour intervenir dans le domaine humanitaire, les autres instruments communautaires obéissent à une logique géographique : MEDA pour les pays méditerranéens, le Fonds européen de développement pour la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), etc. Ensuite, aucun de ces instruments -à l'exception une fois encore d'Echo - n'a vocation à financer des opérations de courte durée liées à une véritable urgence. En conséquence -et c'est le troisième inconvénient relevé par la Commission-, les procédures de mise en oeuvre répondent à des conditions assez lourdes et requièrent, d'une manière générale, la consultation systématique des Etats membres dans le cadre de différents comités de gestion .
L'inadaptation des instruments communautaires classiques s'est particulièrement manifestée au Kosovo, lorsque l'aide communautaire a été sollicitée en plusieurs occasions.
Le dispositif de réaction rapide (DRR) tente de surmonter la triple contrainte qui pèse sur les instruments communautaires. D'une part, il s'est assigné une vocation transversale. D'autre part, il a pour objet de financer des opérations de brève durée. Enfin, afin de répondre à l'objectif de rapidité, il tend à simplifier les procédures.
. Une vocation transversale
Le DRR n'est pas limité dans son champ géographique ; il peut, en effet, être déclenché en cas de situation de " crise réelle ou naissante " La proposition de la Commission cite, à titre d'exemple, les " cas de violence croissante déstabilisant l'ordre public, de violation de la paix ", les mouvements massifs de population, " toutes circonstances exceptionnelles ayant des incidences directes ou indirectes sur la sécurité " ou encore des " catastrophes environnementales ".
L'étendue des cas envisagés laisse une large marge d'appréciation à la Commission.
. Des interventions rapides et de courte durée
Les interventions organisées dans le DRR présentent une double caractéristique.
D'une part, elles doivent être immédiates et répondre à une situation d'urgence.
D'autre part, elles ne doivent pas excéder 9 mois.
. Une procédure simplifiée
Afin de simplifier le circuit de décision, la Commission a proposé de limiter l'intervention des Etats membres. En effet, si elle est assistée par un Comité de crise composé des représentants des Etats membres, ce comité n'intervient que dans deux hypothèses et seulement à titre consultatif :
- lorsque l'intervention implique une contribution supérieure à 5 millions d'euros (dans une limite fixée à 12 millions d'euros pour chaque intervention), la commission arrête sa décision après consultation du Comité ;
- lorsque, dans des cas exceptionnels, la période maximale de neuf mois n'est pas suffisante pour atteindre l'objectif poursuivi par l'intervention : la Commission présente alors au Comité un projet d'intervention complémentaire et les dépenses afférentes.
Par ailleurs, le projet de règlement instituant le DRR prévoit que la rédaction du règlement intérieur de ce Comité devra tenir compte des impératifs de rapidité et de souplesse qu'implique nécessairement une situation de crise. Certes, les représentants des Etats membres pourront examiner toute question relative à la mise en oeuvre du présent règlement, mais la rédaction retenue par la Commission oriente cette faculté vers le suivi de l'action plutôt que vers la prise de décision proprement dite.
B. LES MOYENS MIS EN oeUVRE : EN PRINCIPE, DES ACTIONS PRÉVUES PAR LES INSTRUMENTS COMMUNAUTAIRES EXISTANTS
. Les instruments
Afin de répondre aux situations de crise, la Commission pourra s'appuyer sur les instruments communautaires existants. Deux séries de limites lui ont été fixées :
- en premier lieu, les instruments communautaires ne pourront être utilisés selon la procédure allégée du DRR que si l'opération envisagée satisfait au double critère de la rapidité et de la limitation de durée à 9 mois ; cette condition vise à empêcher que les procédures communautaires fixées par chacun des règlements ne soient évincées au profit de la procédure plus légère du DRR ;
- le DRR ne peut pas , par ailleurs, couvrir des opérations de caractère humanitaire , gérées actuellement par l' agence Echo ; celle-ci a, en effet, vocation à intervenir dans de brefs délais ; la procédure prévue par le DRR n'apporterait, en conséquence, aucun avantage particulier. Cependant, la Commission peut décider que " l'intervention au titre du dispositif de réaction rapide est plus appropriée, conjuguée, au besoin, à l'action Echo ". La combinaison possible, pour une même situation, des deux instruments ne contribue pas à clarifier le dispositif d'intervention communautaire.
. Le financement
Les opérations mises en oeuvre dans le cadre du DRR bénéficieront d'une ligne budgétaire spécifique.
Le projet de budget communautaire pour 2001 a inscrit, à ce titre, un montant de 20 millions d'euros en crédit de paiement et de 30 millions d'euros en engagements. Ces ressources relèvent des dépenses non obligatoires pour lesquelles le Parlement européen a le dernier mot -dans la limite des perspectives financières assignées à l'action extérieure de l'Union européenne, à la suite du compromis intervenu lors du Conseil européen de Berlin en juin 1999.
C. LES CONDITIONS DE MISE EN oeUVRE : UNE INTERVENTION LARGEMENT DÉLÉGUÉE
. La mise en oeuvre
La mise en oeuvre des interventions décidées par la Commission après consultation le cas échéant du Comité de crise sera confiée aux autorités nationales et à leurs agences, à des organisations internationales ou à des ONG, à des opérateurs publics et privés. Le règlement proposé par la Commission prévoit que des accords cadres en matière de gestion de crise pourront être conclus entre la Commission et les différents intervenants reconnus pour leur capacité d'intervention rapide, susceptibles d'exécuter une action au titre du DRR. La conclusion de tels accords-cadres sera de nature à faciliter la signature d'un protocole financier , au moment où la Commission aura adopté une décision de financement
La Commission pourra également conclure des contrats avec des opérateurs individuels, notamment dans les cas nécessitant un savoir-faire personnel unique.
Dans tous les cas, la Commission informe le Comité de crise du choix de l'entité chargée de la mise en oeuvre et des raisons qui l'ont conduite à ce choix.
. Les conditions de coordination
Si la Commission n'est pas l'exécutant direct des opérations qu'elle a décidées, il lui revient, en revanche, de veiller à la coordination des opérations avec celles des Etats membres en organisant, en particulier sur le terrain, les échanges d'information nécessaires.
Indépendamment des opérations particulières qui peuvent être décidées, le Comité de crise peut constituer une plate-forme d'échange d'informations entre les Etats membres et la Commission, afin d'assurer la cohérence de l'action communautaire prévue pour les crises avec les autres instruments civils.
. Le contrôle et l'évaluation
Le règlement prévoit les contrôles nécessaires à plusieurs niveaux :
- l'action des opérateurs : dans l'intervalle des vérifications prévues dans le cadre des conventions de financement conclues avec les opérateurs, le contrôle peut également être exercé sur place par des inspections de la Commission, conformément au règlement CE n° 2185/96 du Conseil ;
- les décisions d'intervention : la Commission procède à intervalles réguliers aux évaluations nécessaires afin de déterminer dans quelle mesure les objectifs poursuivis ont été atteints. En outre, la Commission devra présenter chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport de synthèse sur les interventions de réaction rapide conduites par la Communauté au cours de l'année écoulée. Enfin, trois ans après l'entrée en vigueur du règlement, la Commission dressera un bilan du DRR et proposera, le cas échéant, des modifications au règlement.
II. UNE EXTENSION CONTESTABLE DES RESPONSABILITÉS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
Le DRR soulève une double objection : d'abord, la Commission européenne sera peut-être appelée à sortir de son champ normal d'attributions ; ensuite, la conception du DRR a précédé la réforme des instruments de l'aide extérieure communautaire engagée par ailleurs, de même qu'elle a quelque peu anticipé sur la mise en place progressive par les Etats membres d'un cadre général d'action en matière de gestion civile des crises. Les conditions nécessaires à une juste définition du contenu du DRR n'étaient donc sans doute pas réunies au moment où la Commission a présenté ce projet de règlement.
Compte tenu de ces limites et des réserves manifestées par les Quinze, la présidence française a cherché à mieux encadrer le DRR.
A. UN CHAMP D'ACTION EXCESSIF AU REGARD DES COMPÉTENCES COMMUNAUTAIRES
Sensée s'appuyer sur les instruments communautaires existants, le DRR poursuit cependant des objectifs qui n'entrent pas dans les domaines couverts par le premier pilier. Les buts recherchés par le DRR, définis par la Commission de manière trop imprécise, relèvent en effet, pour une large part, de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Dès lors, ce dispositif ne conduira-t-il pas à élargir les compétences de la Commission européenne au-delà de la lettre des traités ? Dans l'affirmative, l'efficacité et la cohérence de l'action de l'Union européenne pourraient en être affectées.
. Un cadre d'action trop imprécis
Le champ d'action ouvert par le DRR n'apparaît pas suffisamment délimité, qu'il s'agisse des conditions de déclenchement du DRR ou des opérations qui peuvent être menées dans ce cadre.
- Les conditions de déclenchement du DRR
Le texte précise que le DRR peut s'appliquer aux situations de crise réelle ou naissante. Il indique par ailleurs que le DRR peut également viser la prévention des conflits. Or la notion de " prévention " peut couvrir des situations très variées. En outre, la Commission ne s'est fixé aucune limite géographique alors même que l'intérêt d'un dispositif de réaction rapide est apparu lors de la crise du Kosovo et qu'un tel mécanisme semble se justifier avant tout pour la périphérie de l'Union européenne.
- Le domaine d'intervention
Les actions auxquelles la Commission peut recourir recouvrent l'ensemble des " activités non combattantes ". Cette formulation apparaît plus extensive que celle d' " activités non militaires " dans la mesure où elle peut viser des interventions militaires mais non combattantes.
. Le choix contestable de la base légale
La Commission peut-elle accroître ses pouvoirs d'action par le biais d'un nouvel instrument communautaire ? En principe, l'article 308 du traité instituant la Communauté européenne le lui permet, à condition toutefois que ces compétences restent dans le cadre communautaire. En effet, aux termes de cet article " si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées ". Dans un avis du 28 mars 1996 -rappelé par M. Hubert Haenel dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution- la Cour de justice a souligné que l'article 308 visait à " suppléer l'absence de pouvoirs d'action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques du traité, dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que la Communauté puisse exercer ses fonctions en vue d'atteindre l'un des objets fixés par le traité. "
La Commission a ainsi choisi pour fondement juridique du DRR, l'article 308. En effet, elle affirme ne pas chercher à accroître ses compétences mais seulement à assouplir les mécanismes actuels jugés inadaptés pour les situations de crise.
Le service juridique du Conseil, sollicité, a cependant conclu, pour sa part, que le DRR, dans sa forme actuelle, excédait les pouvoirs d'action de la communauté au titre de l'article 308. Les objectifs de la proposition relèvent en effet de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne, même si certains éléments contenus dans le DRR peuvent être reliés aux compétences actuelles de la Commission. Aussi, d'après le service juridique, le champ de la proposition devrait-il être réduit afin de le conformer aux objectifs qui peuvent être poursuivis par la Communauté.
. Les risques d'interférence entre le premier et le deuxième pilier
Les limites que le traité a fixées aux compétences communautaires repose sur un double principe de légitimité et d'efficacité. Principe de légitimité , d'abord. Dans le cadre du premier pilier communautaire, les Etats ont décidé de partager leur pouvoir de décision ; dans le cadre du second pilier, ils ont entendu conserver leur souveraineté sur les décisions prises. La logique communautaire ne saurait donc s'appliquer dans des domaines où doit prévaloir un mode de décision intergouvernemental. Principe d'efficacité , ensuite. Les compétences respectives de la Commission et des Etats doivent être distinctes. Dans le cas contraire, comment garantir la cohérence des politiques de l'Union européenne ? De ce point de vue le DRR peut entraîner des interférences entre les premier et deuxième piliers dont les conséquences seraient à rebours de l'objectif d'efficacité recherché.
En effet, dans le cadre du DRR, la Commission pourrait intervenir dans des domaines -l'organisation de forces de police par exemple- où les Etats agissent déjà, soit séparément, soit de concert au titre de le PESC. Ce risque présente d'autant plus de vraisemblance que le mécanisme proposé par la Commission ne prévoit pas de système de coordination convainquant. Le Comité de crises représentant les Etats, joue un rôle consultatif limité. Par ailleurs, la Commission ne rend compte au Conseil de ses actions au titre du DRR, qu'une fois par an.
B. UN DISPOSITIF SANS DOUTE PRÉMATURÉ
L'on doit, certes, rendre acte à la Commission d'avoir rapidement pris l'initiative de concrétiser l'une des recommandations du Conseil européen d'Helsinki. Peut-être cependant est-elle allée trop vite. L'intérêt d'un tel dispositif pourrait être mieux apprécié, son contenu plus précisément défini, au terme d'un double processus : la réforme, en cours, des instruments de l'aide extérieure communautaire, la mise en place progressive de l'organisation de la gestion civile des crises dans le cadre du deuxième pilier.
. L'amélioration indispensable des procédures communautaires
Plutôt que de se fixer de nouveaux objectifs, la Commission ne devrait-elle pas s'efforcer d'améliorer d'abord les moyens dont elle dispose déjà ?
La Commission a justifié la mise en place du DRR par l'inadaptation des instruments communautaires classiques aux situations d'urgence. Elle a mis en cause en particulier la place des comités de gestion représentant les Etats membres, dont l'intervention est supposée ralentir la capacité d'action communautaire. Ce diagnostic paraît exagéré. D'après certaines évaluations, la consultation des comités de gestion ne rallongerait que de trois mois la procédure de décision. C'est bien peu au regard des délais habituels de mise en oeuvre des décisions communautaires en matière d'aide extérieure -trois ans en moyenne... Dans ces conditions, les mécanismes de fonctionnement de la Commission portent une large part de responsabilité dans les retards enregistrés par la Communauté.
A l'initiative du commissaire chargé des relations extérieures, M. Chris Patten, la Commission a d'ailleurs pris conscience de ses responsabilités et procédé à une évaluation de ses faiblesses.
Elle a d'abord mis en avant l'insuffisance de ses effectifs . Les volumes d'aide communautaire ont été multipliés par 2,8 au cours des dix dernières années, alors même que le nombre de postes supplémentaires n'avait été multiplié que par 1,8. La Commission a été contrainte dès lors de recourir à la sous-traitance, mode d'action privilégié dans le domaine des relations extérieures (l'aide communautaire extérieure représente 90 % des dépenses totales de sous-traitance). L'utilisation des bureaux d'étude extérieurs ne permet pas toujours à la Commission d'assurer un contrôle rigoureux de l'utilisation des fonds. Cette situation, sévèrement critiquée par le Comité des experts indépendants, la Cour des comptes et le Parlement européen, a donné lieu à certaines dérives.
Les retards ne s'expliquent pas seulement par l'insuffisance des effectifs. Ils trouvent également leur origine dans l'extrême complexité des procédures et la lourdeur du circuit de décision . L'action extérieure de la Commission s'appuie en effet sur pas moins de 80 règlements différents et de nombreuses lignes budgétaires. Le nombre de directions générales chargées des relations extérieures est passé de 2 en 1984 à 6 en 1997 avec pour conséquence une dispersion des ressources, le cloisonnement des méthodes, l'affaiblissement des capacités de gestion et la difficulté de définir clairement les responsabilités de chaque service.
La Commission a elle-même admis que la " gestion est devenue extrêmement complexe et onéreuse en raison de l'hétérogénéité des procédures et l'éclatement ou l'inadéquation des systèmes de communication ".
Il faut signaler à cet égard que l'adoption du dispositif de réaction rapide constituera un élément supplémentaire dans un dispositif passablement complexe.
La Commission a décidé d'engager cette année une réforme de la gestion de son aide extérieure visant trois objectifs principaux :
- réduire de manière très significative le temps nécessaire à la mise en oeuvre des projets approuvés ;
- améliorer la qualité de gestion des projets et leur condition de contrôle ;
- renforcer l'impact et la visibilité de la coopération européenne.
Le plan d'action envisagé par la Commission comprend trois volets principaux :
- l'unification de la programmation de l'aide extérieure conformément aux objectifs des politiques de l'Union européenne ;
- la création d'un organe unique (Europeaid) chargé de la gestion du projet depuis l'identification jusqu'à l'exécution et, parallèlement, une plus grande déconcentration de l'aide (tout ce qui peut être mieux géré et décidé sur place, près du terrain, ne devrait pas être géré ou décidé à Bruxelles) -conjuguer ces deux orientations ne sera d'ailleurs pas sans poser certaines difficultés ;
- le développement d'une culture administrative commune au sein des services de la direction des relations extérieures.
Cette réforme devra être jugée à ses résultats. A cet égard, l'expérience d'une année au moins apparaît indispensable. L'adaptation des instruments existants constitue une première réponse aux questions soulevées par la gestion civile des crises ; elle représente en tout état de cause la condition préalable à la mise en place d'un nouveau mécanisme spécifique.
. La nécessaire clarification du cadre institutionnel mis en place pour la gestion civile des crises
La contribution -indispensable- de la Commission à la gestion civile des crises s'inscrit dans un ensemble plus large qui relève pour l'essentiel de la politique étrangère et de sécurité commune. Ainsi, le rôle des politiques communautaires ne peut être défini indépendamment ni du dispositif institutionnel mis en place par les Etats membres dans le cadre du deuxième pilier, ni des objectifs et des moyens qu'ils se seront fixés. Or, la Commission a présenté le projet de règlement instituant le DDR le 11 avril, alors même que les structures et les projets de gestion civile de crise sur le plan intergouvernemental n'étaient pas encore, à cette date, vraiment définis. La Commission pouvait en conséquence être soupçonnée de vouloir se présenter en chef de file d'une gestion civile des crises dont l'organisation doit reposer pourtant principalement sur des bases intergouvernementales.
Après avoir créé, au début de l'année 2000, les organes politiques et militaires destinés à préfigurer à terme les organes permanents -un comité politique et de sécurité (COPS), un comité militaire et un Etat-major- le Conseil a créé un comité chargé des aspects civils de la gestion des crises par une décision (2000/354/PESC) du 22 mai 2000. Composé des représentants des Etats membres, cette structure fonctionne comme un groupe de travail du Conseil : il rend compte de ses activités au Comité des représentants permanents (COREPER) et donne son avis au comité politique et de sécurité intérimaire sur les aspects civils de la gestion des crises.
Parallèlement, en juin 2000, le Conseil européen de Feira a identifié en matière de gestion civile des crises quatre axes prioritaires pour lesquels l'Union pourrait se doter de capacités concrètes : la police, le renforcement de l'état de droit, le renforcement de l'administration civile et la protection civile. Dès le Sommet de Feira, les capacités de police ont fait l'objet de décisions importantes : en effet, les Quinze se sont engagés à fournir d'ici 2003, dans le cadre d'une coopération volontaire, jusqu'à 5 000 policiers dont 1 000 devront pouvoir être déployés dans un délai de 30 jours pour des missions internationales couvrant toute la gamme des opérations de prévention de conflits et de gestion des crises.
Le 16 novembre dernier, le COPS, sur la base des propositions du Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises, a précisé les modalités de mise en oeuvre des objectifs définis à Feira. Le 29 novembre dernier, la présidence française a présenté plusieurs propositions relatives à la formation des forces de police à la gestion non militaire des crises. A l'heure où les objectifs de l'Union se sont précisés, il est désormais plus facile de déterminer la part qui revient à la Commission dans le domaine de la gestion civile des crises.
C. LA NÉCESSITÉ D'UNE INTERVENTION RÉCENTRÉE DANS LE CADRE COMMUNAUTAIRE
Compte tenu des objections de caractère juridique opposées au DRR, ainsi que des évolutions du cadre général de gestion civile des crises, il est clair que la rédaction du règlement proposée par la Commission européenne doit être revue. Reconnaître le rôle de la Commission dans la gestion civile des crises tout en l'encadrant davantage , tel a été l'objectif recherché par la France, au cours de la présidence de l'Union européenne.
La nouvelle rédaction préparée par notre pays propose de recentrer le DDR dans le cadre des compétences communautaires :
- le champ d'application : le DRR ne pourrait être utilisé que lorsqu'une situation de crise remet en cause les conditions de bonne exécution d'un programme communautaire . Il s'agit en quelque sorte d'un mécanisme de sauvegarde dont dispose la Commission pour préserver ses propres instruments ;
- la nature des opérations conduites : aux " activités non combattantes " a été préféré la formule " opérations civiles " d'une portée plus restreinte ;
- les conditions de mise en oeuvre : il est proposé de ramener la durée des interventions de 9 à 6 mois ;
- le financement : le montant maximal de chaque intervention devrait être réduit par rapport à la proposition de la Commission (12 millions d'euros) ; il pourrait être compris entre 3 et 5 millions d'euros ;
- le contrôle : l'évaluation interviendrait non plus à intervalles réguliers mais après chaque opération menée.
La rédaction de la présidence française procède ainsi à une clarification indispensable. Elle ne lève cependant pas toutes les incertitudes :
- les conditions d'articulation du DRR avec le programme Echo, doivent encore être précisées ;
- même recadrée, la marge d'appréciation de la Commission demeure importante. De plus, la présidence, par souci de mieux signifier que le DRR s'inscrit dans un cadre purement communautaire, ne fait plus mention du comité de crise (représentant les Etats membres). Si l'on peut comprendre les intentions à l'origine de ce choix, on peut également en craindre les effets : le risque d'une absence de coordination entre le premier pilier et le second pilier.
La proposition de la présidence française, malgré ces réserves, apparaît comme une base de travail utile. Elle a d'ailleurs recueilli un écho favorable de la part des autres Etats membres. Les discussions se poursuivent encore. Après consultation du parlement européen, le projet de règlement devra être examiné par le COREPER et, enfin, soumis au Conseil des ministres. Il est vraisemblable que le texte puisse être adopté au cours du premier semestre 2001, sous présidence suédoise.
CONCLUSION : L'INDISPENSABLE RENFORCEMENT DES MÉCANISMES DE COORDINATION DANS LE CADRE DE LA GESTION CIVILE DES CRISES
Votre commission approuve l'ensemble des observations présentées par la délégation pour l'Union européenne dans le cadre de sa proposition de résolution. Elle insistera en particulier, pour sa part, sur la nécessité de renforcer les mécanismes de coordination .
Les conditions d'une bonne articulation des compétences respectives des premier et deuxième piliers constitue la clef de l'efficacité de l'action de l'Union européenne.
Les politiques communautaires constituent un formidable levier pour l'affirmation de l'Union européenne sur la scène internationale. Cependant, elles relèvent du premier pilier, tandis que la définition des orientations diplomatiques s'inscrit dans la cadre du deuxième pilier régi par la logique intergouvernementale.
La séparation entre pilier, rappelons-le, s'est imposée, lors de la négociation du traité de Maastricht, comme condition de l'intégration dans le champ d'action européen des questions de politique étrangère et de sécurité, pour laquelle la majorité des Etats n'entendait pas voir appliquer les règles de décision communautaires. La séparation entre piliers a ainsi permis de faire progresser la construction européenne.
L'autonomie des deux piliers doit donc être préservée. Mais il convient aussi de limiter les effets négatifs de cette séparation.
Dans un seul cas -la mise en oeuvre de sanctions - les moyens du premier pilier sont subordonnés aux décisions du Conseil prises dans le cadre de la PESC. Pour le reste, "le conseil peut demander à la Commission de lui présenter toute proposition appropriée relative à la politique étrangère et de sécurité commune pour assurer la mise en oeuvre d'une action commune ". Incontestablement, l'essor considérable pris par les actions extérieures de la Communauté, parallèlement à l'affirmation progressive d'une politique étrangère et de sécurité commune a pu susciter une certaine concurrence entre les institutions -la Commission d'un côté, le Haut représentant pour la PESC de l'autre. Cette situation rend plus impératif encore l'effort de coordination.
La gestion civile des crises constitue sans doute l'un des domaines où l'articulation des compétences communautaires et des décisions au titre de la PESC apparaît la plus nécessaire. Le Haut représentant pour la PESC a d'ailleurs apporté une contribution importante, dans cette perspective, lors du Conseil européen de Nice le 8 décembre dernier.
Ce document se veut un " cadre de référence pour la gestion globale et cohérente des crises ". Il rappelle deux principes fondamentaux :
- la procédure de gestion des crises a pour but principal d'assurer une réponse efficace et cohérente de l'Union ;
- les attributions et des pouvoirs respectifs de chaque institution -en particulier la capacité d'initiative de la Commission pour la mise en oeuvre des instruments relevant de sa compétence- doivent être respectées.
Afin d'assurer la cohérence des instruments dont l'Union dispose, le Haut représentant pour la PESC suggère une double voie :
- l'adoption par le Conseil d'une action commune identifiant les instruments civils et militaires nécessaires pour faire face à une crise ;
- le recours à une seule enceinte à même de disposer de l'ensemble des informations, propositions et initiatives relatives à la crise en cours pour en faire une évaluation globale. Le Haut représentant suggère que ce rôle soit confié au COPS.
Les mécanismes de coordination, selon ce schéma, n'affectent en rien les compétences propres de chaque institution.
En tout état de cause, le Conseil des ministres , instance commune de décision au premier et au deuxième pilier doit être le garant de l'articulation satisfaisante des actions européennes pour la gestion des crises .
Pour votre commission, il apparaît nécessaire que le texte instituant le DRR puisse rappeler sous une forme qu'il appartiendra aux Etats membres de préciser de concert avec la Commission européenne, les conditions de coordination visant à garantir la complémentarité des interventions conduites dans le cadre de la gestion civile des crises.
En conséquence, elle a adopté la proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-dessous.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 20 décembre 2000.
A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin, président , s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles l'Union européenne serait conduite à intervenir dans la gestion des crises. Il a relevé, en particulier, les incertitudes liées à l'articulation des compétences respectives de la Commission et du Conseil et souligné, d'une manière plus générale, certaines incertitudes qui restaient à lever dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) concernant la définition des liens entre l'Union européenne et l'OTAN. M. Xavier de Villepin, président , a attiré l'attention sur une éventuelle évolution de la position britannique vis-à-vis de la défense européenne, compte tenu des inquiétudes manifestées par certaines personnalités américaines sur le projet des Quinze dans ce domaine. Revenant alors sur la gestion civile des crises, il a jugé indispensable un effort de clarification, en notant que la Commission devait poursuivre la réforme de ses instruments d'aide extérieure. Il s'est également demandé dans quelles conditions les Etats membres pourraient mettre en oeuvre la force de police européenne, dont le principe avait été arrêté au Conseil européen de Feira de juin 2000.
M. Serge Vinçon a estimé que l'intervention européenne dans le cadre de la gestion civile des crises soulevait encore beaucoup d'interrogations. Il a précisé que, compte tenu des délais excessifs nécessaires à la mise en oeuvre de l'aide extérieure, la Commission avait souhaité disposer d'un instrument d'intervention plus rapide pour les situations d'urgence. Il a ajouté que les Etats souhaitaient cependant ne pas se trouver dessaisis de leurs responsabilités dans la gestion civile des crises. Le rapporteur a alors observé que, sur la base de la proposition de la présidence française, les Quinze et la Commission pourraient s'accorder sur une solution de compromis.
La commission a alors adopté la proposition de résolution présentée par M. Serge Vinçon.
PROJET DE PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Conseil E 1465, portant création d'un dispositif de réaction rapide,
Demande au Gouvernement de s'opposer à ce texte, dont le but est louable mais les modalités d'actions proposées très contestables, tant que n'auront pas été précisés :
- l'étendue de son champ d'application, pour l'heure géographiquement illimité ;
- la définition exacte de ce qu'il conviendra d'appeler " une situation de crise réelle ou naissante " ;
- la nature des partenaires éligibles et des diverses exceptions prévues ;
- la répartition des rôles pour la mise en oeuvre du dispositif, qui reste difficile à apprécier entre la Commission européenne et les Etats membres ;
- le bien-fondé de multiplier les instruments d'intervention en matière d'assistance aux pays tiers ;
- les conditions de coordination visant à garantir la complémentarité des interventions conduites par l'Union européenne dans le cadre de la gestion civile des crises.